La Chine en 2100 : renaissance ou déclin d’une civilisation ? Essai de prospective. Défis extérieurs (I)

CHINESE BUSINESS CLUB FRANCE CHINE

par Guillaume Giroir
Université d’Orléans

(Cette étude est issue du colloque international de géographie « Dimitrie Cantemir » tenu à Iasi (Roumanie) les 3-5 septembre 2021. Elle sera publiée en 2022 dans les actes du colloque dans la revue Lucrările seminarului geografic « Dimitrie Cantemir » (Université Alexandru Ioan Cuza, Iasi).

 

 

Résumé. Un actif courant historique s’efforce de décrire la génétique des civilisations, leur naissance, développement et déclin. À l’issue d’une trentaine d’années de maoïsme (1949-1978), la Chine se retrouve avec un PIB d’à peine 150 milliards $ (analogue à celui des Pays-Bas), une pauvreté absolue pour 80 % de sa population et une profonde sous-urbanisation (< 20 %). Depuis 1978, la Chine a connu un puissant cycle ascendant de rattrapage dans tous les domaines. Le projet de « grandiose renaissance de la nation chinoise » lancé par Xi Jinping en 2013 semble se réaliser.

Pourtant, de nouveaux éléments vont dans le sens d’une entrée dans un nouveau cycle, descendant cette fois. Cette étude prospective se propose ainsi d’identifier les défis extérieurs majeurs auxquels la Chine est de plus en plus confrontée et qui structureront son futur à l’horizon 2100, ou avant. Dans le prochain numéro de la revue, un second article abordera les défis intérieurs.

Mots-clés : Chine ; cycle de vie des civilisations ; prospective (2100) ; défis extérieurs.

Abstract. An active historical current tries to describe the genetics of civilizations, their birth, development and decline. At the end of thirty years of Maoism (1949-1978), China finally finds itself with a GDP of barely $150 billion (similar to that of the Netherlands), absolute poverty for 80% of its population and deep under-urbanization (< 20%). Since 1978, China has experienced a powerful upward cycle of catching up in all areas. The project of « grand rebirth of the Chinese nation » launched by Xi Jinping in 2013 seems to be coming true.

However, new elements point in the direction of entering a new cycle, descending this time. This prospective study thus proposes to identify the major external challenges with which China is increasingly confronted and which will structure its future on the horizon by 2100, or before. In the next issue of the journal, a second article will address internal challenges.

Key-words : China ; civilization life cycle ; prospective (2100) ; external challenges.

CORRESPONDANCE : guillaume.giroir@univ-orleans.fr

 

 

Introduction

 

Du 19ème siècle à nos jours, un courant historique actif (Mommsen ; Spengler ; Toynbee ; Melko ; Diamond…) s’est attaché à décrire la génétique des civilisations, leur naissance, leur développement et leur déclin. Les différentes étapes du « cycle de vie d’une civilisation » (civilization life cycle) ont été précisées : naissance ; émergence ; croissance ; stabilité ; chute (Targowski, 2009). La population, l’écologie et les ressources ont été identifiées comme les « trois bombes » du « Death Triangle of Civilization ».

L’application de la notion de cyclicité en Chine a été mise en œuvre à travers la théorie des « cycles dynastiques » (dynastic cycle) (Reischauer, 1965) ; l’histoire de la Chine a été décrite comme une succession de dynasties régies par des mécanismes de formation, de développement et de chute.

À l’issue d’une trentaine d’années de maoïsme (1949-1978), la Chine s’est retrouvée avec un PIB d’à peine 150 milliards $ (analogue à celui des Pays-Bas), une pauvreté absolue pour 80 % de sa population et une profonde sous-urbanisation (< 20 %). Depuis 1978, mais surtout l’arrivée au pouvoir du président Xi Jinping en 2013, le terme de « renaissance » occupe une place centrale, voire quasi-obsessionnelle, dans le champ politique. Les slogans promettant « la renaissance grandiose du peuple chinois » (中华民族伟大复兴 ; Zhōnghuámínzú Wěidà Fùxīng) sont omniprésents dans le discours mais aussi l’espace publics. Le développement spectaculaire de la Chine post-maoïste semble corroborer la validité de cette vision historique d’un cycle d’émergence ou de ré-émergence, ou plutôt de rattrapage. De fait, la Chine a connu une période de « Trente-cinq Glorieuses » sur un plan économique, social et géopolitique.

