Xavier Leroux : « Ce sont les élèves et leur famille qui sont les premiers acteurs de leurs spatialités »

La nouvelle rubrique Paroles d’enseignants est désormais en ligne ! Pour l’inaugurer, nous avons rencontré un enseignant pas comme les autres. Professeur des écoles à Tourcoing, Xavier Leroux est aussi chercheur en didactique et responsable du service de presse de géographie et jeunesse pour l’association « les Clionautes ». De son expérience quotidienne pour faire découvrir la géographie à ses élèves à son regard de didacticien sur l’enseignement de la géographie, c’est un entretien riche que nous vous proposons pour ouvrir une rubrique qui, espérons-le, ne cessera de s’enrichir dans les prochaines semaines.

 

DSC_0678Comment avez-vous découvert la géographie ?

 

Sur le tard même si les choses devaient être inscrites dans les gênes avec une mère professeur de lettres-histoire-géographie en lycée professionnel et un père travaillant pour le ministère de l’Equipement !

Actuellement professeur des écoles, je n’ai aucun de souvenir de moments de géographie en primaire. Pour le secondaire, c’est le bachotage cartographique de la préparation au bac que je garde en mémoire mais, malgré tout, une certaine attirance pour l’aspect coloré des photographies de manuels.

Cherchant une pluridisciplinarité de culture générale et de « précaution » face à une trop précoce spécialisation, j’ai débuté les études supérieures au travers de la filière AES (administration économique et sociale), un joyeux cocktail mélangeant l’économie, la sociologie, le droit… mais où la question de l’espace était absente. Après un stage au service de la politique foncière de la communauté urbaine de Lille, le virage était lancé. Si l’urbanisme est souvent une spécialisation pour les géographes, c’est dans le sens inverse que j’ai fait les choses : de l’aménagement du territoire à l’épistémologie de la géographie, puis à sa didactique et finalement, maintenant, à un peu de comparatisme disciplinaire de par ma coloration premier degré.

 

Indépendamment même des programmes et de leurs évolutions, à quels objectifs accordez-vous une importance particulière ?

 

Il est en effet important de poser la question en ces termes puisque les enseignants ont une relation particulière à ces changements de programme qui ne sont pas accompagnés de médiation. Peu ou pas guidés, ils ont du mal à distinguer ce qui est vraiment nouveau de ce qui ne l’est pas, à distinguer l’essentiel du secondaire. C’est certainement en prenant un peu de hauteur épistémologique, notamment en convoquant l’analyse spatiale, qu’il est possible de montrer qu’il y aura toujours besoin de parler de distance, de densité, de mobilité… quelle que soit la façon dont ces concepts sont nommés et présentés dans les programmes.

 

Figure 1 : Les attributs de la distance 

 

L’exemple de la Figure 1 permet par exemple de travailler sur les attributs de la distance : la distance brute/à vol d’oiseau, rarement opératoire ; la distance contrainte matérielle (état des infrastructures de transport) ; la distance-temps, le tout aboutissant à la définition d’un itinéraire.

 

Figure 2 : Les composantes d’un déplacement

Fig2

Source : Leroux, X., Janson, A. et Malczyk, B. (2017). Géographie à vivre, CM2. Accès éditions

 

Celui de la Figure 2 fait de même avec la mobilité : un déplacement comporte nécessairement quatre composantes : une relation à l’espace (de où à où ?), au temps (combien de temps ? de fois ?), à une certaine motivation (pourquoi ? le déplacement est-il subi ou choisi ?), à un choix d’organisation (par quel(s) moyen(s) de transport effectuer ce déplacement ?). Mieux apprivoiser ces éléments du côté de l’enseignant doit sans doute permettre d’amener au transfert du côté de l’élève pour que celui-ci puisse faire le lien avec ses propres expériences.

L’objectif central de la géographie ne peut être que celui du développement de compétences de spatialité, lesquelles servent différents buts : se repérer, lire le monde dans lequel on vit, devenir un citoyen éclairé.

 

Selon quelle(s) démarche(s) se construit votre enseignement de la géographie ? Comment la/les mettez-vous en place dans votre/vos classe(s) ?

 

En lien avec le point précédent, mon travail de conception et de préparation s’effectue à différents niveaux, de la macro échelle du cycle à la micro échelle de la séance avec, à l’esprit, le souci de toujours poser une situation qui questionnera un minimum. Si les nouveaux programmes précisent bien les choses sur les thèmes à aborder par année, les compétences à travailler sur le cycle restent bien à distribuer selon les années et leurs périodes.

J’essaye de soigner au mieux le choix des documents pour amener à leur découverte complémentaire avec, quand cela s’y prête, un document global à remplir en plusieurs étapes sur la période. Cela présente l’avantage de tenir l’élève en haleine sur plusieurs semaines tout en permettant de creuser plus en profondeur la lecture et la compréhension du document en question du fait d’avoir participé à sa réalisation.

