[Lu dans la presse] Le changement climatique n’est pas forcément une mauvaise nouvelle, par Sylvie Brunel

Les discours catastrophistes sont démobilisateurs et ne tiennent pas compte de la capacité des hommes à innover et à coopérer. D’autant que la Russie, le Canada et l’Alaska bénéficient plus qu’ils ne pâtissent du réchauffement climatique, défend la géographe dans une tribune parue dans Le Monde (26/06/2019).

 

 

Et si nous remettions un peu de sérénité dans nos existences ? Une planète bientôt invivable nous est prédite. Les cris d’alarme répétés jettent les jeunes dans la rue et rendent nos modes de vie anxiogènes. Beaucoup d’entre nous se sentent désormais coupables de profiter du confort et de la mobilité, et s’imposent des sacrifices au nom de la survie de la planète. Certains en viennent à détester l’humanité, au point de voir en chaque bébé une mauvaise nouvelle.

Loin d’être constructifs, de tels discours ont un effet démobilisateur, clivant. Il y aurait les bons, ceux qui vivent conformément au respect de la planète, et les mauvais, qu’il faudrait excommunier, voire éliminer. La haine se déchaîne.

Pourtant, la géographie, cette science des territoires et des ressources, qui mobilise les échelles d’analyse et la comparaison dans le temps et dans l’espace, nous invite au contraire à traiter les grandes questions de notre époque avec mesure. Non, nous ne courons pas à la catastrophe : certes, les atteintes à la planète sont importantes, mais nous avons désormais les moyens de la réparer. Il n’est aucune irréversibilité.

Certes, le climat change. Certaines régions se trouvent confrontées à un réchauffement marqué et rapide. Le changement climatique n’est pas forcément une mauvaise nouvelle. En ouvrant de nouveaux territoires à l’agriculture et aux forêts, il accélère la production végétale pour le bien commun, puisque les plantes captent le gaz carbonique de l’air et rejettent de l’oxygène en produisant de la matière organique renouvelable. Il permet à des populations confrontées jusque-là à des logiques de survie en milieu hostile, comme celles des hautes latitudes glaciales, d’envisager l’avenir avec espoir grâce à de nouvelles ressources alimentaires et énergétiques. Nous déplorons que ces milieux se transforment rapidement en regrettant un passé idéalisé. Mais les Inuits vivaient dans la faim chronique et sacrifiaient leurs personnes âgées faute de pouvoir nourrir ces bouches inutiles. Dans l’histoire, les périodes chaudes ont toujours été qualifiées d’optimum climatique. Le réchauffement est une bénédiction pour la Russie, le Groenland, l’Alaska, le Canada… D’autres territoires souffrent, mais c’est d’abord la pauvreté qui les rend vulnérables.

 

Une ressource inépuisable

 

Nous ne sommes pas « trop nombreux . Le surpeuplement est une notion relative : la « capacité de charge » d’un territoire dépend des techniques mobilisées pour le mettre en valeur. Une agriculture intelligente nourrit bien plus d’êtres humains à l’hectare sans abîmer les écosystèmes que la chasse, la cueillette ou l’essartage. Quand la pauvreté diminue, la notion de surpeuplement disparaît. Partout où l’on a oublié la peur de manquer, les agriculteurs s’engagent dans cette troisième révolution agricole qui se préoccupe des sols, de la biodiversité,de la captation de carbone, de l’économie circulaire. Or plus le niveau de vie d’un pays s’élève, plus il se préoccupe de son environnement et plus il a les moyens de le réparer. La classe moyenne mondiale s’accroît chaque année de 200 millions de personnes. Cette « moyennisation » de l’humanité nous conduit vers un monde où même les lieux les plus abîmés seront restaurés pour redevenir vivables.

Face au changement climatique accéléré, c’est l’innovation et la coopération qui permettent d’inventer les techniques d’atténuation visant à découpler la relation entre consommation de ressources, émission de gaz à effet de serre et production de bien-être. Partout il faut mettre en place des stratégies d’adaptation des territoires. De tout temps, l’humanité a dû, pour faire face à l’adversité du chaud, du froid, de la pente, du déluge, de la sécheresse, inventer le polder, l’irrigation, la culture en terrasses, les digues, le pastoralisme… mais aussi la ville, qui permet de se rassembler et de stocker les ressources.