Néanmoins, depuis 2010 et surtout 2020, des signaux de tendances fortement négatives à moyen et long-terme se multiplient dans les domaines économique, socio-démographique, environnemental et géopolitique. En août 2020, le président Xi Jinping lui-même soulignait que la Chine devrait faire face à des « vents contraires de plus en plus puissants » sur le plan international. Dans ses vœux du 31 décembre 2021, il a souligné que « la renaissance de la nation chinoise ne sera pas aussi aisée qu’une promenade dans un parc ».

La question se pose alors de savoir si la « renaissance grandiose de la nation chinoise » initiée depuis la politique de réforme et d’ouverture de 1978 ne pourrait pas être suivie ultérieurement d’une période de déclin ; si à ce cycle ascendant marqué par une formidable croissance économique et une expansion de l’influence de la Chine à l’extérieur ne pourrait pas succéder à moyen et long terme un cycle inverse caractérisé par un processus de déclin et de contraction.

Cette vaste question sera abordée en deux articles publiés de manière consécutive, l’un consacré aux défis extérieurs, le second aux défis intérieurs et au dysfonctionnement croissant du modèle de développement. La présente étude se propose donc d’explorer cette question de prospective à travers trois parties : la première montre que le projet de « grandiose renaissance de la nation chinoise » se heurte à des difficultés croissantes. La deuxième partie fait ressortir la contre-offensive de l’Occident. La dernière met au jour la multiplication des freins à l’expansion chinoise dans les pays asiatiques, africains et latino-américains.

 

1. Le projet de la Chine de « grandiose renaissance de la nation chinoise » au défi des réalités

 

Plusieurs phénomènes semblent accréditer la poursuite d’un cycle ascendant dans la Chine actuelle. Pourtant, divers risques majeurs, réels ou potentiels, sont également identifiables.

 

1.1. Projet de « renaissance », « nouvelle ère » et cycle ascendant

 

Le projet de la Chine est parfaitement clair, assumé et rendu public : il s’agit de rendre la Chine « riche et puissante ». Le projet de la Chine ne s’arrête pas au seul développement. Loin d’accepter une évolution vers la démocratie et une véritable économie de marché, la Chine a conçu la mondialisation comme un outil au service du pays pour accumuler de la puissance et imposer un nouvel ordre mondial conforme à ses valeurs néo-confucéennes et à sa tradition impériale, un monde sino-centré. Le Parti communiste chinois (PCC) considère les démocraties libérales comme décadentes et vante même la supériorité de la « démocratie chinoise ». Le diagnostic tout autant que le rêve de Xi Jinping sont clairement affichés : « émergence à l’Est, déclin à l’Ouest » (Zheng, 2021).

Pour réaliser cet ambitieux projet historique, la Chine en met en place de manière parfaitement méthodique et rationnelle toutes les conditions de base : répression radicale de toute forme de remise en cause de l’unité intérieure politique et idéologique ; contrôle total de la population et de l’information ; système économique hybride ultra-efficace jouant à la fois sur un strict étatisme et certains mécanismes de marché ; méga-projets structurants à l’échelle internationale, comme les Nouvelles routes de la soie ; rattrapage technologique accéléré ; alliances à l’extérieur pour neutraliser les oppositions, créer des dépendances, diviser les blocs opposants, etc. Mélange de stratégie léniniste et de pensée chinoise, le modèle chinois semble d’une grande sophistication conceptuelle tant il mêle des éléments habituellement considérés comme antagonistes : pragmatisme, planification, flexibilité, radicalité, dirigisme, opportunisme, rationalité. Cette puissante machinerie mise en place semble infaillible et irrépressible. En octobre 2019, lors du 70ème anniversaire de la fondation de la République populaire de Chine, Xi Jinping pouvait ainsi déclarer : « aucune force ne peut arrêter le peuple chinois et la nation chinoise dans sa marche en avant ».

