La Chine en 2100 : renaissance ou déclin d’une civilisation ? Essai de prospective. Défis intérieurs (II)

par Guillaume Giroir
Université d’Orléans

(Cette étude est issue du colloque international de géographie « Dimitrie Cantemir » tenu à Iasi (Roumanie) les 3-5 septembre 2021. Elle sera publiée en 2022 dans les actes du colloque dans la revue Lucrările seminarului geografic « Dimitrie Cantemir » (Université Alexandru Ioan Cuza, Iasi).

 

 

Résumé. En plus des défis extérieurs (cf. article I), la Chine est confrontée à des défis intérieurs majeurs, multiples et croissants. La présente étude montre qu’après la phase de rattrapage (appelée ici les « Trente-cinq glorieuses », entre 1978 et 2013), le modèle de développement chinois connaît, et surtout connaîtra des dysfonctionnements structurels croissants. Cette perspective s’appuie sur trois séries de facteurs majeurs de vulnérabilités, voire de crise annoncée. La première partie analyse les défis économiques, en mettant au jour les dérèglements du modèle de croissance. Une deuxième partie interroge un modèle socio-politique confronté à des bouleversements et risques majeurs à venir. La dernière s’attache à prendre la mesure des défis environnementaux et de leurs impacts.

Mots-clés : Chine ; cycle de vie des civilisations ; prospective (2100) ; défis intérieurs.

 

Abstract. In addition to external challenges, China faces major, multiple and growing internal challenges. This study shows that after the catch-up phase (called here the “Glorious Thirty-five”, between 1978 and 2013), the Chinese development model is experiencing, and above all will experience, growing structural dysfunctions. This perspective is based on three series of major factors of vulnerabilities, even of announced crisis. The first part analyzes the economic challenges, bringing to light the disturbances in the growth model. A second part questions a socio-political model confronted with major upheavals and risks to come. The last focuses on environmental challenges and their impacts.

Keywords : China ; civilization life cycle ; prospective (2100) ; external challenges.

 

CORRESPONDANCE : guillaume.giroir@univ-orleans.fr

 

Introduction

 

La Chine est confrontée à des défis extérieurs multiples et croissants (cf. article I). Mais, elle doit et devra également faire face de plus en plus à des défis intérieurs majeurs. Entre 1978 et 2013, la Chine a connu « Trente-cinq glorieuses » mais cette séquence de développement est unique car elle a bénéficié de facteurs non-reproductibles : rattrapage accéléré après trente ans de catastrophe économique maoïste ; méga-rente démographique avec une population active passée de 594 millions de personnes à 1 milliard en 2015 ; entrée à l’OMC en 2001, qualifiée de marché de dupes par certains ; sur-travail de la population ; attraction d’investissements directs étrangers massifs par les multinationales ; transferts de technologie occidentale en partie forcés ; méga-transition urbaine induisant un boom immobilier ; illusions occidentales sur la démocratisation de la Chine, etc. Dans un contexte de « mondialisation heureuse » (ou naïve), la Chine a connu une sorte de « parenthèse enchantée » (mise à part la tragédie de Tian’anmen en 1989…).

Malgré la poursuite, voire l’amplification de certaines dynamiques positives incontestables, le nouveau modèle de développement depuis 2020, mais plus généralement à l’échelle du 21ème siècle, se trouve et se trouvera encore davantage confronté à des défis majeurs : effondrement démographique et vieillissement massif ; baisse tendancielle de la croissance ; impacts majeurs du changement climatique ; retour de la question sociale, etc.

La présente étude identifie trois séries de facteurs majeurs de vulnérabilités, voire de crise annoncée, pour le modèle de développement de la Chine. La première partie analyse les défis économiques, en montrant les dysfonctionnements croissants de la croissance. Une deuxième partie met au jour un modèle socio-politique confronté à des bouleversements et risques majeurs à venir (effondrement démographique ; précarité ; adhésion moindre au surtravail). La dernière s’attache à prendre la mesure des défis environnementaux et leurs impacts.

 

1. Défis économiques : un modèle de croissance aux dysfonctionnements croissants

 

1.1 Un surendettement insoutenable

 

Début 2019, selon l’Institute of International Finance, la dette totale de la Chine (dette publique, dette des entreprises, dette des institutions financières, dette des ménages) représentait déjà 303 % du PIB ; avec 40 000 milliards $, elle représente 15 % de la dette mondiale. En réalité, le montant réel de la dette serait très largement sous-évalué : une étude de Goldman Sachs estime que la dette cachée (hidden debt) des gouvernements locaux représenterait la moitié du PIB (Anonyme, Bloomberg, 2021).

Pour réduire l’impact de la guerre commerciale avec les États-Unis et de l’épidémie, le gouvernement chinois a accordé un volume massif de crédit, des réductions de charge fiscale pour les entreprises (2 500 milliards yuan, selon Li Keqiang), ainsi que des reports de paiement (à mars 2021) des prêts et intérêts pour les PME. Les pertes de revenus dues à la chute du secteur immobilier ont été également massives pour les municipalités.

Cette injection massive de liquidités a permis de financer à crédit des grands travaux ou de soutenir de grandes entreprises publiques ou des gouvernements locaux. La dette des ménages représente elle-même désormais plus de 54 % du PIB.

Les effets locaux de l’endettement sont d’ores et déjà tangibles. Ainsi, en décembre 2021, les autorités de la ville charbonnière de Hegang (Heilongjiang) ont annoncé qu’elles cesseraient tout recrutement en raison de son surendettement (He, 2021). Certaines provinces pauvres comme le Guizhou sont confrontées à une montagne de dettes. Par ailleurs, l’endettement excessif remet en partie en question le modèle de développement par les grands travaux (Leplâtre, 2021).

 

1.2 Baisse tendancielle de la croissance du PIB

 

Même si, en termes relatifs, l’économie s’est avérée nettement plus résiliente et dynamique que celle de la plupart des autres grandes puissances occidentales, le chiffre de 2020 se traduit néanmoins par une division par trois de la croissance du PIB. En effet, le chiffre de 2,3 % pour 2020 contraste avec la croissance officielle de 6,1 % de 2019. Le rythme de croissance de l’économie chinoise annoncé sera donc le plus bas depuis la mort de Mao en 1976. En réalité, elle s’inscrit dans une tendance de « ralentissement structurel » (FMI) depuis 2010 ; auparavant, la Chine enregistrait assez régulièrement des taux de 10 %.

En mai 2020, pour la première fois depuis 1990, le Premier ministre Li Keqiang a annoncé que la Chine renonçait à fixer un objectif de croissance pour l’année 2020 en raison des incertitudes liées au contexte sanitaire et au commercial mondial : « le développement est confronté à des facteurs imprévisibles ». Lors du 13ème Plan quinquennal, l’objectif de croissance avait été fixé à 6,5 % ; pour le 14ème Plan (2021-2025) approuvé en mars 2020 au Parlement, les observateurs évoquaient plutôt le chiffre de 5,5 %.

La croissance du PIB en 2021 a été de 8,1 %, mais avec un fort ralentissement au second semestre. Les prévisions pour 2022 évoquent un taux de croissance du PIB chinois autour de 5 %. Les dernières estimations de Goldman Sachs ont été abaissées à 4,3 % (Hancock, 2022). Le 14ème Plan quinquennal annonce privilégier une croissance qualitative pour la période 2021 et 2025 ; mais, un pays encore marqué par un fort dualisme avec des masses rurales encore très nombreuses et globalement pauvres peut-elle déjà passer à un modèle de développement de pays mûr et développé ?

Pour le moyen et long terme, les perspectives semblent pessimistes. L’OCDE prévoit une forte décélération du rythme de croissance du PIB chinois : il devrait tomber vers 4 % en 2022 ou 2023, pour descendre progressivement à environ 2 % après 2040 (OCDE, 2018). De fait, pour les décennies à venir, les grands moteurs de la croissance calent progressivement.

Dans leurs orientations présentées le 29 octobre 2020, les autorités souhaitent construire un « nouveau modèle de développement économique » centré davantage sur la consommation des ménages. Malgré le rattrapage en 2021 (ventes au détail : + 12 %), les comportements des ménages demeurent prudents en raison des incertitudes liées à la pandémie et au contexte international. La consommation se trouve freinée par une épargne de précaution destinée à faire face à d’éventuelles dépenses de santé et de retraite, en l’absence d’un véritable État-providence. Il est à noter que le ratio de la consommation privée dans le PIB chinois demeure toujours anormalement bas (environ 39 % fin 2019). De plus, le consumérisme est remis en cause par une partie de la population.

