« Covid 19. Vers une réhabilitation du département ? », par Laurent Chalard

Depuis le début des années 2000, le département apparaît en sursis, étant considéré par les élites françaises comme un échelon archaïque ne répondant plus aux impératifs d’une gestion efficace du territoire hexagonal. En effet, dans le contexte de montée en puissance progressive de l’Union Européenne, un consensus a émergé dans notre pays, conduisant à rejeter l’organisation administrative héritée de la Révolution Française, reposant sur la commune et le département, pour la remplacer, au nom d’une harmonisation européenne, par un nouveau couple, les intercommunalités et les grandes régions. Or, comme, bien souvent, on constate que le nouveau modèle proposé ne l’est nullement car il serait réellement plus efficace, mais s’apparente simplement à l’application de l’organisation territoriale allemande, les kreise et les länder !

Si, sur le principe, il peut s’avérer parfois utile d’appliquer les bonnes recettes de nos voisins à notre territoire, concernant l’organisation administrative, ce choix est plus que contestable car la géographie de la France est sensiblement différente de son voisin germanique. En effet, notre pays se caractérise par une relative faible densité de population en Europe occidentale (120 habitants par km2 contre 240 en Allemagne) et la taille limitée de ses grandes métropoles en-dehors de Paris (aucune ne compte plus de 2 millions d’habitants contre plusieurs en Allemagne), ce qui sous-entend qu’une large partie du territoire se trouve en-dehors de toute influence métropolitaine. Il s’ensuit que l’échelon départemental conserve une certaine pertinence dans les territoires ruraux car il est le seul assurant une continuité de l’Etat. Les grandes régions ne sont pas en mesure de mailler aussi efficacement le territoire. La suppression des départements, envisagée sérieusement par certains, conduirait à plonger de manière irréversible la France des faibles densités dans le déclin et correspondrait à la mise à mort des villes moyennes, déjà très mal en point, dont beaucoup vivent essentiellement de leur fonction préfectorale, voire sous-préfectorale.

Par ailleurs, outre son rôle de maillage du territoire hexagonal, le département demeure une des échelles d’analyse les plus pertinentes pour déterminer les principales dynamiques démographiques et socio-économiques en France. Comme vient de nous le montrer l’exemple de la crise sanitaire du covid 19, le département apparaît comme la meilleure grille de lecture pour évaluer la diffusion spatiale de l’épidémie alors qu’une analyse à l’échelle des grandes régions, périmètre retenu dans un premier temps par le gouvernement, s’est rapidement révélée totalement inadaptée, la maille étant beaucoup trop large. Par exemple, si l’on regarde la carte des décès cumulés entre le 1er mars et le 20 avril 2020 par rapport à l’année précédente, on constate des évolutions contradictoires au sein des régions, comme en Auvergne-Rhône-Alpes, où les départements du Cantal et de la Haute-Loire ont vu leur mortalité diminuer alors qu’elle a augmenté sensiblement dans le Rhône ou en Haute-Savoie. Le même schéma se retrouve dans la région Sud, opposant les Bouches-du-Rhône aux Hautes-Alpes. Ce constat n’a rien de surprenant car certaines de nos régions sont plus grandes que plusieurs pays européens comme la Nouvelle-Aquitaine, qui, avec ses 84 000 km2, a une superficie équivalente à l’Autriche et apparaît comme deux fois plus étendue que la Suisse, qui effectue pourtant ses analyses épidémiologiques à l’échelle de ses cantons.

Évolution des décès cumulés du 1er mars au 20 avril 2020 rapportés aux décès cumulés du 1er mars au 20 avril 2019 par département. Source : INSEE, état civil

Que ce soit sur le plan de l’aménagement du territoire ou comme objet d’analyse pour le monde scientifique, le département conserve donc une pertinence certaine. En conséquence, il conviendrait que le gouvernement, qui semble avoir compris l’utilité de cet échelon administratif, engage une réflexion les prochaines années sur son devenir, en changeant de paradigme. Il ne s’agit plus désormais de vouloir le faire disparaître, mais, au contraire, d’essayer de le renforcer, au moins dans les zones rurales où sa pérennité s’avère indispensable. Dans ce cadre, il serait souhaitable d’étendre ses compétences, en particulier dans les domaines de l’action économique et de l’aménagement du territoire aujourd’hui contrôlés par les régions, et de réfléchir aussi à des modifications de leurs limites dans les territoires où leur périmètre n’apparaît plus adapté aux réalités fonctionnelles actuelles. Ces modifications se sont déjà produites dans le passé pour le département du Rhône, qui a annexé, à plusieurs reprises au cours de son histoire, des communes de sa banlieue se situant à l’origine dans le département de l’Isère, dont Bron, Vaulx-en-Velin, Vénissieux et Villeurbanne dès 1852.

carte vignobles

Les régions viticoles de la Champagne. Source : Wikipedia

Parmi d’autres, un exemple-type de modification de périmètre départemental envisageable concerne l’arrondissement de Château-Thierry dans l’Aisne. Anciennement champenoise, et située sur l’axe Paris-Reims, sa ville-centre se trouve beaucoup plus proche de la ville la plus peuplée de la Seine-et-Marne, Meaux (à 48 km par l’autoroute selon ViaMichelin), et de la préfecture de la Marne, Reims (à 59 km), que de sa préfecture de rattachement, Laon (à 75 km mais sans autoroute), avec qui elle n’a quasiment aucun lien fonctionnel. Il serait donc logique que cet arrondissement bascule vers un des deux départements voisins, en fonction de la volonté de ses habitants. Si la dynamique du marché de l’emploi devrait plutôt pousser ces derniers à se tourner vers la Seine-et-Marne, par contre, la logique identitaire champenoise, dont l’appartenance au vignoble de Champagne constitue indirectement un héritage, pourrait les amener à choisir la Marne, les deux choix pouvant se justifier.

 

Laurent Chalard
Docteur en géographie de l’Université Paris IV-Sorbonne

2 Comments on « Covid 19. Vers une réhabilitation du département ? », par Laurent Chalard

  1. Le département correspond bien, en effet, aux réalités géographiques françaises…
    Probablement à redécouper par endroit (liens avec la Mégapole région parisienne, métropoles régionales, etc.) ;
    relire le plan Debré de 1947 (repris de la proposition de 1945) d’une cinquantaine de départements… et l’appliquer ?
    délicat sur les compétences ! par rapport à l’effrayant « mille-feuilles » !!
    Les régions actuelles sont souvent peu cohérentes…
    Merci pour ce bel article !!
    JG
    (coauteur « Le département. Espace et institution », 1992)

  2. L’Aisne est un département « patchwork » et sa pointe sud a été abusivement annexée par la Picardie, mais Reims n’est pas préfecture et c’est sans doute la raison de la configuration de ce département

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