Ce peut être par exemple une carte de synthèse remplie progressivement (pour bien distinguer les points, les lignes, les surfaces) à l’image de la Figure 3 mais également le fait de passer en revue une grande diversité de cas de figures répondant à la définition d’un concept : en ce sens, on peut relire la Figure 2 en voyant les nombreuses situations qui motivent un individu à franchir une frontière : faire ses courses dans un pays limitrophe, fuir un pays en guerre ou une catastrophe naturelle, s’installer au soleil pour la retraite… on fait vraiment « le tour de la question ».

 

Figure 3 : La carte de l’itinéraire d’un groupe de touristes visitant la France

 

J’en profite pour faire une parenthèse sur ce thème de la frontière que j’ai choisi pour illustrer, en partie, le thème 1 du programme de CM2 nommé « se déplacer ». Certes, le terme « frontière » n’est pas nommé expressément dans le nouveau programme (alors qu’il faisait son entrée dans les programmes précédents de 2008), mais comment aborder le thème du déplacement mondial sans l’évoquer ? C’est là qu’il faut guider les collègues qui se sentiraient hors sujet en évoquant un concept non nommé mais qui apparaît ici inévitable.

Si j’ai donc bien sûr une trame d’année, sécurisante, j’essaye de prendre également appui au maximum sur le vécu de la classe et ses événements qui peuvent parfois être imprévus : sortie ponctuelle ou régulière, projet pluridisciplinaire dont on pourra soulever la dimension spatiale, expériences personnelles des élèves, au travers de leurs lieux de vacances par exemple. Après tout, les programmes insistent sur les acteurs désormais et ce sont les élèves, avec leur famille bien sûr, les premiers acteurs de leurs spatialités. La personnalisation n’amènera que meilleure appropriation.

Pour les repères, les éléments à ritualiser, j’avoue avoir récemment cédé à cet engouement pour les appels de cartes postales venant d’un peu partout. Les enfants adorent et n’ont pas l’impression d’appréhender les localisations et appartenances aux échelons spatiaux de manière trop fastidieuse.

 

Parallèlement à votre travail d’enseignant, vous êtes aussi docteur en géographie, impliqué dans la recherche et la diffusion de la discipline. Sur quoi portent vos recherches et vos engagements et comment dialoguent-ils avec votre pratique d’enseignement ?

 

Conformément à la définition de la didactique, je prête attention aux différents processus d’enseignement-apprentissage au travers des pratiques, des prescriptions, des recommandations, des propositions. Cela peut concerner les représentations des élèves, la façon dont ils raisonnent, l’introduction de nouveaux contenus dans les programmes, la façon dont les enseignants et les manuels s’en emparent…

Plus récemment, j’ai creusé la question de la professionnalité enseignante au travers des forums d’enseignants qui, aux côtés des blogs, commencent à devenir la norme pour la préparation des enseignements et renseignent sur la circulation des savoirs et la collaboration entre pairs : qui poste des demandes ? A quel rythme ? Sur quel(s) sujet(s) ? Qui répond ? Se satisfait-on de la réponse proposée ? Telle réponse lance-t-elle un débat ? Autant de questions qu’il est possible d’éclairer au travers de comparaisons avec d’autres disciplines pour mieux saisir la spécificité de la géographie et d’apprécier les distorsions entre curriculum prescrit, réel et caché.

Au-delà de la production de recherche proprement dite, j’essaye de diffuser et vulgariser la discipline et les ressources structurant son enseignement et sa recherche via différents moyens : des interviews comme celle-ci, des contributions à la mutualisation de travaux comme avec le blog Didagéo et surtout de nombreuses lectures et comptes-rendus en découlant pour l’association les Clionautes.  Si je suis responsable depuis peu du service de presse en géographie « adulte », j’ai décidé d’ouvrir, en 2011, son pendant jeunesse. Au quotidien, j’y trouve une grande inspiration pour la création de supports, mais le but profond est vraiment de faire la passerelle avec le secondaire et le supérieur pour penser l’enseignement et la recherche en géographie comme une continuité à travers les âges. Pour une discipline dont l’enseignement n’est pas en parfaite santé, cela me semble primordial.

 

Selon vous, l’enseignement de la géographie se heurte-t-il à des difficultés particulières ?

 

Le décalage entre une géographie scientifique renouvelée, inscrite désormais dans le champ des sciences sociales et ce qui se pense et se fait dans les classes a pour cause le désintéressement des géographes pour l’enseignement. Les chiffres du dernier CAPES (2017) montrent qu’aux 78 % d’historiens ne s’ajoutent que 13 % de géographes puisqu’une troisième voix, « autres », complète le total avec 9 %. Tant mieux si des personnes issues d’autres cursus s’intéressent à ces disciplines et tant mieux si les géographes ont trouvé des débouchés dans des secteurs professionnels différents de l’enseignement mais le problème, dans un système basé sur la bivalence, c’est la surreprésentation mécanique des historiens.

Dans le second degré, ma foi, il n’y a qu’entre ces deux matières qu’il faut trouver l’équilibre mais dans le premier degré, la polyvalence amène à des agencements plus complexes qui font que l’enseignant voulant préparer ses enseignements de géographie cherchera peut-être davantage du côté du français, des mathématiques, des sciences… et que l’historien ne sera pas l’interlocuteur du plus grand secours.