Le secteur de l’immobilier a représenté entre un quart et un tiers de la croissance du PIB ces dernières décennies ainsi qu’une large part des recettes des municipalités. Or, ce moteur majeur de l’économie chinoise pendant plus de trente ans traverse une crise grave et durable. La menace de faillite de l’énorme groupe Evergrande mais aussi d’autres groupes immobiliers (Fantasia, Sinic, Kaisa…) marque la fin d’un long cycle de croissance et annonce une sévère crise des budgets municipaux et des économies locales. En raison de la baisse des prix immobiliers, elle risque également d’affecter les ménages eux-mêmes ; non seulement 70 % de leur richesse repose sur un ou plusieurs logements, mais ce patrimoine a été acquis par endettement. À tous égards, la crise de l’immobilier comporte une dimension systémique. Dans leur étude du début janvier 2022, certains analystes soulignent que le modèle de développement de la Chine a atteint ses limites, et que la crise sévère de l’immobilier sera la principale responsable de la « Grande Pause » (Great Pause) de son économie (Hunt et Ashby, 2022). De fait, le taux d’urbanisation (64 % en 2020) est appelé à progresser encore pendant quelques années, avant de devoir être stoppée pour assurer une autosuffisance alimentaire minimale. La fin inévitable et proche de la transition urbaine privera la croissance d’un puissant moteur.

Certes, le numérique s’est développé à grande vitesse : en novembre 2021, la Chine comptait déjà près de 500 millions d’abonnés à la 5G. Mais, pour des raisons politiques, Xi Jinping a mené une guerre sans précédent contre les géants du numérique, entraînant la fragilisation du secteur. Le relais par les hautes technologies reste incertain. À cet égard, certains économistes comme l’ancien ministre des Finances Lou Jiwei critiquent le plan « Made in China 2025 » : « Que des paroles et aucune action !…Du gaspillage d’argent public ! » (Payette, 2019).

Le commerce extérieur, autre puissant moteur traditionnel de la croissance chinoise, apporte désormais une contribution plus faible. Depuis plus de deux ans, le solde net de la balance commerciale ne contribue plus à la croissance du PIB. En septembre 2020, les exportations ont connu une croissance de 10 %, mais de plus de 13 % pour les importations, leur plus forte progression depuis décembre 2019. Cette vague d’importations s’expliquerait par des achats massifs de denrées agricoles (céréales, soja, viande) dus aux inondations catastrophiques du Yangzi et à l’épidémie de peste porcine africaine (PPA) qui a décimé près de la moitié du cheptel chinois ; les achats de minerai de fer et de circuits intégrés ont eux aussi atteint des niveaux records. En 2021, les exportations ont connu une forte progression grâce à la pandémie, mais cette performance risque de ne pas se reproduire si les mesures protectionnistes des pays occidentaux se durcissent.

 

1.3 Une réorganisation de la Global Supply Chain au détriment de la Chine

 

La Chine a assuré son décollage économique en partie grâce à l’attraction d’investissements étrangers massifs, notamment depuis son entrée à l’Organisation mondiale du commerce. Mais, désormais, la Chine, de plus en plus nationaliste et protectionniste, n’apparaît plus comme aussi attractive aux yeux des entreprises étrangères (Leplâtre, 2021).

Dans les années à venir, une vague de délocalisations ou de relocalisations d’entreprises occidentales et japonaises pourrait être observée à destination de leurs pays d’origine ou de certains pays d’Asie du Sud-Est ou de l’Inde, jugés politiquement moins dangereux et aux salaires plus faibles. Si le processus de mise en œuvre devrait prendre un certain temps et si la volonté politique pourrait se voir opposée la résistance de certaines multinationales elles-mêmes, il est probable que le flux d’investissements étrangers à destination de la Chine ralentisse et que la place de la Chine dans les chaînes d’approvisionnement se réduise progressivement. Ainsi, en août 2020, Samsung a annoncé que sa production de PC quitterait la Chine pour le Vietnam, un an après avoir fait de même pour ses smartphones. Encore plus symbolique, Foxconn, premier sous-traitant mondial de l’électronique et fabricant taïwanais de l’iPhone, transfèrera ses unités de production en Inde et considère que « les jours de la Chine comme usine du monde sont comptés ».

 

1.4 Deux écueils majeurs à franchir : la « trappe des revenus intermédiaires » et le « point de retournement de Lewis »

 

Il est certain que le rattrapage du PIB des États-Unis (PIB nominal selon la Banque mondiale fin 2019 : 21 374 milliards $) et de l’Union Européenne (15 592 milliards $ ; 18 419 milliards $ avec le Royaume-Uni), par celui de la Chine (14 342 milliards $) devrait intervenir à relativement court terme. En parité de pouvoir d’achat, elle possède déjà le premier PIB mondial. Toutefois, une étude récente remet en doute le récit proposé par le PCC : un « pays socialiste moderne » en 2035, devenu une puissance riche et dominante en 2049, année du centenaire de la fondation de la République populaire de Chine (Magnus, 2021). Le miracle économique de la Chine serait devenu un mirage.

La Chine est déjà devenue une grande puissance, mais le niveau de PIB/hab. reste assez modeste. L’objectif du 14ème Plan quinquennal est d’atteindre en 2035 un PIB/hab. au niveau des pays « modérément développés ». De fait, le rattrapage sera beaucoup plus long en valeur per capita (PIB courant, Banque mondiale, fin 2019 : États-Unis : 65 118 $ ; Union Européenne : 34 843 $, hors Royaume-Uni ; Chine : 10 261 $). La Chine est encore loin d’avoir atteint le niveau de revenu de certains pays asiatiques comme la Corée du Sud ou Taïwan.

La Chine tombera-t-elle dans la « trappe des économies à revenus intermédiaires » (middle-income trap) ? La théorie décrit un phénomène affectant des économies à croissance d’abord rapide, dont la croissance décroît ensuite jusqu’à stagner à des niveaux de revenus intermédiaires (entre 1 000 et 12 000 $, selon la Banque Mondiale, 2019) sans parvenir à entrer dans la catégorie des économies à hauts revenus. Jusqu’à présent, le modèle s’est appliqué avec davantage de succès à certains pays d’Amérique latine qu’en Asie, où divers pays ont réussi à atteindre des niveaux de revenus comparables à ceux des pays avancés.

Mais, depuis 2010, la croissance chinoise connaît une baisse tendancielle ; certains facteurs de croissance tendent progressivement à s’affaiblir. Globalement, la période des « Trente-cinq Glorieuses » (1978-2013) est en passe de s’achever pour la Chine. Lou Jiwei estimait lui-même en 2015 que la Chine avait 50 % de chance de tomber dans la trappe des revenus intermédiaires ; il considérait que la Chine devait maintenir une croissance de 6,5 % à 7 % par an pour l’éviter (Cai, 2015). Il déplorait en outre que le maintien de la croissance ces dernières années ait été financé par de la dette, et estimait que la dette constituait l’un des principaux problèmes de l’économie chinoise.

Ainsi, en Chine, les facteurs allant dans le sens de la théorie du middle-income trap sont assez nombreux et puissants : ralentissement de la croissance démographique, puis chute après 2030 (- 29 % de la population chinoise entre 2030 et 2070) en raison du sur-vieillissement inéluctable et accéléré lié à l’ancienne politique de l’enfant unique ; forte chute de la population active après 2030 (environ 900 millions), mettant fin à la situation d’une main d’œuvre illimitée et au « dividende démographique » ; risque du « point de retournement de Lewis » (ou « tournant de Lewis » ; « Lewis turning point ») ; forte dégradation de la compétitivité-prix du fait de la hausse des salaires ; ralentissement du flux des investissements étrangers et des exportations ; contexte international hostile ; nécessité de conserver un fort volume de main d’œuvre agricole pour assurer la sécurité alimentaire du pays ; impacts croissants du réchauffement climatique.

