Stéphane Veyrat : « Mettre plus de bio et de local dans nos assiettes demande de se poser la question du pourquoi »

Et si les menus des cantines scolaires faisaient intervenir au moins 50 % de produits locaux et/ou issus de l’agriculture biologique ? Pour le ministre de l’agriculture Stéphane Travert, ce rêve doit devenir réalité à l’horizon 2022. Par-delà l’effet d’annonce, nous avons demandé à Stéphane Veyrat, directeur de l’association Un Plus Bio, de décrypter pour nous la faisabilité d’une telle décision et les enjeux culinaires et agricoles qu’elles soulèvent.

 

Le ministre de l’agriculture Stéphane Travert vient d’annoncer récemment son intention de légiférer en faveur de l’augmentation de la part de produits bio et locaux dans la restauration collective (50% d’ici 2022). Selon vous, un tel changement est-il possible en seulement 4 ans ?

 

C’est toujours un sacré dilemme l’annonce d’un tel chiffre avec une attente de résultats dans un délai qui peut paraître court. Notre rapport à l’alimentation est complexe, fortement imprégné de notre histoire, de notre éducation. Les résistances sont donc multiples et tenaces.

Au-delà d’un pourcentage, mettre plus de bio et de local dans nos assiettes demande aussi de se poser la question du pourquoi devons-nous aller dans cette direction, au service de quoi ? Pour certains responsables de restauration collective, si l’urgence passe par une évolution des achats alimentaires en faveur de l’agriculture écologique, un changement de leurs pratiques culinaires vers une cuisine de saison et une bonne dose d’accompagnement éducatif peut permettre d’atteindre ces fameux 50 %. Par contre, pour tous ceux qui ont le nez sur le prix et qui vivent la restauration comme une contrainte à gérer, l’exercice va être douloureux.

Notre club de villes et territoires propose par exemple que les productions en conversion bio soient intégrées dès leur première année dans le pourcentage de Bio pour aider les agriculteurs en conversion à trouver des débouchés et pour faciliter la réussite de l’objectif. Malheureusement le ministre et le Président de la République n’ont pas tout à fait dit cela : l’objectif est d’atteindre 50 % de produits bio, locaux ou sous signe de qualité. Le curseur de la part de bio reste donc à fixer et cela questionne sur le local… Une production locale est-elle réellement durable ? Nous pensons que oui seulement si son système de production respecte l’environnement. Local n’est pas automatiquement synonyme de sain !

 

Existe-t-il actuellement en France des exemples de communes où la majorité des produits utilisés par les cuisines collectives sont issus d’une agriculture biologique et/ou locale ?

 

De nombreuses communes et collectivités locales ont fait des bons considérables dans ce domaine. C’est pour cette raison que nous avons souhaité les rassembler afin de leur permettre de partager leur expérience et réussite au sein du Club des territoires Un plus Bio. Plus de cinquante villes, départements et région de toutes tailles ont choisi de porter des actions fortes pour changer l’alimentation avec plus de bio et de local en lien avec leur territoire.

Il y a les villes pilotes comme Mouans Sartoux, Le Rouret, Ungersheim et Grande Synthe qui ont fait le choix du 100 % bio avec une vigilance pour qu’il soit local. Pour s’en assurer, les villes se sont presque toutes engagées dans la labélisation « en cuisine » délivrée par le groupe Ecocert. D’autres, plus grandes, comme Bayonne, Bègles, Dijon, Miramas, Nîmes, Paris, Salon de Provence et Toulouse approchent ou dépassent les 30 % de bio. Il en va de même pour les départements avec l’Ardèche, la Drôme, le Gard, la Gironde et les Pyrénées Atlantiques qui ont tous un programme départemental accompagnant les collèges, voire certaines zones de leur territoire, pour augmenter la part de bio et du local dans les assiettes.

 

Si l’effet d’annonce est séduisant, les enjeux sur le terrain semblent pourtant différents, pour ne pas dire opposés. Peut-on, selon vous, élaborer une politique globale d’approvisionnement en produits bio et/ou locaux intégrant tout à la fois les problématiques des petites cantines situées dans les zones rurales et celles des gigantesques cuisines centrales des grandes villes ?

 

La France a la chance d’avoir encore une diversité de productions et d’acteurs dans son monde agricole et des échelons territoriaux qui peuvent tenter de répondre au défi de l’approvisionnement.