Ajoutons à cela les questions statutaires avec ce recours pseudo-naturel aux agrégés et certifiés pour former les futurs professeurs des écoles à la géographie (et à l’histoire de fait) dans les ESPE. Cette logique du « qui peut le plus peut le moins » cumulée à cette prédominance de l’histoire ne rend service en rien au futur enseignant qui devra travailler la structuration de l’espace en classe de CP par exemple ! Pourquoi un Professeur des Ecoles ne serait-il pas digne de former un futur Professeur des Ecoles ? Ce souci semble spécifique à l’élémentaire et à l’entrée dans les disciplines puisque, pour former à la maternelle, il arrive que l’on convoque tout de même des Professeurs des Ecoles.

J’en arrive à penser qu’il faudrait essayer d’équilibrer (enfin) les choses en faisant de la géographie une science de l’éducation au même titre qu’il existe une histoire de l’éducation. En effet, si l’histoire compte trois statuts (discipline de référence, discipline scolaire et discipline contributoire aux sciences de l’éducation), la géographie ne peut revendiquer que les deux premiers. Or, ces questions liées à la géographie de l’éducation existent (travaux sur la carte scolaire, l’affectation des enseignants, les inégalités de résultats aux examens selon les académies, les déterminants de l’éducation prioritaire…) dans les UFR de géographie. Pourquoi ne pas les insérer dans les départements de sciences de l’éducation et les ESPE ? De plus, ces thèmes peuvent tout à fait s’enseigner dans les classes par endroits. Le nouveau programme centré sur l’habiter convoquant une entrée sur « travailler » autorise tout à fait à évoquer les lieux de la scolarité.

C’est le dernier exemple que j’extrais des collections d’ouvrages « Temps et Espace à Vivre » et « Géographie à Vivre » que j’ai coécrit aux éditions Accès (Figure 4). Ici, il est question de travailler sur le rapport entre l’offre de structures scolaires et le niveau d’enseignement concerné pour montrer qu’au fur et à mesure de l’avancement dans le parcours scolaire, il faut s’éloigner pour étudier.

 

Figure 4 : Les lieux d’origine d’élèves de primaire, de secondaire et d’université

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Avez-vous un souvenir de « moment de grâce » survenu dans un de vos cours de géographie ?

 

Saisir, dans le regard d’un l’élève, l’étincelle montrant qu’il a compris où l’enseignant voulait en venir semble a priori plus difficile en géographie qu’en mathématiques. Toutefois, il y a de nombreux marqueurs de satisfaction que l’on peut déceler ça et là : la réutilisation du vocabulaire spécifique pour décrire des expériences spatiales personnelles, le transfert du codage de la légende des cartes pour établir des classifications dans d’autres disciplines, le regard porté sur la carte murale à la bonne échelle pour montrer un lieu survenant au cours d’une discussion… de petites récompenses pour un travail de longue haleine. Parfois la gestuelle vient en renfort, j’ai à l’esprit une élève qui s’était levée et dressée sur sa chaise, mimant un regard par-delà le hublot de l’avion, pour manifester sa compréhension de la prise de vue photographique oblique.

Ce qui est également appréciable, c’est le collègue qui, en formation continue, prend quelques minutes pour venir me dire à la fin de la conférence pédagogique que je viens d’animer : « Merci, c’était intéressant » et d’ajouter « … ça change de ce qu’on peut avoir d’habitude ! »

 


Eléments bibliographique
 

Leroux, X., Janson, A. et Malczyk, B. (2017). Géographie à vivre, CM2. Accès éditions

Leroux, X., Janson, A. et Malczyk, B. (2017). Géographie à vivre, CM1. Accès éditions

Leroux, X., Janson, A. et Malczyk, B. (2017). Temps et espace à vivre, CE2. Accès éditions

Leroux, X., Janson, A. et Malczyk, B. (2014). Temps et espace à vivre, CE1. Accès éditions

Leroux, X., Janson, A. et Malczyk, B. (2013). Temps et espace à vivre, CP. Accès éditions

Leroux, X et Verherve, M. (2014). « Ma petite géographie » ou la fabrique de la représentation des lieux chez de jeunes élèves. Mappemonde, numéro 113.

Leroux, X. (2013). Entre livre du maître et livre de l’élève, l’exemple de la collection « Géographie à vivre », 9ème journée Pierre Guibbert : livre du maître, de l’élève, des savoirs, Montpellier.

Leroux, X et Verherve, M. (2012). Sur la frontière, quelles représentations des enfants ? Enquête dans le Nord de la France. EchoGéo, numéro 20 | 2012.

Leroux, X. (2012). Compléments des programmes de géographie de l’élémentaire : valait-il mieux jamais que si tard ? Cybergeo : European Journal of Geography, Débats, Les nouveaux programmes dans le primaire.

Leroux, X. (2010). Logiques d’affectation des professeurs des écoles néotitulaires dans le Nord, Cybergéo, Epistémologie, Histoire de la Géographie, Didactique, article 488.

 

1 Comment on Xavier Leroux : « Ce sont les élèves et leur famille qui sont les premiers acteurs de leurs spatialités »

  1. Bravo et merci Monsieur !!!

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