    • Une Chine unie par une dynamique d’hyper-nationalisme

Le projet du PCC est très largement partagé par la population chinoise elle-même. La sollicitation permanente de la fierté nationale, du désir de revanche, de la soif de bien-être et de sécurité représentent un puissant élément structurant de la psychologie collective, largement entretenu par une propagande omniprésente dès le plus jeune âge. La nouvelle diplomatie chinoise fondée sur les prises de position agressives, et souvent arrogantes de ses « loups guerriers », reflète les dérives impérialistes de la Chine actuelle. Certains médias officiels, notamment Global Times (Huanqiu Shibao), se distinguent par leurs éditoriaux nationalistes virulents. Le succès populaire de ce tabloïd en a fait en quelques années le numéro deux par sa diffusion. Les célébrations en grande pompe du 100ème anniversaire du Parti communiste chinois et les discours martiaux et triomphalistes de Xi Jinping semblent faire de la Chine un puissant ilot de stabilité et d’unité face à un Occident en proie à des divisions politiques et sociales plus fortes que jamais. Pour renforcer la cohésion sociale, le Bureau d’État de l’information a pris des mesures fortes, y compris en encourageant le recours à la délation contre toute forme de « nihilisme historique », c’est-à-dire tout propos considéré comme pouvant porter atteinte à l’histoire du Parti, à ses héros, à son idéologie et même à la culture chinoise. Désormais, la « pensée de Xi Jinping » est enseignée aux écoliers dès l’école primaire. En octobre 2021, la ville de Tianjin a même été jusqu’à appeler à « étudier l’esprit de Peng Liyuan », l’épouse de Xi Jinping elle-même, chanteuse soprano patriotique et générale d’armée.

En plus d’un renforcement massif des capacités militaires du pays, les bataillons nationalistes des « petites roses » (xiao fenhong), sortes de nouveaux Gardes rouges, défendent avec ferveur sur les réseaux sociaux la politique de Xi Jinping, le PCC et la patrie (Pedroletti, 2017). Toute forme de mise en cause de l’image de la Chine fait ainsi l’objet d’un déluge de critiques de la part de ces internautes zélés. Ainsi, en 2017, la jeune étudiante Yang Shuping lors de sa remise de diplôme à l’Université du Maryland a fait l’éloge de l’« air frais de la libre parole » aux États-Unis ; après un déferlement d’accusations selon lesquelles elle aurait terni l’image de la Chine, elle a dû présenter des excuses publiques.

Les Jeux olympiques de Tokyo en été 2021 ont été l’occasion de débordements patriotiques de la part de ces trolls glorifiant à l’excès les médailles d’or et dénonçant certaines « humiliations nationales ». La médaille d’or du gymnaste japonais Hashimoto devant un athlète chinois a déchaîné la vindicte et la haine de certains internautes chinois ; de même que la victoire de la paire japonaise de tennis de table contre l’équipe chinoise en double mixte. Un badge de l’ancien président Mao a été épinglé sur le survêtement de deux athlètes chinoises de l’équipe féminine de cyclisme sur piste lors de la remise des médailles le 2 août 2021, au risque d’enfreindre la règle de la Charte olympique interdisant toute propagande politique.

Le succès considérable du film de guerre La bataille du lac Changjin sorti en 2021 à l’occasion du 100ème anniversaire du PCC et commandé par le département de la propagande du Comité central du parti témoigne de la ferveur nationaliste d’une large partie de la population.

Une étude (Mai, 2022) menée par l’Université Qinghua sur les représentations des étudiants chinois montre qu’ils ont un haut niveau de confiance dans la capacité de la Chine à atteindre les objectifs de la politique étrangère et dans sa puissance ; cette génération Z se retrouve également dans le partage d’une hostilité commune à l’égard de l’Occident. Elle a un fort sentiment de supériorité et considère les autres pays avec condescendance. Ils pensent que la Chine est juste et innocente, alors que l’Occident est le « Mal ».

    • Une gestion efficace de la pandémie de Covid-19, puissant facteur de légitimation du PCC

Apparue en Chine à la fin 2019, l’épidémie de coronavirus a été l’objet d’une gestion extrêmement rigoureuse de la part des autorités chinoises. Après une période initiale de flottement, la politique du « zéro cas » a eu pour résultat un nombre de décès très limité : 4 636 (données officielles), même si les chiffres réels sont sans doute nettement plus élevés. Même sous-estimé, le nombre de décès en Chine s’avère très loin des catastrophes sanitaires observables aux États-Unis (824 000), Brésil (619 000), Inde (482 000), ou dans la plupart des pays européens (ex. France : 121 000) (données Covid tracker, 3 janvier 2022). Les succès de la Chine en matière de gestion de la pandémie du Covid-19 ont été l’occasion d’un déferlement de commentaires et de déclarations sur la plus grande efficacité, donc la supériorité du système politique chinois sur les démocraties occidentales. Ils ont puissamment contribué à renforcer la légitimité du PCC aux yeux du peuple chinois.