L’enjeu est complexe et les solutions clefs en main peu nombreuses. Pourtant, en définissant bien ses attentes, les points importants sur lesquels on souhaite changer la donne, les réponses sont possibles. Nous avons pu identifier des synergies territoriales surprenantes qui fonctionnent en milieu rural. Dans les Pyrénées Atlantiques, le département joue un rôle majeur pour rendre possible des dynamiques d’approvisionnement notamment en zone de montagne : une charte permet de rassembler les productions bio, locales et fermières, un forum annuel entre producteurs et cuisiniers accentue les rapprochements et l’accompagnement, une politique de formation complète enfin le dispositif.

Les plus grosses villes ont bien sûr des besoins particuliers, notamment en termes de volumes. La demande importante d’une collectivité ayant une grosse cuisine centrale peut sembler infaisable notamment si l’on intègre la dimension locale. Pourtant les villes ont des atouts. Souvent, elles connaissent mieux leur besoin, elles ont des moyens humains en interne pour travailler le dossier et peuvent peser positivement sur l’organisation de micro-filières. Il n’y pas de bons ou mauvais territoires, seulement des territoires avec ou sans projet alimentaire.

 

Alors que la restauration collective représente en France plus de 3,5 milliards de repas servis annuellement, le monde agricole est-il aujourd’hui capable d’assurer un tel approvisionnement ?

 

En matière de production, avec la progression des surfaces en bio, les exploitations agricoles en reconversion et les producteurs qui amorcent une agriculture orientée vers la vente en circuit court, les volumes peuvent être au rendez vous. D’autant plus qu’en restauration collective, les produits frais sans transformation représentent généralement moins de 35% des achats alimentaires. Un repas c’est aussi du pain, des produits d’épicerie, des produits transformés et des protéines animales nécessitant l’intervention d’intermédiaires : il existe déjà des outils collectifs en conventionnel qui pourraient convertir une partie de leurs activités pour satisfaire cette demande sociétale.

L’autre solution, si l’organisation de notre agriculture actuelle ne permet pas de répondre à court terme à la demande, c’est d’innover et de construire les « modèles hybrides » adaptés à ses besoins. Au Club des Territoires Un Plus Bio, nous voyons des villes qui mettent en place des régies agricoles, des ateliers de transformation collectifs, des légumeries mutualisées. L’idée poursuivie n’est pas de se substituer aux professionnels, mais de jouer son rôle comme maillon d’une chaîne vertueuse.

 

De nombreux professionnels pointent du doigt la difficulté de conjuguer utilisation de produits alimentaires de qualité et respect du code des marchés publics. Selon vous, peut-on concilier ces deux impératifs ? Si oui, comment ?

 

C’est mal connaître les marchés publics : la qualité peut être définie dans le cahier des charges et elle peut être prise en compte dans les critères d’attribution. Le cahier des charges peut tout à fait légalement demander des produits bio, ou sous label de qualité. C’est uniquement pour l’origine locale des produits que beaucoup se questionnent. Le ministère de l’agriculture et de l’alimentation, mais aussi l’Association des Maires de France, ont pourtant édité des guides pour savoir comment s’approvisionner localement en respectant le code des marchés publics.

La première chose à faire est déjà d’allotir son marché en créant des lots adaptés à la réalité de la production locale. Il n’est toutefois pas possible d’inscrire dans le cahier des charges une origine géographique des produits. Par exemple, si vous avez un lot fruits et légumes, un producteur d’abricots ou de tomates ne pourra pas répondre car sa production ne répond qu’à une petite partie de la demande. Par contre si vous créez un lot tomate et un lot abricot, il peut candidater. Une fois cet allotissement réalisé, il faut établir ses critères de notation de l’offre en essayant de valoriser les réponses issues de producteurs locaux, par exemple en notant mieux les livraisons en délais court, les réponses permettant d’accéder au calendrier de production ou de visiter la production avec ses convives…

Reste que cette question juridique est un vrai enjeu. L’organisation de notre économie et des règles en matière d’achats de denrées alimentaires a induit de sacrés réflexes, proche de l’autocensure pour ce qui est de s’approvisionner près de chez soi. Même si la législation ouvre la possibilité d’acheter des produits alimentaires de son territoire notamment en bio, les modalités juridiques permettant l’introduction de produits souhaités ne sont pas assez connues. Ecrire ses marchés sur mesure pour déclencher des achats de qualité produits à proximité demandent aussi des compétences et une bonne connaissance des possibilités de son territoire.

 

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