Très liée à la théorie de la trappe à revenus intermédiaires, le « point de retournement de Lewis » (1954) s’applique en effet assez bien à la Chine, caractérisée par une économie duale : il prévoit que, dans une économie en développement, les campagnes fournissent dans un premier temps un réservoir de main d’œuvre quasi-illimité à l’essor des industries, notamment urbaines. Dans un second temps, le surplus de main d’œuvre agricole se tarit, les salaires augmentent fortement, la productivité décline, l’investissement chute, la croissance ralentit. Il existe un débat pour savoir si la Chine a déjà atteint son « point de retournement de Lewis ». Pour certains, il a été atteint dès 2010, date à laquelle la main d’œuvre bon marché a baissé et où les salaires ont commencé à fortement augmenter, en accélérant une tendance déjà observable depuis 2003 (Zhang et al., 2011). Le FMI ne prévoit pas que la Chine parvienne à son « tournant de Lewis » avant 2020 à 2025 (Das, M. et N’Diaye, P., 2013). Mais, des phénomènes de pénurie de main d’œuvre commencent à apparaître localement ; de fait, la période de surplus massif d’actifs est terminée.

 

2. Un modèle socio-politique confronté à des bouleversements et risques majeurs à venir

 

2.1 Effondrement démographique et sur-vieillissement

 

De l’avis de tous les observateurs, la question démographique représentera l’un des facteurs critiques du déclin de la Chine. Selon certains démographes, la Chine est « à bout de souffle » (Attané, 2016). En 2027, selon les projections, la population indienne devrait dépasser la population chinoise. Ce sera donc la première fois dans l’histoire de l’humanité que la Chine ne sera pas la première population du monde. Bien plus, toutes les projections à l’horizon 2100 voient la population chinoise baisser drastiquement. Les projections de l’ONU évoquent un chiffre d’environ un milliard (World Population Prospects 2019) ; mais, une étude plus récente de la prestigieuse revue médicale Lancet envisage un chiffre encore plus faible, à 731 millions d’habitants (derrière le Nigéria), soit une baisse de moitié en moins d’un siècle (Vollset et al., 2020).

Les premiers signes de ce « population crash » sont déjà bien visibles. La publication du 7ème recensement en mai 2021 a montré une baisse historique du nombre des naissances, tombé à 12 millions (au lieu de 14,6 millions en 2019) et la chute de l’indice de fécondité à 1,2 enfant par femme. Un article du Financial Times a estimé que la population avait déjà baissé pour la première fois depuis 1961 ; ce que les autorités se sont empressées de démentir tant une telle baisse pourrait affecter le moral de la population et le discours nationaliste. Mais, si ce n’est déjà le cas, la population chinoise va entamer son déclin dès 2022. En 2021, le nombre de naissances est tombé à 10,6 millions, 11,5 % de moins qu’en 2020. Selon He Yafu, dès 2022, le nombre des naissances va tomber à moins de 10 millions, alors que le nombre des décès va dépasser 10 millions. La population chinoise va commencer à baisser. L’autorisation accordée en octobre 2015 d’avoir deux enfants (puis trois enfants en mai 2021) n’a eu pour l’instant aucun effet.

Non seulement la population sera moins nombreuse mais elle sera également beaucoup plus âgée. Le recensement indique que le nombre des personnes âgées de plus de 60 ans (donc à la retraite dans le système chinois) a déjà atteint 264 millions en 2020, soit 18,7 % de la population totale et 5,4 % de plus qu’en 2010. Dès 2050, le nombre des plus de 60 ans devrait passer à 487 millions, soit environ 35 % de la population chinoise (Anonyme, Xinhua, 2019). Ce choc démographique pourrait comporter certains effets positifs (Turner, 2021). Mais il représentera surtout un énorme fardeau pour les finances publiques et les familles, pèsera sur la croissance, perturbera la global supply chain et nécessitera la création d’un État-providence à la place de la politique du tout-croissance. À partir de 2028, le déficit du régime de retraites devrait connaître une explosion (Anonyme, Caixin Global, 2019). Le gouvernement estime qu’en 2050 plus de 26 % du PIB devra être consacré aux personnes âgées (elderly care), au lieu de 7 % aujourd’hui (Zhou, 2019). Le système ancestral de la piété filiale (, xiào) qui a longtemps permis d’assister les vieux parents sera soumis à rude épreuve ; d’ores et déjà, on compte près de 120 millions de « nids vides » (空巢, kōng cháo) (vieux parents vivant sans leurs enfants). Le sur-vieillissement et le déclin de la population comporteront également de lourds enjeux en termes de sécurité nationale.

 

2.2 Retour de la question sociale : nouveaux riches, nouveaux pauvres, nouveaux précaires

 

Les données officielles du Bureau national des statistiques montrent une certaine baisse de l’indice de Gini entre 2008 (0,49) et 2015 (0,46), puis une légère augmentation. Cependant, le niveau réel des inégalités de revenus serait proche de celui du Brésil (0,53), l’un des pays les plus inégalitaires du monde. Les inégalités de patrimoine sont encore bien plus marquées : 1 % des ménages détiendraient environ un tiers du patrimoine national.

    • Les riches

L’épidémie de Covid-19 a encore renforcé les inégalités sociales. Les riches consommateurs chinois ont retrouvé leur engouement pour les produits de luxe, poussant le cours de Bourse des géants français du secteur. Globalement, le marché du luxe en Chine a augmenté d’environ 30 % en 2020 ; certains évoquent même le terme de « revenge shopping » (shopping de revanche) pour qualifier ces achats post-Covid. Les riches, dans l’incapacité de se rendre en Europe, ont acheté en Chine elle-même, notamment en ligne.

Malgré, ou plutôt grâce à l’épidémie, la Chine a connu également, au moins dans un premier temps, un phénomène d’enrichissement sans précédent de ses grandes fortunes, notamment dans le secteur du numérique et de la santé, comme le montre le rapport annuel Hurun Global Rich List, fondé sur le classement des principales fortunes du pays. En 2020, la Chine comptait 1 058 milliardaires en dollars (hors Hong Kong et Macao), devant les États-Unis (696) ; ils étaient 799 en 2019.

La crise sanitaire a largement profité aux pionniers du numérique : Jack Ma (Alibaba, première fortune de Chine) ou Pony MA (Tencent/Wechat). À une échelle un peu plus réduite, on trouve Wang Xing, créateur de Meituan, entreprise de livraison de repas, qui a quadruplé sa fortune. Le patrimoine de Richard Liu, patron de JD.com, géant du e-commerce, a doublé. Il a doublé pour Jiang Rensheng, fondateur de l’entreprise de vaccins Zhifei.

L’offensive de Xi Jinping en 2021 contre les géants du numérique a fait plonger leur cours de bourse. Le 18 août 2021, son appel à « ajuster les revenus excessifs et à encourager la richesse à revenir dans la société » à travers la notion de « prospérité commune » s’efforce de corriger des inégalités ayant atteint des niveaux sans précédent.

Néanmoins, si les données officielles relatives aux revenus sont peu fiables et si les fortunes sont sujettes aux changements de politique et aux divers aléas (sanitaires, boursiers…), l’habitat des riches constitue, lui, un phénomène observable et incontestable (Giroir, 2006a, 2006b, 2012, 2014…). Les nombreuses enquêtes de terrain autour des grandes villes chinoises et l’élaboration d’une base de données à partir de sources immobilières chinoises ont montré l’importance numérique, la diversité et le niveau de luxe parfois extravagant de l’habitat des riches Chinois dans les gated communities (en chinois : 别墅区 : « zones de villas »), enclaves résidentielles privées, fermées et sécurisées. Le cas le plus extrême est représenté par la mise au jour de gated communities de châteaux observées dans les périphéries de Pékin ou Shanghai, rendant quelque peu dérisoire le slogan de « prospérité commune ».

    • Éradication de la pauvreté absolue, pauvreté ordinaire, nouveaux pauvres et précaires

La question des pauvres et de la pauvreté est centrale pour un grand pays communiste comme la Chine. En 2015, le président Xi Jinping a promis qu’il n’y aura « plus de pauvres en Chine en 2020 ». De fait, le Parti communiste chinois met en avant à juste titre la baisse de près de 800 millions de pauvres depuis 1978. Contrairement à l’Inde, il n’existe pas à proprement parler de bidonvilles en Chine et l’extrême misère y est très peu visible.

Néanmoins, face aux sombres perspectives économiques à moyen et long terme, les succès enregistrés dans la lutte contre la pauvreté pourraient s’avérer de courte durée. Ainsi, fin décembre 2021, devant le Politburo, Xi Jinping lui-même a rappelé que la Chine doit s’assurer de ne pas revenir à une pauvreté à grande échelle (Zhang, 2021). Il est vrai que le seuil de pauvreté officiel (4 000 yuan/an, soit à peine 41 €/mois) a été fixé à un niveau tellement bas que la moindre baisse de la croissance risque d’affecter sévèrement ces populations très fragiles.