    • Grands travaux pharaoniques et prouesses technologiques

Les médias chinois regorgent de réalisations techniques impressionnantes : méga-aéroports ; méga-barrages ; lignes de TGV…La construction en des temps records d’infrastructures ou de bâtiments est parfois confondante : hôpitaux ; ponts ; tours d’habitation…Les autorités investissent massivement dans les grands programmes d’ingénierie et la « techno-écologie ». Un méga-programme de pluies artificielles vise à rendre cultivable près de 10 % de son territoire. Les projets les plus fous semblent possibles, comme celui de transférer une partie des eaux du fleuve tibétain Yarlung Zangbo (Yalu cangbujiang)/haut Brahmapoutre pour les déverser dans les déserts du Xinjiang, appelée à être une nouvelle Californie ; ou simplement envisagé celui de transférer une partie des eaux du lac Baïkal vers la Chine, etc.

Ces grands travaux paraissent témoigner de la maîtrise croissante de la nature par les autorités, de l’efficacité parfois hors-norme de certaines entreprises et de leur main d’œuvre, ainsi que de la capacité de la Chine à limiter les impacts environnementaux de sa croissance économique. Ils s’inscrivent dans le sillage du mythe de Yugong, ce vieux fou qui déplaça deux montagnes en face de sa maison. Il y aurait donc une sorte d’exceptionnalisme chinois.

Ces dernières années, la Chine a enregistré également une série de succès remarquables dans diverses hautes technologiques : télécommunications (5 G, et bientôt déjà 6 G) ; centrales nucléaires expérimentales au thorium ; résultats très prometteurs de réacteurs à fusion nucléaire (tokamaks) ; missions habitées vers la station spatiale Tiangong ; mise en service du plus grand radiotélescope (Fast) du monde (500 m de diamètre, province du Guizhou) ; nouvelle base de lancement de fusées de Wenchang (Hainan) depuis 2016 ; système de géolocalisation Beidou (concurrent du GPS américain) ; alunissage de Chang’e en 2019 et extraction d’échantillons lunaires, etc

    • Un modèle économique résilient à la crise du Covid-19

Au premier trimestre 2020, en plein cœur de l’épidémie en Chine, la croissance du PIB chinois a été fortement négative (- 6,8 %, au lieu de + 6,1 % pour la période équivalente en 2019) (Giroir, 2020). Mais la reprise économique a été rapide, en forme de V. De fait, en 2020 la Chine a été le seul des grands pays à présenter une croissance économique positive : + 2,3 % au lieu de – 3,7 % pour les États-Unis, – 5 % pour l’Allemagne, – 5,3 % pour le Japon, – 9,1 % pour la France ou – 11,2 % pour le Royaume-Uni.

À l’évidence, la prudence à l’égard des données statistiques économiques en Chine doit représenter un préalable méthodologique, comme de nombreux exemples de leur non-fiabilité ou de leur falsification l’ont amplement démontré (cf. parmi bien d’autres exemples, l’aveu de falsification du PIB par les autorités de la province du Liaoning ou le Li Keqiang Index) (The Economist, 2020). De fait, il existe un débat d’experts sur le niveau réel de la reprise du PIB de la Chine en 2020. Se fondant sur l’avis de plusieurs analystes, un article du quotidien britannique The Guardian affirme que « les chiffres de croissance ne semblent pas coller ». Selon L. R. Miller, directeur de China Beige Book Consultancy (cabinet américain d’analyse de l’économie chinoise), des milliards de yuan d’investissements dans des infrastructures auraient disparu des statistiques de 2019, ce qui aurait eu pour effet de faire apparaître une hausse des investissements depuis le début de l’année 2020. D’autres analystes ont aussi remis en doute la reprise au deuxième trimestre : selon D. Scissors, expert de l’économie chinoise auprès de l’American Enterprise Institute, think tank basé à Washington, la hausse de la production industrielle de 4,8 % en juin aurait été impossible avec seulement 60 % des entreprises ayant redémarré.

