« Vers une nouvelle typologie marchande en contexte de Covid-19 », par Corinne Luxembourg et Nicolas Lebrun
Le développement de la pandémie, et les mesures de confinement mises en place pour la contrôler font de ce virus un acteur géographique important. Depuis un mois, l’organisation spatiale des activités commerciales a forgé des habitudes, rendant aux espaces publics quelques contours d’un ordinaire dans le même temps qu’elle dessine ceux d’un après marqué par le souvenir (et les perspectives probables) du confinement.
Les conditions d’ouverture telles qu’elles ont été édictées reposent sur trois indications simples : seuls les commerces de première nécessité sont autorisés d’ouverture, la vente en ligne est autorisée, la consommation sur place (restauration) est proscrite. Leur mise en oeuvre a suscité rapidement débats et interprétations : un bureau de tabac (autorisé) est-il vraiment un commerce de première nécessité ? Pouvait-on maintenir la vente à emporter à la condition que les salles de restauration restent fermées ? N’y a-t-il pas de possibilités de maintenir des marchés alimentaires en plein air au prix de quelques aménagements ?
A ces interrogations se sont parfois ajoutés des arrêtés locaux. Le maire de Sanary-sur-Mer, enjoint à la verbalisation toute personne n’effectuant pas d’achat groupé à la boulangerie. Il s’en expliquait : « Quand on va acheter le pain tous les jours, comme d’habitude, on multiplie le risque d’autant. » ; autre exemple : l’arrêté anti-alcool de la préfecture de l’Aisne, pris afin de limiter les violences intrafamiliales, pourtant rapidement retiré.
L’organisation du commerce physique des temps de confinement, éliminant du paysage tout ce qui n’apparaît pas de première nécessité, reporte la fréquentation sur le commerce en ligne, voire même l’amplifie. Nombreux sont les témoignages de salarié.es d’entreprise de livraison qui indiquent une très forte augmentation des achats de vêtements ou d’équipements numériques. Le cas des boutiques de produits culturels est assez révélateur. Quand la plupart des librairies n’a pas les moyens de mettre en oeuvre ces services par correspondance, les grandes plateformes non seulement y parviennent mais le développent au prix de conditions de travail dangereuses pour des personnes souvent employées de façon précaire.
Cette opposition va bien au-delà de ces seuls secteurs. Avant la crise, la vente en ligne était souvent une activité source de revenus complémentaires pour de petits commerces physiques, qu’ils soient indépendants ou franchisés. Aujourd’hui, le report de leur activité économique globale sur ce seul canal devient une condition de leur survie. Ce n’est évidemment pas le problème pour une grosse enseigne. Mais certains n’ont pas les moyens humains ou techniques de ce changement brutal : s’ils ne sont pas en position de transférer leur activité sur la vente à distance, alors qu’ils ont déjà un site internet, ils sont souvent contraints de différer la livraison à l’après-crise. En revanche, les pure player dont le modèle économique reposait sur la seule vente en ligne sont peu affectés, même si les plus petits d’entre eux maîtrisent moins la chaîne logistique. Dans cette guerre des grands contre les petits, le grand s’en sort bien mieux.
La révolution du commerce en ligne, amorcée au début des années 2000, alors même que la VPC traditionnelle apparaissait obsolète, entre, du fait de la crise du Covid, dans une phase d’accélération. Elle a fait une première vague de victimes dans les années 2000 pour ceux qui n’ont pas su diversifier leurs canaux, qu’ils soient issus du commerce physique (Mim, Surcouf) ou internet (Menlook). Le fait aujourd’hui qu’une enseigne comme André, et ses 150 franchisés, ait déposé le bilan le 31 mars, témoigne de cette seconde vague. Cette reconfiguration commerciale condamne non plus seulement ceux qui ne sont pas prêts au multicanal, mais ceux qui ne sont pas en capacité de basculer d’un canal à l’autre en un temps record.
Nicolas Lebrun
Géographe spécialiste des dynamiques marchandes et commerciales
Université d’Artois
et
Corinne Luxembourg
Géographe spécialiste de l’expression spatiales des inégalités
ENSA Paris-La Villette.
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