De fait, le mythe du « zéro pauvreté » a éclaté avec l’épidémie de Covid-19. En réalité, l’éradication de la pauvreté promise ne concerne que la pauvreté dite « extrême » (difficulté à se nourrir et à s’habiller), et non la pauvreté « ordinaire » ; la précision n’est pas toujours effectuée dans la presse ou les discours officiels. En réalité, le nombre de pauvres varie considérablement selon le critère retenu : avec moins de 5 $/jour, niveau restant très modeste, près de 40 % des Chinois seraient « pauvres ». Dans sa conférence de presse de mai 2020, le Premier ministre Li Keqiang lui-même est venu rappeler que « 600 millions de personnes à revenus moyens, faibles ou inférieurs ne touchent que 1 000 yuan par mois (environ 125 €) (site du ministère Affaires étrangères, 28 mai). Cette somme ne suffit même pas à payer le loyer d’un appartement dans une ville de taille intermédiaire ». Un nombre encore très important de la population souffre de mal-logement, comme le montre le cas extrême et assez marginal mais symbolique du million de personnes habitant à Pékin dans des souterrains (anciens abris et tunnels anti-aériens, bases d’immeubles sans eau ni électricité, ni vrais sanitaires, etc), et surnommées la « tribu des rats » (migrants pauvres) ou la « tribu des fourmis » (jeunes diplômés pauvres) (Yu, 2020 ; Saint-Paul, 2020).

La question du chômage en Chine, pays communiste, reste taboue. De fait, les statistiques chinoises ne comptabilisent que les chômeurs urbains enregistrés, hors travailleurs migrants et travailleurs indépendants. En 2021, le taux de chômage officiel a été de 5,1 % % ; mais, selon certaines études, il serait du double.

En effet, en mai 2020, Li Keqiang avait précisé : « À cause du Covid-19, des personnes vont peut-être retomber dans la pauvreté ». De fait, l’année 2021 inaugure peut-être un cycle de crise sociale. La guerre commerciale, le ralentissement de la croissance et la crise sanitaire ont également créé de « nouveaux pauvres ». Elle a connu une vague de faillites de petites entreprises qui ne manqueront pas d’avoir des impacts négatifs sur l’emploi. Des licenciements massifs ont eu lieu dans certaines grandes entreprises ou des start-ups de la tech (Kuaishou ; Alibaba ; Tencent ; New Oriental ; Didi ; ByteDance…), frappées par les mesures réglementaires draconiennes de 2021. La plupart ont enregistré de lourdes pertes et ont licencié entre 10 % et 30 % de leur personnel selon les services.

Une partie de la masse de migrants ruraux temporaires (民工, mingong) est revenue dans les campagnes faute de travail sur les chantiers urbains. En mars 2020, le nombre de migrants ruraux est passé de 291 millions à 129 millions. Une part des jeunes diplômés n’a pu entrer sur le marché du travail. Certaines Zones Économiques Spéciales tournées vers l’exportation, comme celle de Shenzhen (20 millions hab.), ont beaucoup souffert des tensions commerciales avec les États-Unis. Nombre d’entreprises ont dû licencier ou réduire les salaires.

Au sein du gouvernement a eu lieu un débat sur la stratégie à adopter pour résorber ces « nouveaux pauvres » : pour Li Keqiang, il conviendrait plutôt d’autoriser à nouveau l’économie informelle et les petits vendeurs de rue ambulants autrefois interdits pour des questions d’image et dont l’absence constituait même un critère de bonne gestion municipale. Le 28 mai 2020, à contre-courant du discours dominant et de Xi Jinping lui-même, Li Keqiang, économiste pragmatique, a déclaré que la Chine est devenue, pour partie, un pays de la « gig economy » (économie de petits boulots, 打零工, ou plus généralement des « emplois flexibles », 灵活就业, allant des petits boulots aux emplois à temps partiel ou multiples) : « De nos jours, plus de 100 millions de personnes sont employées dans des nouvelles formes d’emploi et d’activité et environ 200 millions de personnes travaillent dans ‘l’économie de petits boulots’ ». Il propose que le gouvernement les aide et supprime les restrictions entravant leur développement. Li Keqiang a annoncé l’arrivée sur le marché du travail de 14 millions de jeunes sur le marché du travail en 2021. Pour Xi Jinping en revanche, il faut privilégier l’obligation faite aux entreprises d’État de recruter les surplus de main d’œuvre.

Par-delà les variations de la conjoncture, les personnes âgées dans les campagnes représentent déjà, et surtout représenteront une masse considérable de « nouveaux pauvres » (Kang, 2020).

 

2.3 Des défis idéologiques et politiques majeurs dans un futur contexte de décélération de la croissance

 

Les véritables défis politiques devraient commencer pour le régime. Depuis 1978, le PCC a obtenu sans difficulté l’adhésion majoritaire de la population grâce à la forte croissance et à la promesse, en partie réalisée, de partage de ses dividendes. La sortie de la misère des années maoïstes a été bien pilotée par le parti. La tragédie et la tache indélébile de Tian’anmen ont été oblitérées par le coup politique de Deng Xiaoping : en janvier 1992, son voyage dans les provinces du Sud a relancé (partiellement et temporairement) les réformes économiques en Chine et fait rebondir le PIB.

En revanche, le nouveau contexte annoncé de faible croissance du PIB ne manquera pas d’exacerber les tensions sociales et territoriales, et d’interroger la pertinence du modèle de développement. Le PCC pourrait avoir mangé son pain blanc. La succession de Xi Jinping, ou même les dernières années de son mandat probablement renouvelé en 2022, pourrait s’avérer une période d’instabilité politique à la tête de l’État. La stratégie consistant à ne faire état que des bonnes nouvelles, fondement de la propagande du PCC et de sa légitimité, ainsi que du moral méthodiquement entretenu de la population chinoise, pourrait se trouver mise à défaut. Lou Jiwei, ancien ministre des Finances, a bien montré que les statistiques officielles sont loin de refléter la réalité du pays (Anonyme, Bloomberg, 2021).

La lutte contre les idées pro-démocratiques constitue également un enjeu majeur pour le régime (Ranade, 2013). En 2013, le Document n° 9 intitulé « De la situation dans la sphère idéologique » représente une série d’instructions du Comité central à l’usage des cadres du Parti (Pedroletti, 2014). Initialement prévu pour une stricte diffusion interne, il a été divulgué par un universitaire chinois. Il établit la liste des « sept périls » (ou « sept sujets dont on ne discute pas ») qui menaceraient la suprématie du PCC : les valeurs universelles ; la liberté de la presse ; la société civile ; les droits civiques ; les erreurs historiques du PCC ; le capitalisme de connivence au sein du pouvoir ; l’indépendance judiciaire. Déjà en 2011, Wu Bangguo, ancien vice-Premier ministre, avait établi la liste des « cinq interdictions » en Chine : la démocratie multipartite ; le pluralisme idéologique ; la séparation des pouvoirs ; le fédéralisme ; la privatisation.

Mais l’absence totale de libéralisation du régime est-elle tenable dans la durée pour une société de plus en plus urbanisée, éduquée, mobile, informée ? La Chine peut-elle devenir une sorte de méga-île coupée de l’information, des idées extérieures, comme une forteresse assiégée, à l’abri de ses multiples murailles (Grande muraille numérique, etc) ? Certains hauts responsables font état de leurs inquiétudes : Jia Qingguo, ancien doyen de l’École des études internationales de l’Université de Pékin et membre de la Conférence consultative politique du peuple chinois, alerte sur le surcoût exponentiel du contrôle absolu de la société et évoque le spectre de la chute de l’URSS (Mai, 2022).

La société chinoise est sous contrôle total mais elle évolue, et parfois dans un sens non conforme à ce que souhaiterait le régime. Certaines injonctions au sacrifice au nom de la patrie sont désormais rejetées par une partie de la population, sans doute encore minoritaire. Le système hyper-productiviste fait apparaître certaines critiques. Le système des heures de travail 996 (996工作制), où l’employé travaille de 9 h du matin à 9 h du soir, 6 jours par semaine, soit 72 h hebdomadaires, fait l’objet de débats, voire parfois de critiques. Norme dans de nombreuses entreprises Internet en Chine, certains considèrent qu’il s’agit d’une violation des lois nationales prévoyant une durée hebdomadaire de travail de 44 h maximum et d’une forme d’« esclavage moderne » fondée sur un mélange de capitalisme globalisé et de culture confucéenne. Des protestations ont été diffusées sur GitHub en mars 2019, tandis que des recherches universitaires ont commencé à mettre au jour une « culture du travail excessif ». Des cas de suicide d’employés ont été signalés dans certaines entreprises comme Pinduoduo (deux décès en 2021). Un employé de l’entreprise montrant son collègue décédé emporté par une ambulance a été licencié. Certains médias d’État, tout en défendant l’« esprit de l’ardeur à la tâche » (hard-working spirit), dénoncent les excès du système 996.

