[Lu dans la presse] « Jean-Louis Gouraud, le monde à bride abattue », Le Figaro

Le Figaro par la plume d’Yves Thréard consacrait un portrait plein de richesse et de poésie à notre administrateur Jean-Louis Gouraud. Un reconnaissance plus que méritée pour notre collègue « passionné de cheval et de géopolitique, ancien confident de Kadhafi et de Sankara » et auteur du récent ouvrage Heureux qui communiste a fait un beau voyage… (Favre, 2023).

 

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« Cet homme-là ne la ramène pas. Et, d’ailleurs, il n’a pas besoin de se la raconter, comme on dit, puisque l’histoire – la grande -, il l’a toujours vue ou vécue en direct. Quand on l’a rencontré pour la première fois – c’était très récemment -, il revenait de N’Djamena, au Tchad, comme si de rien n’était dans ce pays à l’équilibre toujours précaire. Il était allé rendre visite à l’une de ses vieilles connaissances, Saleh Kebzabo, aujourd’hui premier ministre. L’Afrique, mais aussi le Moyen-Orient, la Russie, la Chine… Il n’y a pas un coin de ce bas monde, actuellement en pleine ébullition, qui lui soit étranger.

Jean-Louis Gouraud, 80 ans depuis le mois de mars, a parcouru la terre entière, y compris à cheval. Car c’est encore le mode de transport qu’il préfère, tant son amour pour les équidés est immense. En 1990, un raid équestre en solitaire l’a conduit de Paris à Moscou. Soit 3 333 km effectués en soixante-quinze jours, avec deux trotteurs français, joliment appelés Prince de la Meuse et Robin. Il fallait un sacré culot pour débouler sur la place Rouge, alors gardée par les sbires de l’Union soviétique agonisante. Princier, il offrira ses deux montures aux époux Gorbatchev, qui, sans doute trop accaparés par la chute de leur empire, les négligèrent. Le sachant, un an plus tard, en pleine nuit, sans avertir personne, le généreux donateur vint donc, par effraction, récupérer ses chevaux qui finirent leurs jours en France, dans le Gâtinais. Cette histoire est celle du Pérégrin émerveillé(Babel), livre qui a obtenu en 2013 le prix Renaudot poche.

 

Se moque des qu’en-dira-t-on

 

Le cheval, c’est aussi ce qui a poussé Jean-Louis Gouraud à partir pour la Syrie en 2019. La guerre civile fait fuir tout le monde, mais lui accourt pour assister au Festival international du cheval qui se tient à Damas ! Rien n’arrête cet aventurier, surtout quand il s’agit d’en savoir plus sur le pur-sang arabe, dont la Syrie est le berceau. Magnifique Gouraud, chevalier sans peur et sans limite, hussard aussi élégant que talentueux conteur. « La culture encyclopédique et les amitiés fidèles qu’il entretient avec des gens très différents, connus ou anonymes, font de Jean-Louis un personnage rare et étonnant », dit l’éditeur Bruno Nougayrède, président du groupe Elidia.

Gouraud aime faire d’une pierre deux coups. Sa passion équestre est toujours l’occasion de satisfaire son insatiable curiosité de journaliste reporter, aux explications géopolitiques érudites et étayées. Les deux sont donc à l’œuvre dans son dernier ouvrage, tout juste arrivé en librairie, Heureux qui communiste a fait un beau voyage… (Favre). Titre clin d’œil et rigolo pour un récit passionnant, mené à bride abattue, qui emmène le lecteur dans des contrées pas toujours accueillantes et au caractère plutôt viril.

On passe donc par la Syrie de Bachar el-Assad, un beau jour d’avril. Les pur-sang sont bien au rendez-vous, mais le regard se porte aussi sur ce Moyen-Orient dont Jean-Louis Gouraud pense qu’il n’est pas fait pour le communisme, tout comme l’Afrique. « L’idée d’un monde sans Dieu, écrit-il, est inadmissible chez des peuples où la foi en des forces supérieures est profondément ancrée. »

Jean-Louis Gouraud se moque comme d’une guigne des qu’en-dira-t-on et se fiche des donneurs de leçons. Il va où il veut quand il veut – en Albanie, comme en Corée du Nord ou en Libye – et fréquente qui il veut. Il a rencontré en tête-à-tête une trentaine de fois Mouammar Kadhafi, dont il deviendra le confident et le meilleur expert. Il a écrit deux livres d’entretiens avec le fantasque autocrate : le premier dans les années 1980, le second en 1993. « Avec Kadhafi, on a eu tout faux, prévient-il. Il servit de verrou à l’expansion islamiste, entre une Égypte aux mains des Frères musulmans et une Algérie en proie à une guerre civile menée par le Front islamique du salut. »