Une ressource, d’ailleurs, est toujours virtuelle : tant que nous ne maîtrisons pas la technique qui permet de la valoriser, elle n’existe pas. C’est pourquoi la ressource est inépuisable car elle dépend de l’ingéniosité humaine et de sa capacité à capitaliser les connaissances, ce qui différencie fondamentalement l’homme de l’animal. L’humanité fabrique du pain à partir du blé, élève des animaux qui valorisent l’herbe qu’elle ne peut pas consommer, découvre que, pour s’éclairer et vaincre l’obscurité, le pétrole remplace avantageusement les baleines. Aujourd’hui, elle valorise l’énergie solaire, l’uranium, la biomasse, ou ces terres rares sur lesquelles est fondée aujourd’hui l’économie dite de la connaissance. Apprivoise l’hydrogène, ne cessant d’inventer de nouvelles sources d’énergie qui lui permettent de s’arracher au déterminisme de l’immobilité, de l’obscurité, de la mort précoce, de la peur de l’avenir. Sa capacité de réparation et d’adaptation est inépuisable… à condition d’avoir reçu l’éducation nécessaire.

Croire que les écosystèmes sont figés et qu’il faut les mettre sous cloche pour mieux les protéger est une erreur : il n’y a pas d’optimum, ni climatique ni écologique, de moment idéal où il faudrait arrêter le curseur. Les paysages sont des héritages qui ne cessent d’évoluer au gré de nos priorités. Nous choisissons de planter des arbres, de préserver des animaux, de dépolluer des rivières. Pour rendre la planète plus belle, il faut aider les pauvres à sortir de la pauvreté et permettre le découplage. Nous ne courons pas au surpeuplement, même s’il peut être localisé. La baisse de la fécondité mondiale et le vieillissement de l’humanité nous conduisent même à terme vers notre extinction progressive. Quand le niveau de vie d’une population s’élève, que les femmes accèdent à l’éducation et maîtrisent leur destin reproducteur, la croissance démographique se ralentit, voire s’inverse. Plus de la moitié de la population mondiale vit dans des pays qui n’assurent plus le renouvellement des générations. Et où les préoccupations environnementales se sont renforcées avec l’élévation du niveau de vie. La déforestation, le pillage des ressources, le massacre des animaux ne se produisent que dans les pays pauvres, où l’Etat de droit est faible et où prévaut la tentation du gain rapide au détriment des milieux de vie. Mieux vaut aider l’Africain et l’Asiatique pauvres à se développer que financer des milices armées pour protéger les éléphants et les tigres.

 

Le respect de l’être humain

 

La vision d’une trajectoire linéaire d’érosion de la biodiversité globale et universelle repose d’abord sur une méconnaissance de l’état réel de l’ensemble de la faune et de la flore mondiale, ensuite la référence permanente à une liste rouge des espèces en danger, établie dans les années 1970, enfin l’idée que toute biodiversité est forcément bonne en elle-même, alors que la mondialisation des virus, des bactéries, des prions, mais aussi de certains insectes (poux, puces,moustiques…) fait aussi courir de graves dangers, et pas seulement à l’espèce humaine. Il a fallu vaincre hier la peste, le typhus, la variole… Mais la lèpre, la rage, la tuberculose, le paludisme, le sida, le choléra, les trypanosomiases continuent de faire souffrir les pauvres et peuvent infester ces milieux de promiscuité que sont les grandes villes. L’histoire de l’humanité est celle d’un long combat contre la faim, et contre des pandémies qui ne demandent qu’à revenir si nous idéalisons la nature. Ses défenseurs s’autorisent d’ailleurs un « triage » étrange et arbitraire, massacrant sans états d’âme des espèces qualifiées d’invasives au nom de la prétendue pureté de l’endémisme.

Dans ce milieu profondément « anthropisé » qu’est la ville, une nouvelle biodiversité est en train de naître. Tous nos modes de production sont passés au crible du développement durable. Les avionneurs, les carrières et les énergéticiens se verdissent, l’architecture se réinvente. Comment continuer à utiliser un indicateur aussi biaisé que l’empreinte écologique, qui ne sanctifie que l’immobilité et la pauvreté ? Améliorer le bien-être de l’humanité en utilisant mieux les ressources, quel formidable défi ! Mais il suppose la sérénité et la coopération. Pas les anathèmes contre de prétendus surnuméraires ou contre ceux qui travaillent dans le secteur productif. Pas une idéalisation trompeuse du passé, qui a d’ailleurs existé à toutes les époques. Pas les menaces démobilisatrices d’une fin du monde annoncée, qui n’incitent qu’à l’aquoibonisme. Au lieu de nous demander sans cesse quelle planète nous allons laisser à nos enfants, alors que nous ne savons même pas quels seront les attentes, les besoins et le mode de vie des générations futures, il faut léguer des enfants intelligents et bien formés à la planète, remettre le respect de l’être humain au coeur de nos actions, au lieu de conspuer, d’exclure, d’accuser. Et accorder la plus grande attention à ce qui nous grandit : le respect, la confiance en l’avenir, la fierté du travail bien fait, l’honneur d’une existence digne.

 

La tribune de Sylvie Brunel, auteur de Toutes ces idées qui nous gâchent la vie (JC Lattès), est à retrouver sur le site du journal Le Monde :

Le changement climatique n’est pas forcément une mauvaise nouvelle

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