Certaines industries commencent à connaître des difficultés à recruter des jeunes ; le métier d’ouvrier est devenu répulsif. Selon le ministère de l’Éducation, en 2025, le secteur manufacturier devrait manquer de 30 millions d’ouvriers (Nulimaimaiti, 2022).

Le phénomène tǎng píng (躺平 ; « s’allonger à plat »), a fait également son apparition sur les réseaux sociaux en 2021 et désigne un mouvement social plus global, de plus en plus populaire, même s’il est difficile à mesurer (Chen, 2021). Il concerne des jeunes qui refusent la pression sociale considérable régnant en Chine. Ils préfèrent « rester à plat, sans désir ni revendication ». Il s’agit d’un mouvement de résistance passive, d’anti-consumérisme, d’anti-productivisme, conçus comme seuls refuges possibles dans une société trop encadrée. Il passe par divers refus : acheter un appartement, une voiture, se marier, avoir des enfants. La nouvelle « politique des trois enfants » fait l’objet de moqueries, voire de réprobation dans les jeunes générations. On parle parfois de « jeunesse à faible désir » (低慾望青年) mais qui souhaite défendre la subjectivité humaine en Chine. Cette jeunesse désenchantée considère que la Chine est en proie à un processus d’« involution » (内卷, nèi juǎn) et ne se retrouve que partiellement dans la recherche de biens matériels (Anonyme, Le Vent de la Chine, 2021). Les médias d’État s’efforcent de s’opposer à ce phénomène et le qualifient de maladie chronique ou de « soupe de poulet empoisonnée » et en interdisant le mot « tangping » sur les réseaux sociaux. À l’autre extrémité des générations, le productivisme risque également de se trouver en porte-à-faux avec le sur-vieillissement de la société. L’idéologie du tout-croissance pourrait se trouver remise en question dans une Chine de plus en plus gérontocratique.

 

3. Défis environnementaux : vulnérabilités, risques et insécurités

 

3.1 Vulnérabilité critique au changement climatique et aux méga-risques « naturels »

 

La Chine sera l’un des pays les plus affectés par le changement climatique. L’Administration Météorologique de Chine (CMA) a ainsi déclaré que l’année 2021 avait été la plus chaude depuis 1961.

    • La fonte accélérée des glaciers himalayo-tibétains, une menace majeure pour la sécurité hydrique

D’après le dernier rapport alarmant du GIEC publié en août 2021, l’accroissement accéléré des températures (+ 0,35 °C en moyenne par décennie depuis 1960) sur le Plateau du Tibet-Qinghai représente une menace vitale pour la sécurité hydrique de la Chine et de plusieurs pays asiatiques (Anonyme, The Straits Times, 2021). La superficie totale de ses glaciers est passée de 53 000 km2 à 45 000 km2 au cours des cinquante dernières années. Une étude montre que, lors de la dernière décennie, la fonte des glaciers himalayens a été « exceptionnelle » et s’est accélérée à un rythme supérieur à celui des autres grandes masses glaciaires dans le monde (Lee, 2021).

Actuellement, il est ainsi possible d’observer une augmentation du débit des cours d’eau et une extension des lacs tibétains ; la fréquence et l’intensité des avalanches, glissements de terrain, crues et inondations catastrophiques témoignent également du réchauffement climatique et occasionnent pertes humaines et dégâts matériels. Toutefois, après 2050, le rapport du GIEC souligne que la réduction du stock disponible de glace et de neige entraînera une tendance inverse à la réduction du débit des cours d’eau et menacera l’approvisionnement hydrique des populations et de l’agriculture. La raréfaction des ressources en eau constitue un risque majeur aux puissantes réactions en chaîne sur l’ensemble de l’économie et de la société, en Chine mais aussi dans une partie de l’Asie.

    • Relèvement du niveau de la mer et phénomènes météorologiques extrêmes

Le relèvement du niveau de la mer menace à terme les plaines et deltas côtiers où se concentre une partie importante de la population et des actifs économiques du pays. La Chine possède 126 000 km2 de territoires situés à moins de 10 m du niveau de la mer ; ils représentent la plus grande concentration démographique et économique mondiale vivant dans des zones côtières basses. Une étude approfondie sur les « niveaux marins extrêmes » (extreme sea levels) provoqués par les tempêtes et les fortes marées montre que la Chine présente un risque particulièrement élevé aux inondations marines (3 % de son territoire, 37 millions de personnes, 33 % du risque d’exposition global) (Muis et al., 2016).

Les médias officiels mais aussi certains chercheurs semblent divisés sur le sujet. Certains ont essayé de relativiser, voire de minimiser la gravité du relèvement du niveau de la mer (Ji, 2019). Ils considèrent que, d’après le China’s third national assessment of climate change publié en 2015, le rythme d’élévation du niveau de la mer au niveau des côtes chinoises est plus faible que dans les travaux dits occidentaux (+ 2,9 mm/an entre 1980 et 2012 ; au lieu de + 1,7 mm/an entre 1901 et 2010). Ils contestent l’idée d’une submersion de Shanghai vers 2050.

D’autres au contraire ont semblé prendre toute la mesure du phénomène (Hu, 2019). Ils considèrent le relèvement du niveau de la mer comme « a big deal ». En 2019, l’annonce du transfert de la capitale indonésienne Jakarta a été un signal d’alarme pour toutes les métropoles côtières en Asie. Une étude chinoise envisage d’ici à 2100 une hausse cumulée du niveau de la mer sur les côtes chinoises de 38 à 49 cm si la température moyenne augmente de 1,5 °C, et de 46 à 57 cm si elle est de + 2°C ; à cela pourrait s’ajouter la subsidence des terrains deltaïques, soit entre 13 cm et 36 cm additionnels (Qu et al., 2020). Dans les pires scénarios, le niveau de la mer pourrait s’élever de 2 m d’ici à 2100. En mai 2021, le ministère chinois de la Protection de l’environnement a estimé qu’il avait atteint + 3,4 mm/an en moyenne entre 1980 et 2020.

La région de Shanghai représente le plus grand foyer urbain à risque de la planète. Selon les travaux de la plateforme scientifique Climate Central, en cas d’élévation de la température de + 4°C, 76 % de la population shanghaïenne serait affectée. Ses cartes interactives suggestives montrent qu’en 2100, une large partie du delta du Yangzi pourrait ainsi être submergée par les eaux marines. Une carte de risque (risk map) fait apparaître la gravité de la situation dès 2050. D’autres grandes villes comme Shantou, Hong Kong, Tianjin, Shenzhen, ou les côtes du Jiangsu et du golfe de Bohai seront touchées. D’ores et déjà, deux lignes de défense sous forme de digues ont été mises en place dans le delta ; de même, les rives des cours d’eau traversant Shanghai ont été surélevées.

Les graves inondations du Yangzi et, dans une moindre mesure, d’autres cours d’eau (Fleuve jaune, Rivière des perles, etc) en été 2020, sont venues rappeler la vulnérabilité de la Chine aux risques hydrologiques en dépit d’investissements énormes en matière de barrages et d’endiguement. Malgré le barrage des Trois gorges, les mégapoles de Wuhan (à l’aval) mais aussi de Chongqing pourtant située à 600 km en amont ont été sévèrement affectées par les eaux du Yangzi. Parmi bien d’autres villes, Jingdezhen (Jiangxi), capitale de la porcelaine, a été submergée. La confiance dans la capacité du barrage des Trois gorges à contrôler les inondations a nettement baissé, alors même qu’il s’agissait de la principale justification lors de sa construction. De plus, les autorités auraient procédé à des inondations volontaires plus ou moins transparentes de certaines zones rurales : la population rurale aurait été sacrifiée pour sauver les villes et la patrie. Au total, officiellement, 63 millions de personnes auraient été affectées et 54 000 maisons détruites ; 219 personnes seraient mortes ou disparues ; chiffre invérifiable et sans doute largement sous-estimé. D’immenses espaces cultivés ont été submergés dans plusieurs provinces (Jiangxi, Hunan, Hubei, Anhui). Les méga-inondations du Yangzi ont ainsi provoqué la désorganisation d’une macro-région agricole, urbaine et industrielle où vit 40 % de la population chinoise.