Deux visions des choses sont possibles. Certains médias occidentaux évoquent un embellissement des statistiques de croissance qui répondrait à plusieurs objectifs : conforter l’image du pays ; rassurer les investisseurs étrangers ; renforcer le pouvoir du Parti aux yeux de la population chinoise et entretenir son moral ; prévenir toute remise en question de la politique de Xi Jinping ; démontrer la supériorité du modèle politique et économique chinois.

Naturellement, à l’inverse, les autorités chinoises ont beau jeu d’accuser les médias occidentaux de faire un faux procès et de la désinformation, mais surtout de ne pas accepter, par jalousie, que la Chine ait pu mieux gérer l’épidémie de coronavirus et connaisse une croissance économique supérieure à celle des pays occidentaux.

Malgré les incertitudes statistiques, il semble difficilement contestable que l’économie chinoise ait réussi, au moins dans un premier temps, à surmonter la crise sanitaire nettement plus rapidement que les autres grands blocs économiques.

En février 2021, Xi Jinping a pu ainsi annoncer triomphalement la fin officielle de la pauvreté extrême en Chine, alors que, selon les données officielles, elle concernait 80 % de la population en 1979 ; soit la sortie de la misère de près de 800 millions de personnes.

    • Un fort activisme diplomatique, stratégique et militaire

Pour renverser l’ordre occidental, la Chine a besoin d’alliés ; ainsi, elle construit avec méthode certains partenariats forts. La Chine est en train de constituer un méga-bloc continental avec la Russie, le Pakistan et l’Iran. En août 2021, le retrait précipité de la présence américaine en Afghanistan pourrait laisser libre champ à l’influence chinoise (et russe). Le même mois, les manœuvres militaires conjointes entre les armées chinoise et russe confortent la puissance de la Chine dans un affrontement possible avec les États-Unis, notamment dans la perspective de la récupération de Taïwan. La Chine polarise fortement ce bloc pour l’instant en partie discontinu ; le processus d’intégration économique et militaire progresse au fil du temps et des contrats miniers, énergétiques ou d’armement. Cet ensemble de puissances dites « révisionnistes » vise à casser l’hégémonie des pays occidentaux et de leurs alliés (Japon, Inde, Corée du Sud), pour mieux les remplacer.

Les innovations technologiques de la Chine dans le domaine de l’armement, notamment les missiles hypersoniques, contribuent à inverser le rapport de forces avec la puissante armée américaine. Avant 2012, la Chine ne possédait aucun porte-avions ; elle en possède désormais deux ; un troisième est en construction depuis 2018. La Chine, désormais deuxième vendeur mondial d’armement derrière les États-Unis, a pris pied dans certains pays parfois très éloignés : ainsi, elle a vendu de nombreux équipements militaires à l’Algérie (navires de guerre, drones de combat, mortiers, missiles antichars…). Le 1er août 2017, la Chine a inauguré à Djibouti sa première base militaire permanente à l’étranger.

La distribution de vaccins chinois à d’autres pays, vraie générosité ou « diplomatie du vaccin », a été effectuée à grande échelle en direction des pays en développement, notamment africains. En novembre 2021, la Chine a promis un milliard de doses de vaccin anti-Covid-19 au continent africain, sous forme de dons (600 millions) ou de soutien à la production locale (400 millions). En effet, les grands laboratoires pharmaceutiques chinois ont conclu des accords avec certains pays (Égypte, Maroc, Émirats arabes unis…) pour produire localement des vaccins, puis, le cas échéant, les exporter dans d’autres pays.

Au total, toutes les conditions semblent avoir été mises en place pour assurer le plein succès de ce projet de « renaissance grandiose de la nation chinoise ». À peine entamé, ce cycle ascendant espéré et planifié risque toutefois de se heurter à diverses réalités contraires.

 

1.2 Vers un cycle descendant à moyen-long terme : deux scenarii

 

Ces succès récents d’ampleur variable contrastent avec des anticipations bien plus pessimistes pour le moyen et surtout le long terme. Un cycle descendant est déjà en cours et est appelé à se renforcer dans les décennies à venir. Dans ce cadre, deux scenarii sont envisagés.

