Editorial

Chaise à porteurs du Comte de Lapérouse
Créée le 15 décembre 1821, la Société de Géographie est la plus ancienne du monde. C’est pourquoi elle n’est ni de France, ni de Paris. Elle a vu le jour 7 ans avant son homologue de Berlin et 9 ans avant celle de Londres.
Son premier bulletin paraît en 1822 et elle est déclarée d’utilité publique par Charles X en 1827. Ses membres fondateurs sont Barbié du Bocage, le baron Fourier, Jomard, Langlès, Letronne, Malte-Brun, de Rossel et Walckenaer. Elle aurait pu naître à la fin de l’Ancien Régime, tant les questions géographiques passionnaient alors le roi et ses ministres. Jean-Nicolas Buache, premier géographe et cartographe du roi l’avait envisagé en 1785, sous le règne de Louis XVI, passionné par les voyages et à qui l’on a d’ailleurs prêté –sans doute à tort- des paroles qu’il aurait prononcées en montant à l’échafaud : « A-t-on des nouvelles de M. de La Pérouse ? ». Les géographes et cartographes de cette époque se consacrent principalement à la réalisation de cartes, d’atlas et de dictionnaires géographiques. Ils n’ont aucun monopole sur la description des contrées du monde que publient des navigateurs, des militaires, des religieux, des savants souvent très ouverts sur les sciences naturelles. Le premier président de la Société, le marquis Pierre-Simon de Laplace est d’ailleurs un mathématicien, physicien et astronome, membre de l’Académie des Sciences depuis 1773 et de l’Académie française depuis 1816. Il n’a jamais attaché son nom à des écrits relevant peu ou prou de la géographie, mais c’est un savant respecté et qui légitime pleinement la création d’une société vouée à cette branche de la connaissance. Il en est de même de la plupart de ses successeurs qui, conformément aux statuts de l’époque, exercent leurs fonctions pendant une année seulement : Cuvier est anatomiste et paléontologue, le duc Ambroise-Polycarpe de La Rochefoucauld, le duc Elie Decazes ou Guizot sont ministres, tout comme Chateaubriand, président en 1824-25, qui, lui, a tout de même publié en 1811 son Itinéraire de Paris à Jérusalem et publiera en 1827 son Voyage en Amérique et en Italie.
Plus tard, les présidents sont de plus en plus souvent des savants voyageurs qui ont réellement contribué aux progrès du savoir géographique : Alexandre de Humboldt en 1845-46, Walckenaer en 1846-47, Edme-François Jomard, l’un des principaux rédacteurs de la Description de l’Egypte, en 1848-49. Plus tard, le mandat des présidents s’allongera : Ferdinand de Lesseps est demeuré en fonction de 1881 à 1890 et le Prince Roland Bonaparte de 1910 à 1924. Depuis 1946, les présidents sont généralement des universitaires, parmi lesquels six géographes : Emmanuel de Martonne, Jean Despois, Aimé Perpillou, Jacqueline Beaujeu-Garnier, Jean Bastié et l’auteur de ces lignes.
La Société de Géographie est à son apogée durant le Second Empire. En sont membres en 1868 l’Empereur Napoléon III, ainsi que les souverains de Suède et de Norvège, du Portugal, des Belges, de Roumanie, du Brésil, d’Espagne. En 1878, elle acquiert un terrain sur le boulevard Saint-Germain en cours de percement et fait construire un immeuble destiné à abriter ses bureaux, sa bibliothèque et une grande salle de conférences. Elle encourage de nombreux explorateurs, contribue au financement de leurs expéditions et les récompense à leur retour. Elle constitue l’une des plus importantes bibliothèques du monde dans sa spécialité et recueille manuscrits, archives et photographies. L’ensemble est depuis la dernière guerre déposé au Département des Cartes et Plans de la Bibliothèque nationale de France qui en assure la conservation et la communication au public.
Elle rassemble aujourd’hui environ un millier de membres cotisants et une centaine de membres d’honneur répartis sur tous les continents. Parmi eux, le Prince Albert II de Monaco, fidèle à la tradition de ses ancêtres, et le Prince héritier Charles d’Angleterre, tous deux passionnés des questions environnementales et d’aménagement du territoire. Ses activités actuelles sont multiples. Elle organise des conférences mensuelles qui alternent avec celles de la Société des Explorateurs qu’elle héberge et avec laquelle elle collabore activement, des colloques une ou deux fois par an, en ses murs ou hors les murs, et la publication des actes de ceux-ci. Le présent fascicule rassemble les principales interventions prononcées au cours de l’un d’entre eux. Par ailleurs, elle sert à ses membres deux publications : la revue La Géographie, destinée à mettre à la portée d’un large public les travaux d’universitaires ou d’écrivains sur les grandes questions de la géographie contemporaine et le Bulletin de liaison des membres de la Société de Géographie qui rassemble toutes les informations sur la vie de la Société et les activités de ses membres. Les deux publications se partagent les compteS- rendus des ouvrages qui paraissent et qui contribuent à l’avancée du savoir géographique. Une collection d’albums illustrés, publiés en collaboration avec les éditions Glénat permettent de mettre en valeur notre patrimoine photographique. La Société organise également des voyages en France ou à l’étranger. Parmi les dernières destinations de ceux-ci, mentionnons une traversée du Morvan, une croisière sur la Saône, un long périple en Ouzbékistan, une croisière dans la lagune de Venise, sans oublier un voyage d’études dans le nord du Cotentin, à la suite du colloque de Barneville-Carteret. Enfin, une fois par an, à la fin du mois de novembre, une Folle journée de la géographie permet de réunir un grand nombre de membres qui se retrouvent pour écouter des conférences, participer à des débats, visionner des films, dans une atmosphère détendue. En fin d’après-midi sont décernés au cours d’une cérémonie les prix annuels de la Société. Parmi les derniers récipiendaires du Grand Prix, mentionnons Paul Claval, Claude Allègre, Emmanuel Le Roy Ladurie, Michel Phlipponneau. Il y a quelques années, avaient été honorés Jean Malaurie, Alain Peyrefitte, Théodore Monod. Parmi les très nombreux géographes et explorateurs ayant reçu des prix dans le passé, mentionnons quelques grands noms : René Caillié, Dumont d’Urville, Livingstone, Barth, Savorgnan de Brazza, Charcot, Amundsen, Peary, Lindbergh, Hillary, Hunt et Tenzing, Aldrin, Armstrong et Collins, Jean-Louis Etienne, Erik Orsenna, etc.
La Société de Géographie est ouverte à tous ceux qui souhaitent la rejoindre. Ils sont les bienvenus. Il n’existe plus guère de terres inconnues, mais le savoir géographique est toujours aussi indispensable à la culture de l’honnête homme, davantage encore à celle du décideur, tant la mondialisation contraint à choisir et à se repérer dans le foisonnement des informations dont nous sommes tous abreuvés quotidiennement.
Jean-Robert PITTE, Membre de l’Institut
Président de la Société de Géographie