En juillet 2021, les inondations catastrophiques du Fleuve jaune dans la mégapole de Zhengzhou (10 millions hab. ; province du Henan) ont fait 300 morts (estimations officielles), en partie piégés dans le métro et des tunnels routiers, et déplacé 1,5 million de personnes ; un barrage a risqué de rompre.

 

3.2 Retour de la question de la sécurité alimentaire

 

En août 2020, le président Xi Jinping a publié une « instruction » dans laquelle il trouve « choquant et inquiétant » le gaspillage alimentaire de ses compatriotes et juge « nécessaire de maintenir un sens de la crise en matière de sécurité alimentaire ». Certains analystes estiment que cet appel ne serait pas étranger aux pertes massives de récoltes de l’été, montrant la fragilité de la sécurité alimentaire en Chine.

Dans ses vœux de la fin décembre 2021, Xi Jinping a de nouveau insisté sur la nécessité de la sécurité alimentaire. De fait, l’épidémie de Covid-19 a obligé la Chine à redéfinir sa stratégie de sécurité alimentaire. Depuis 1978, la Chine a opté pour une stratégie alimentaire reposant sur plusieurs éléments : achats massifs de certaines denrées à l’étranger (ex. soja) ; achats de terres à l’étranger (land grabbing) ; sur-chimisation de la production céréalière nationale (de fait, assez stable autour de 660 millions t) ; priorité à l’urbanisation comme moteur de la croissance. Cette stratégie a permis d’urbaniser et d’industrialiser les terres cultivées et de faire l’économie d’importants volumes d’eau d’irrigation. L’immobilier a permis de financer les méga-projets urbains via le mécanisme de la cession aux promoteurs des droits de bail fonciers par les villes, de maximiser la valeur ajoutée de terres structurellement assez rares, de rendre la majorité des Chinois propriétaires de leur logement, de tirer l’ensemble de l’industrie (acier, verre, ciment, etc) et de faire émerger de puissants groupes immobiliers. Depuis 2004, la Chine importe plus de produits alimentaires qu’elle n’en exporte. Le déficit agroalimentaire s’aggrave chaque année et représente environ 70 milliards $/an.

La pandémie a remis en question cette stratégie. Les importations agricoles des États-Unis sont devenues politiquement très risquées ; les inondations catastrophiques ont rappelé les vulnérabilités de la production intérieure au changement climatique ; les achats de terre en Afrique ont fait l’objet d’une résistance croissante de la part des ONG et des populations locales. La très grave épizootie de peste porcine africaine sévissant depuis 2018 a contraint à supprimer 120 millions de porcs (et peut-être 250 millions). Le sur-vieillissement des actifs agricoles va devenir un enjeu crucial. Le départ massif des jeunes actifs ruraux sur les chantiers urbains (mingong) laisse énormément de villages en proie à une pyramide des âges très déséquilibrée. Dès 2030, la population rurale de 65 ans et plus représentera 155 millions de personnes.

Dans ce contexte, le gouvernement a réactivé une stratégie d’autosuffisance alimentaire. Le gouvernement rappelle désormais régulièrement un slogan datant de l’époque maoïste : « Le bol de riz chinois doit être fermement tenu entre ses mains à tout moment ». De fait, une large partie de la population chinoise conserve une « mentalité de guerre » (war mentality) et estime que la sécurité alimentaire du pays serait menacée en cas de conflit. Dès 2007, une « Ligne rouge » a été fixée à 1,8 milliard mu (220 millions ha) de superficie cultivée à conserver impérativement. Depuis l’épidémie et la montée de l’hostilité internationale à l’égard de la Chine, se sont multipliés les rapports sur la question foncière ou les constructions illégales : il a été rappelé qu’au cours des dix dernières années, la Chine a connu des pertes nettes cumulées de 500 000 ha de terres cultivées ; massives en Chine de l’Est, elles ne sont que partiellement compensées par des gains au Heilongjiang.

Pour l’heure, ce retour à l’autosuffisance alimentaire est démenti par le recours massif aux importations récentes. Si, traditionnellement, la Chine est un très grand importateur de soja (60 % de la production mondiale), depuis l’été 2020, elle achète également de très gros volumes de blé, d’orge ou de maïs : ainsi, d’habitude autosuffisante en maïs, elle devrait en importer environ 20 millions t. La stratégie d’autosuffisance alimentaire fait aussi l’objet d’un débat au sein même des cercles du pouvoir : le ministre des Finances, Lou Jiwei considère qu’en cas de guerre, la Chine pourra toujours mettre en culture les steppes et les zones humides. Il considère que la Chine devrait davantage recourir aux importations de denrées alimentaires pour maintenir des surplus de main d’œuvre agricole transférables dans les usines et préserver la compétitivité des exportations chinoises.

Mais, s’il est effectif, ce retour à une politique d’autosuffisance alimentaire ne manquera pas d’entraîner une pression supplémentaire sur la surface cultivée et les ressources en eau, alors même que les terres arables sont déjà sujettes à des impacts très lourds : sols en proie à l’érosion (y compris dans les riches terres noires du Nord-Est) ; pollution massive (ex. 56 % des sols dans le Guizhou ; 38 % dans le Guangdong ; 36 % dans le Hunan avec du riz parfois sévèrement pollué au cadmium) ; acidification ; pertes massives de matière organique, etc. Alors même que la Chine est déjà largement le premier consommateur d’engrais (60 millions t, soit 30 % du total mondial) et de pesticides (43 % du total mondial), la recherche de l’autosuffisance alimentaire va encore aggraver la chimisation déjà massive des sols et des eaux. La pollution agricole est déjà bien plus responsable de la pollution généralisée des eaux en Chine que l’industrie elle-même. Dans certaines zones, les terres cultivées contaminées doivent être décapées en surface, dépolluées puis remises en place.

De plus, la remise en question de la stratégie du tout-urbain devrait peser sur la croissance du PIB. La poursuite de l’urbanisation représente en effet une menace majeure pour la sécurité alimentaire du pays : la Chine devra définir un plafond d’urbanisation (80 % ?) à ne pas dépasser, car si tous les Chinois deviennent des citadins, qui va nourrir ces citadins ? Un phénomène de dé-métropolisation et de retour à la terre de grande ampleur n’est pas à exclure.

 

3.3 Défi énergétique : une transition énergétique lente et difficile

 

Le 22 septembre 2020, Xi Jinping a annoncé dans le cadre de la 75ème Assemblée générale de l’ONU que la Chine atteindrait son pic d’émissions de gaz à effet de serre « avant » 2030 (et non plus « vers » 2030) et la neutralité carbone pour 2060, soit seulement dix ans après l’Union Européenne (mais aussi les États-Unis, selon l’engagement de Joe Biden, ou le Japon). Dans un discours davantage politico-poétique, Xi Jinping a aussi déclaré que « des collines vertes aux eaux bleues sont des collines d’or et d’argent ».

Pour autant, le flou sémantique demeure. Xi Jinping n’a donné aucun détail sur le sens exact du terme « neutralité carbone », ni sur le type de compensations que ce terme pourrait inclure, ni sur l’évolution des engagements de la Chine vis-à-vis des Accords de Paris. La promesse d’atteindre le pic des émissions de gaz à effet de serre peut aussi signifier une carte blanche pour augmenter fortement leur volume d’ici à cette date. Les experts ont été déçus que la Chine n’ait pas avancé la date du pic des émissions de carbone.

    • La renaissance du charbon

Surtout, la transition énergétique s’avère pour le moment incertaine. Bien plus, depuis 2016, les statistiques montrent un rebond de la production charbonnière ; le coal peak a donc été repoussé. En 2021, la Chine a produit 4 milliards t de charbon, production énorme et équivalente à celle du reste du monde, à laquelle s’ajoute un volume d’importations d’environ 300 millions t, faisant de la Chine le plus grand importateur de charbon au monde. La décroissance de la part du charbon dans le mixte énergétique a ralenti ces dernières années : – 0,2 à 0,4 %, au lieu de – 1,4 à -1,8 % entre 2013 et 2015. Les capacités de production charbonnière ont fait l’objet d’investissements massifs : + 46 GW en 2018 et 2019 (56 GW dans le solaire et l’éolien pendant la même période). Les pénuries d’électricité de l’automne 2021 ont conduit les autorités à rouvrir plusieurs grandes mines de charbon. Selon l’Agence Internationale de l’Énergie, les émissions de CO2 en Chine ont augmenté de 500 millions t en 2021. Malgré l’essor des énergies renouvelables, la production électrique issue des centrales au charbon a augmenté de 330 TWh entre 2019 et 2021, soit + 7 %.