La suite lui donnera raison, ô combien ! Kadhafi liquidé, c’est toute l’Afrique centrale et occidentale qui s’en trouve durablement déstabilisée. Les anecdotes avec le Guide de la « Djamahiriyya » sont légion. Grâce à Gouraud, Pierrette Brès, journaliste « plus connue pour ses pronostics sur les courses hippiques que pour ses analyses géopolitiques », a interviewé Kadhafi en 1986, peu après les bombardements de Tripoli et de Benghazi par les Américains. Il sera question de cheval – le leader libyen se déclare au passage contre la consommation de viande chevaline -, mais pas uniquement. Pierrette Brès fut si appréciée qu’elle reviendra en Libye deux autres fois.

C’est au Burkina Faso que l’ancien directeur de la rédaction de Jeune Afrique, de 1968 à 1974 – « Six années de bonheur absolu » passées aux côtés de Béchir Ben Yahmed, le fondateur du magazine – va devenir le confident d’un autre monstre sacré du continent noir : Thomas Sankara. Avec le jeune révolutionnaire assassiné en 1987 par ses compagnons d’armes, « nous avions eu, dès 1984, d’interminables discussions, en général nocturnes », remarque l’auteur, qui sortira, en 2002, L’Afrique par monts et par chevaux (Belin). Il y conte l’histoire de la princesse Yennenga, d’origine mossi, comme Sankara. La belle a fui le foyer paternel au galop et donne naissance à Ouédraogo – « l’étalon » -, devenu le patronyme le plus courant aujourd’hui au Burkina. Cette jolie légende remonterait au XIIe siècle.

S’il a « amoureusement fréquenté » l’Afrique, Jean-Louis Gouraud vit dans un horizon sans frontières. Son ami Bruno de Cessole est impressionné par son réseau international, « aussi étendu qu’hétéroclite ». L’écrivain et critique littéraire ajoute qu’il parle toujours savamment et sans langue de bois des pays qu’il visite : « Jean-Louis m’a toujours dit, par exemple, que la Russie était un pays du tiers-monde, un agglomérat de villages Potemkine, ce que beaucoup de gens n’ont découvert qu’avec l’invasion de l’Ukraine. Le piteux état de l’armée russe dévoilé ces derniers mois ne m’a donc pas surpris. »

La Chine lui est aussi familière. Il l’a découverte en 1986, non sans émerveillement pour sa capacité de développement : extraordinaire bond en avant, dû à Deng Xiaoping, qui « aurait mérité cent fois le prix Nobel d’économie ». Dix ans plus tard, Jean-Louis Gouraud y a conduit une mission d’études pour le compte de la Libye. Il y retournera souvent.

En 2011, il réalise un long et décapant entretien, publié par Jeune Afrique, d’un certain Lu Shaye, alors chargé de l’Afrique au ministère des Affaires étrangères chinois. L’intéressé, qui fait beaucoup parler de lui en ce moment sur l’Ukraine comme ambassadeur en France, critiquait déjà vertement l’attitude de l’Occident dans l’hémisphère Sud : « Il n’a pas de leçons à nous donner. Ayant eu à subir si longtemps l’oppression occidentale, la Chine est plus à même de ressentir ce que les Africains ressentent aujourd’hui. » Lu Shayeestimait que l’engagement de l’empire du Milieu en Afrique avait donné plus de résultats que deux siècles de présence occidentale. Sujet polémique s’il en est, mais le voyageur au long cours l’aborde sans a priorifroidement : « La mégalomanie chinoise se traduit toujours par des réalisations concrètes. » Gouraud, qu’on pourrait écouter des heures, c’est le choc des mots bien sentis et le poids de l’expérience avisée. »

 

Article à retrouver sur le site du Figaro : « Jean-Louis Gouraud, le monde à bride abattue »

 


Heureux qui communiste a fait un beau voyage

Jean-Louis Gouraud

Editions Favre

Format 15 x 23.5cm

196 pages

Parution : 6 avril 2023

ISBN 978-2-8289-2075-3

 

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