[Lu sur la toile] « Confinement : tous en route vers la détresse psychique ? Entretien avec Olivier Milhaud »

Nous ne sommes pas égaux dans le confinement. La privation d’espace étudiée par le géographe Olivier Milhaud dans ses travaux sur les prisons, est une véritable épreuve pour certains. Comment analyser les symptômes qui nous guettent ? Entretien avec Olivier Milhaud (Sorbonne Université) sur le blog Géographies en mouvement.

 

Les premières études sur le confinement des Chinois nous parviennent. Et la revue General Psychiatry montre combien le stress dû à la peur de la contamination et au confinement drastique formate un rapport à l’espace domestique très brutal. Est-ce étudié en sciences sociales en dehors du cas des prisons ?

 

Olivier Milhaud : Bien sûr, les sciences sociales se sont beaucoup intéressées au cas de la rétention administrative pour étrangers. Il faut bien distinguer ce qui pourrait relever de l’enfermement volontaire comme cela se passe dans les monastères, de l’expérience scientifique dans une grotte, de l’exploration spatiale, de l’enfermement contraint (prisons, centres de rétention, quarantaine, psychiatrie, etc). La peur de la contamination joue à différentes échelles : chez soi, ce sont nos proches qui, revenant de dehors, peuvent nous contaminer. Dans l’enfermement contraint, comme en prison, la peur de la contamination est décuplée par le fait qu’on ne connaît pas, dans la majorité des cas, le ou les codétenus ou qu’on ignore qui était dans la cellule juste avant. Entre La Peste de Camus et l’humanité qu’elle révèle et le Huis Clos de Sartre ( «l’enfer c’est les autres»), on est plus du côté sartrien. Beaucoup de détenus commencent par nettoyer à fond la cellule dans laquelle ils sont affectés. Rendre propre un lieu, c’est aussi le rendre propre à soi, se l’approprier. La grosse différence, c’est qu’on est dans l’épidémie actuelle enfermé chez soi, dans un lieu qu’on connaît bien, déjà approprié, mais qu’on va redécouvrir. Pour celles et ceux qui n’ont pas de jardin, le manque de contact avec la «nature» pourrait être aussi difficile à gérer.

 

Une autre étude chinoise, pilotée par le Dr Jianyin Qiu qui a épluché plus de 50 000 réponses à questionnaires évoque l’anxiété, la dépression, les phobies, les comportements compulsifs : pourquoi la privation d’espace engendre-t-elle tant de détresse psychique ?

 

Ce n’est pas que la privation d’espace, mais aussi la crainte de la mort qui se joue derrière, la vulnérabilité, la dépendance radicale à autrui. Je n’ai pas en tête d’étude précise sur les condamnés à mort qui peuvent vivre cette incertitude de la date de leur exécution. La privation d’espace est, bien évidemment, une contrainte qu’il faut compenser, certains par la suractivité, d’autres par la passivité et la prise d’anxiolytiques. Mais l’absence de contacts faciles avec les proches complique encore plus le rapport au temps et au futur : le chômage de facto, l’incertitude sur les revenus, la santé qui se dégrade à cause de la sédentarité et du confinement, tout cela nourrit la détresse psychique des détenus en prison comme de la population libre en confinement sanitaire.

La privation d’espace engendre de la détresse psychique par les conséquences qu’elle implique. On va finir par comprendre que la privation de liberté est assurément une peine afflictive. Au Moyen-Âge, cela semblait insupportable d’incarcérer une personne plusieurs jours. Aujourd’hui, ne sombre-t-on pas dans la cruauté en condamnant des gens à des années, voire des décennies de prison?

 

Les femmes seraient plus touchées que les hommes, dans le cas des familles confinées. Et les plus âgés aussi. Pourquoi le confinement serait-il perçu différemment selon le genre et l’âge ?

 

Cela m’a un peu surpris pour être honnête, vu la meilleure résistance des femmes dans les camps de concentration. Je me demande s’il n’y a pas une angoisse plus forte pour les proches dont elles se sentiraient plus investies, plus responsables, pour les soins du quotidien (qui ne se limitent pas à l’alimentation mais intègrent pleinement la sécurité affective). Il est vrai que les hommes ne montrent pas toujours la même attention aux soucis des enfants, même s’il est, bien évidemment, délicat de généraliser (les statistiques sur le partage des tâches ménagères montre néanmoins des choses indiscutables). Je ne connais pas assez la Chine pour savoir ce qui pourrait, dans la culture du pays, accroître la détresse féminine.

Pour l’âge, je pense que les personnes âgées ont vite compris qu’elles étaient et les plus vulnérables et les moins prioritaires à l’hôpital en cas d’engorgement. L’heure de la mort risque donc d’arriver beaucoup plus tôt que prévu. Mais là encore, il faut impérativement l’avis de sinologues pour distinguer des régularités valables pour la Chine, et d’autres valables pour l’Europe, sur le rapport à la mort, à la vieillesse, à la collectivité, etc.

Comme l’ont bien montré Dominique Lhuilier et Aldona Lemiszewska, dans Le choc carcéral. Survivre en prison, nous n’avons pas tous et toutes les mêmes ressources, économiques, culturelles (heureuses celles et ceux qui aiment lire !), relationnelles, biographiques. J’ai toujours une pensée pour celles et ceux sans internet, ou à la rue. D’un côté, ils et elles connaissent toutes les ficelles de la survie (un savoir longtemps méprisé dans une société d’abondance hypermobile), de l’autre, ils et elles sont en première ligne, les plus vulnérables.

 

L’isolement au-delà de quinze jours a montré des symptômes de stress plus importants. A-t-on étudié l’impact du temps dans les cas de confinement ? En Chine, des consultations psychologiques ont eu lieu à distance, des numéros verts institués, etc. Peut-on prévoir cela en France ?

 

Plus l’isolement dure, plus c’est difficile… jusqu’à ce qu’on s’adapte (si on y arrive). C’est d’autant plus facile qu’on connaît la date de sortie. Pour les prisons, Anne-Marie Marchetti a parlé dans son livre Perpétuités du temps infini des longues peines, où l’on compte le temps, imagine des passe-temps (jouer aux cartes, regarder la télé, mener des petits trafics, etc.), trouve une régularité dans le sport (se réapproprier son corps et une identité virile, par exemple). Mais est-ce comparable? Le confinement sanitaire ne va jamais durer des décennies. Surtout, l’isolement est plus ou moins généralisé : on n’est pas dans le cas de l’incarcération où se rajoute le stigmate judiciaire et moral de la punition. Il y a une forme d’égalité dans cette expérience nationale du confinement sanitaire, qui vise à se protéger et protéger les autres, pas du tout une mise au ban d’une fraction de la population pour la punir.

Les consultations psychologiques à distance seraient plus que recommandées. Il va falloir s’attendre à un triomphe des thérapies brèves type Thérapie comportementale et cognitive (TCC) sur la psychanalyse au long cours. Ces thérapies brèves sont remarquables pour traiter les symptômes, pas les causes profondes (l’inquiétude existentielle). Elles ont été pensées par temps de guerre pour repartir plus rapidement au combat. Mais les conséquences sur la longue durée, c’est tout autre chose. Néanmoins, beaucoup de psy préfèrent les consultations en face à face, la communication à distance ne s’improvise pas. C’est ce qu’apprennent tous les enseignants ces jours-ci.

 


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Sur le blog Hémisphère gauche : Anticiper et mesurer les conséquences psychologiques et sociales du confinement

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