Le déclin de la part du charbon dans le mixte énergétique ne signifie donc nullement la baisse de la production de charbon. En outre, les moyennes statistiques nationales masquent de fortes variations inter-régionales du mixte énergétique : ainsi, dans la province du Hebei (autour de Pékin et Tianjin), 87 % de la consommation d’énergie continuent de dépendre du charbon (au lieu de 59 % pour la Chine, fin 2018, Bureau National des Statistiques). Une large partie des 3 000 centrales électriques au charbon en Chine sont désormais ultra-critiques et n’émettent pas plus qu’une centrale au gaz naturel ; mais, le terme de « charbon propre » mis en avant par les autorités apparaît abusif.

On notera que d’après le BNS, à la fin 2018, la part du charbon dans la production totale d’énergie en Chine a été de 69,3 %, soit exactement le même niveau qu’en 1980 (69,4 %)…En réalité, la part du charbon avait augmenté dans les années 1980, 1990 et 2000 (d’environ 10 %), avant d’amorcer une lente diminution et de revenir à son niveau de 1980.

    • Les énergies non-carbonées

Les énergies non-carbonées ont connu une très forte croissance, notamment depuis la Loi sur les énergies renouvelables de 2006. Mais divers éléments de relativisation doivent d’être apportés et l’appréciation du degré d’avancement de la Chine dans la transition énergétique varie beaucoup selon le critère adopté.

Les énergies renouvelables représentent 31 % de la production électrique (18 % en 2000). Toutefois, fait rarement évoqué, la montée de la part relative des énergies renouvelables dans la production énergétique totale est due en partie à l’effondrement de la production pétrolière chinoise. De plus, fin 2019, les énergies renouvelables ne représentent encore que 14 % de la consommation énergétique totale (France : 31 % ; Allemagne : 40 %) ; il s’agit d’un doublement en vingt ans, mais à partir d’un niveau très faible (4 % en 1978). Malgré des investissements considérables, la part des énergies renouvelables dans la consommation demeure encore marginale. En outre, les subventions considérables à l’éolien et au solaire ont été brusquement stoppées en mai 2018 (politique « 531 ») pour limiter le coût considérable pour le budget de l’État. La baisse de moitié du prix d’achat du kWh a provoqué un effondrement des investissements dans le secteur.

Les barrages hydroélectriques produisent encore 80 % de l’électricité d’origine non-carbonée. Mais, les impacts sociaux (déplacement massif de population et appauvrissement des déplacés : environ 25 millions depuis 1949), environnementaux (submersion de vallées entières ; désorganisation de l’hydrologie ; eutrophisation des affluents, etc) et géopolitiques (notamment pour les fleuves internationaux comme le Mékong et le Brahmapoutre, etc) freinent leur développement, dont la part reste inchangée à environ 18 % de la production énergétique chinoise.

Le solaire et l’éolien, les seules énergies vraiment durables avec des faibles impacts environnementaux et sociaux dans les immensités steppiques et arides du pays ne représentent encore que 8 % de la production électrique en raison de la faiblesse du temps d’utilisation des capacités de production (quatre fois moins élevé dans les centrales solaires que dans les centrales thermiques au charbon) de ces énergies intermittentes.

Pour sécuriser son approvisionnement énergétique et atteindre ses engagements en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre, la Chine mise massivement sur le nucléaire. Fin 2019, la Chine possédait environ 50 réacteurs nucléaires en opération (environ 50 GW de capacité) générant environ 5 % de la production électrique en Chine. Lors de la COP26, elle a annoncé la construction de 150 nouveaux réacteurs civils d’ici à 2030. À noter cependant que, pour l’Union Européenne, le nucléaire est considéré comme une énergie de transition.

Au total, il faut bien distinguer les évolutions en part relative et celles des quantités absolues. Si la part du charbon tend à décliner lentement dans la consommation énergétique, cela ne signifie nullement que la production ou la consommation de charbon baisse en tonnage. La Chine continue d’investir massivement dans le charbon. Simplement, elle investit encore plus dans le solaire et l’éolien (et le nucléaire). Par ailleurs, si un jour la production de charbon baisse, la transition post-charbonnière s’annonce très douloureuse pour de nombreuses provinces (Shanxi ; Liaoning ; Shaanxi ; Mongolie intérieure ; Hebei, etc) et villes liées au charbon. La reconversion sociale, économique, fiscale, paysagère, urbanistique de vastes territoires miniers sera inévitablement très lente et difficile comme elle l’a été et l’est encore, à une échelle pourtant bien plus réduite, dans les vieux bassins houillers européens. La Chine n’aura guère de difficultés à mobiliser des ressources financières et humaines considérables pour accélérer le développement des énergies renouvelables, même si cela suppose une remise en question de la politique d’arrêt des coûteuses subventions décidée récemment. En revanche, la transition sociale et territoriale sera beaucoup plus longue.

De plus, la Chine reste et restera longtemps le principal consommateur d’énergie au monde. Depuis dix ans, sa consommation d’énergie a augmenté au total d’1 milliard TEP (consommation totale des États-Unis : 2,1 milliards TEP) ; la demande énergétique est en croissance régulière, malgré une réduction de l’intensité énergétique. En outre, la Chine recourt de plus en plus à des importations de charbon, notamment de la République populaire de Mongolie. Elle est devenue également importatrice nette de pétrole depuis 1993 et ses importations dépassent le chiffre considérable de 500 millions t de brut.

 

3.4 Défis sanitaires : le cas de la pollution de l’air et de l’eau

 

    • La pollution de l’air, un grave problème persistant, malgré des améliorations

En 2014, le gouvernement chinois a lancé la « guerre contre la pollution ». Des progrès avaient déjà été constatés depuis le milieu des années 2000, mais cette nouvelle politique a très fortement accéléré la lutte anti-pollution et des progrès parfois spectaculaires ont été enregistrés. Depuis dix ans, les émissions de dioxyde de soufre (S02) ont baissé de 75 %, même si la Chine reste encore le 3ème émetteur mondial, derrière l’Inde et la Russie. Le niveau des pluies acides a aussi beaucoup baissé même s’il demeure encore assez grave en Chine du Sud, surtout dans les métropoles et leurs périphéries. Entre 2014 et 2018, la pollution aux particules fines PM 2,5 à Pékin a chuté de moitié. En 2021, pour la première fois, la qualité de l’air à Pékin a satisfait au standard national, avec un niveau moyen de PM 2,5 de 33 mgr/m3 (Xie, 2022). Ardent défenseur des Accords de Paris, la Chine est très largement le premier investisseur mondial dans les énergies renouvelables.

Malgré ces succès indéniables, la question de la pollution de l’air en Chine est loin d’être résolue. En 2020, la Chine est restée très largement le premier pollueur de la planète en volume total avec 11 milliards t de dioxyde carbone (CO2) (4,9 milliards t aux États-Unis), soit 29 % des émissions globales, et une multiplication par cinq depuis 1990. Toutefois, il faut le souligner, en termes relatifs, la Chine reste pour l’instant un assez faible émetteur de gaz à effet de serre/hab. avec environ 7 t de CO2 (USA : 16 t ; Allemagne : environ 9 t ; France : 4,5 t).

Avec l’effet retard de la pollution, le cancer du poumon est devenu la première cause de cancer en Chine, en totale contre-tendance avec les pays développés ; le tabagisme y contribue également. Dès 2015, le cancer du poumon en Chine a représenté 36 % des nouveaux cas de cancer du poumon dans le monde. Il est prévu que la mortalité par cancer du poumon en Chine augmente de 40 % entre 2015 et 2030 (Cao et Chen, 2019).

En outre, si les teneurs moyennes en particules fines connaissent en effet une baisse parfois spectaculaire, les pics de pollution n’ont pas du tout disparu (ex., pour la première fois, l’alerte rouge dans 32 villes en janvier 2017). De plus, la pollution à l’ozone a en partie pris le relais de la pollution aux particules fines.

Selon le dernier rapport de l’ONG Clean Air Asia, près de la moitié des villes-préfectures chinoises (157 sur 337) ont réussi à atteindre en 2019 une teneur en PM 2,5 mg/m3 égale ou inférieure au seuil national de 35 mg, soit 36 de plus qu’en 2018. Mais, la situation s’est dégradée dans toutes les villes du Liaoning, et dans la plupart de celles du Shaanxi et du Shandong. Des cadres de la ville de Linfen (Shanxi), haut-lieu historique de la pollution, ont été sanctionnés pour avoir falsifié les données des capteurs de pollution atmosphérique, faisant planer un doute sur la sincérité des données d’autres villes. Depuis 2018, une nouvelle tendance à la dégradation a été observée dans des mégapoles comme Xi’an (+ 10 % en 2019), Tianjin ou Chongqing.

À Pékin même, la situation reste très fragile, comme le montre l’épisode de smog sévère à la mi-février 2020, malgré le confinement ; d’où le mécontentement consécutif sur les réseaux sociaux. La baisse de la moyenne des PM 2,5 en 2021 masque un fort contraste entre des jours sans pollution et des jours parfois sévèrement pollués (cf. le site aqicn.org). Ainsi, le 5 novembre 2021, un épais smog (PM 2,5 supérieures à 220 mg) a obligé Pékin à fermer certaines autoroutes et à suspendre les activités scolaires en plein air. Le 22 janvier 2022, l’indice AQI pour Pékin a été qualifié de « mauvais » avec un niveau de PM 2,5 de 179.

Les mesures utilisées dans la guerre contre la pollution ont été souvent trop radicales. La pression énorme exercée sur les cadres locaux sous la forme d’objectifs parfois inatteignables et de menaces de sanctions sévères s’est traduite parfois par des coupures d’électricité brutales ; d’où le recours à des groupes électrogènes encore plus polluants ou parfois l’absence de chauffage dans les écoles en plein hiver. Après le déconfinement, la priorité absolue est devenue l’emploi et la croissance ; d’où le rebond de la pollution à partir du mois d’avril 2020. Ainsi, parfois les niveaux de PM 2,5 se sont avérés supérieurs à ceux d’avant la crise du coronavirus (ex. + 10 % à Shanghai). La reprise de la croissance a bien eu lieu, mais une « reprise sale » (dirty recovery). Ainsi, selon les estimations de la World Steel Association, en avril 2020, la part de la Chine dans la production mondiale d’acier a été portée à 62 % (au lieu de 54 % un an plus tôt) ! Cela reflète la politique de relance économique de l’État et l’importance des investissements publics dans la rénovation des zones résidentielles, l’hydraulique ou les transports ferroviaires. Les cours du minerai de fer ont augmenté de 20 % en un mois.

    • La pollution de l’eau

À bien des égards, la pollution de l’eau en Chine, pourtant moins médiatique, est bien plus grave et difficilement réversible que celle de l’air. La pollution de l’eau est diffuse et ubiquiste dans la quasi-totalité du territoire chinois (à l’exception des immensités périphériques), car elle résulte de la pollution agricole, urbaine et résidentielle. La distribution des « villages du cancer » imputable à la consommation d’eau toxique montre son caractère généralisé.

La qualité de l’eau a fait de nets progrès par rapport à la situation catastrophique du début des années 2000 mais reste globalement grave, et parfois localement très grave. En 2003, les deux tiers des cours d’eau avaient une qualité d’eau de niveau IV, V ou V+ (toxiques au toucher ; le niveau I correspond à une eau non-polluée) ; en 2018, cette part est tombée à un tiers, auxquels il faut toutefois ajouter un autre tiers pour une situation grave. Globalement, entre 40 % et 50 % des cours d’eau sont sévèrement pollués, notamment pour leurs sections aval ou urbaines : à Tianjin, 95 % des eaux ont une qualité de niveau égal ou pire que le niveau IV ; à Pékin, 40 % d’entre elles sont de niveau plus mauvais que le V. Certains fleuves sont biologiquement morts, notamment la Hai (bassin hydrologique de Pékin et Tianjin).  Le delta de la Rivière des perles (villes de Shenzhen, Canton, Dongguan, Foshan…) constitue le plus gros foyer de pollution de l’eau en Asie orientale. Les données du ministère de la Protection de l’environnement, globalement favorables pour la Rivière des perles, s’avèrent trompeuses car elles globalisent la partie amont, peu polluée, et le delta, aux eaux particulièrement polluées.

De nombreuses provinces ne parviennent pas à atteindre leurs objectifs de réduction de la pollution ; avec parfois même une dégradation au Sichuan, en Mongolie intérieure ou au Shanxi. Entre 80 % et 90 % des eaux souterraines sont de qualité mauvaise ou très mauvaise, sans grande amélioration possible. Dans les eaux marines, où se déversent la masse des eaux usées et polluées continentales ainsi que les rejets des fermes aquacoles, se multiplient les marées vertes, rouges ou brunes. Les estuaires, baies et golfes de Chine ont des eaux très polluées (ex. le golfe de Bohai, désormais impropre à la pêche) ou extrêmement polluées (ex. baie de Hangzhou, delta de la Rivière des perles). Ainsi, en juillet 2021, la ville de Qingdao (Shandong) et sa baie ont connu la plus grande marée verte de leur histoire.

 

3.5 La politique de la « Grande muraille verte » : entre propagande et débats scientifiques

 

La politique de reforestation tient une place de choix dans le discours d’auto-satisfaction et d’auto-promotion des autorités en matière d’environnement et de lutte contre le réchauffement climatique. De fait, la politique de « Grande muraille verte » (三北防護林 ; Sānběi Fánghùlín), lancée en 1978 et devant s’achever en 2050 (ou 2074 selon d’autres sources) semble avoir enregistré certains résultats encourageants : fin 2018, le taux de couverture forestière de la Chine est passé de 5 % à 13,5 %. Aucun pays au monde ne plante autant qu’arbres que la Chine. Depuis 2004, on observe une tendance à la contraction des surfaces désertiques, ce qui représente une inversion de tendance historique. Des succès significatifs ont été marqués dans certains déserts, comme celui d’Ordos.

Pourtant, les critiques ne manquent pas, y compris de la part de chercheurs chinois. Au vu des résultats souvent plus que mitigés dans d’autres territoires, les « murailles vertes » (Sahel ; Algérie, etc) font l’objet d’un actif débat entre chercheurs. En outre, certains contestent le terme même de « reforestation » : en Chine, soit on plante des arbres sous forme de rideaux forestiers, mais on ne crée pas de véritable écosystème forestier dense et continu avec un sous-bois et une riche biodiversité ; soit, le plus souvent, on plante des végétaux (buissons, arbustes, herbe…) plutôt que des arbres proprement dits ; il faudrait plutôt parler de re-végétalisation plutôt que de reforestation. D’autres chercheurs font ressortir le faible taux de survie des plantations, ainsi que l’évapotranspiration additionnelle, donc la diminution des maigres ressources hydriques locales.

Sur un plan statistique, le solde net est certes négatif, mais avec un chiffre marginal (- 12 000 km2 de déserts entre 2009 et 2014) et des phénomènes d’avancée du désert dans certaines régions (ex. l’oasis de Minqin). En réalité, il s’agit moins d’une véritable inversion du processus de désertification que d’une stabilisation à un haut niveau ; en effet, on considère que selon le rythme actuel très lent de décroissance, il faudra 300 ans pour annuler la désertification des dernières décennies.

La réduction de la fréquence des tempêtes de sable est un phénomène avéré. Mais, d’une part, elle est peut-être due au changement climatique, et d’autre part, elle semble s’accompagner d’une plus grande gravité des tempêtes de sable, comme le suggèrent les épisodes de Pékin en avril 2015, mai 2017 et avril 2020. Certains chercheurs chinois comme le célèbre botaniste Jiang Gaoming dénoncent un énorme gaspillage de fonds publics pour de maigres résultats ; selon lui, la désertification constitue un phénomène irréversible et planter en masse des arbres (ou des végétaux) dans un désert où il n’y a jamais eu d’arbres serait un contre-sens, une aberration contre-nature.

 

Conclusion

 

Au total, les tendances de fond négatives ou incertaines se multiplient en Chine et devraient s’aggraver au fil du temps. À l’évidence, le modèle de développement de la Chine rentre dans un nouveau cycle totalement différent de celui des « Trente-cinq glorieuses » précédentes. Les dysfonctionnements et dérèglements des structures qui ont fait le rattrapage de la Chine après 1978 sont d’ordre systémique. Ces dynamiques négatives s’ajoutent aux contraintes extérieures croissantes (cf. article I). En réalité, les deux dynamiques intérieures et extérieures interagissent et se renforcent mutuellement.

 


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