    • Scénario 1 : effondrement

Dans le sillage des théories de la collapsologie s’appliquant à d’autres pays, voire à la planète toute entière, plusieurs China watchers ont envisagé l’effondrement de la Chine. G. C. Chang a publié un ouvrage au retentissement mondial sur l’effondrement imminent du système financier chinois et de la Chine communiste elle-même, considérée comme un « paper dragon » (Chang, 2001).  Ses prédictions d’abord envisagées pour 2006, ont été reportées à 2011, puis à 2012, sans se réaliser. Selon l’économiste P. Navarro, connu pour ses positions anti-chinoises, l’entrée de la Chine à l’OMC, considérée comme une énorme erreur de la part des États-Unis, lui aurait permis d’échapper à ce scénario catastrophe. Dans son article « China’s Coming Revolution », G. G. Chang (2016) a prédit l’éclatement d’une révolution en Chine découlant de ce qu’il appelle le « nouveau césarisme » et sa politique de plus en plus coercitive en faveur de la « purification idéologique » de Xi Jinping et de « problèmes économiques systémiques ». La même année, Pei Minxin porte également un regard pessimiste sur l’avenir de la Chine (Pei, 2016). Il prend le contre-pied des visions conventionnelles soulignant la résilience du PCC, la prospérité et la puissance en expansion, en mettant au jour un État léniniste à un stade avancé de décadence. De même, R. Irvine s’interrogeait sur l’avenir de la Chine en hésitant entre pessimisme et optimisme (Irvine, 2016).

Shambaugh, professeur de relations internationales et directeur du China Policy Program de l’Université George Washington, pourtant observateur très apprécié et respecté par les autorités chinoises elles-mêmes, est venu donner un certain crédit aux thèses pessimistes de G. G. Chang. Le 6 mars 2015, il publia dans le Wall Street Journal, l’article « The Coming Chinese Crack-up », où il déclare « the endgame of Chinese communist rule has now begun, I believe». Il estime en particulier que l’économie chinoise est « coincée dans une série de pièges systémiques pour lesquelles il n’y a pas d’issue aisée ». Il a publié China’s Future, où il estime que, sans libéralisation politique, la Chine deviendra de plus en plus instable et imprédictible (Shambaugh, 2016).

Dans un registre différent, en novembre 2021, Jamie Dimon, le patron de JP Morgan s’est amusé à parier que la puissante banque américaine survivrait plus longtemps que le Parti Communiste Chinois, s’attirant ainsi les foudres des autorités.

L’effondrisme n’est pas seulement le fait d’observateurs occidentaux ou de prophéties parfois mal intentionnées. Une partie de la jeunesse elle-même est traversée par ce qu’on a appelé la « culture sàng (丧) » ou « culture de l’apocalypse » et plus récemment le phénomène tangping (cf. plus loin). Certains sociologues parlent de « génération de l’effondrement » (collapse generation) (Lin, 2021).

    • Scénario 2 : déclin

Des visions plus analytiques et moins radicales pointent de multiples facteurs structurels ou critiques susceptibles de conduire à un affaiblissement durable, voire à un déclin de la Chine (cf. Tableau).

 

Tableau : Risques et vulnérabilités du modèle de développement chinois

Types de risques et de vulnérabilités
économiques déclin de la compétitivité et de la productivité ; baisse de la croissance du PIB ; flambée du prix des ressources ; trappe des revenus intermédiaires ; crise de l’immobilier
socio-démographiques vieillissement massif et accéléré ; déclin de la population totale et active ; précarisation de la main d’œuvre
environnementaux changement climatique (fonte des glaciers tibéto-himalayens ; submersion des espaces deltaïques ; inondations ; sécheresses…) ; pollution (eau ; air ; sols…)
alimentaires « tout-urbanisation »
politiques conflits internes ; hyper-concentration du pouvoir ; transition post-XI Jinping ; évolutions sociétales ; droits de l’homme
diplomatiques contexte international hostile
sanitaires épidémies ; épizooties
budgétaires surendettement ; financement des retraites ; dépenses sociales

 
 

2. La contre-offensive de l’Occident

 

La volonté des États-Unis de rééquilibrer le commerce sino-américain, la prise de conscience occidentale de la dépendance à l’égard de la Chine dans le domaine sanitaire, les prises de position arrogantes des ambassadeurs « loups-guerriers », les erreurs de la diplomatie du masque, la propagande en faveur de la supériorité supposée du système communiste, l’anti-occidentalisme affiché, sans parler même des doutes sur l’origine de l’épidémie à Wuhan, ont profondément modifié le rapport du monde à l’égard de la Chine (Giroir, 2020). De leur côté, les pratiques parfois arbitraires des États-Unis à l’égard des entreprises chinoises (ou européennes) ont également convaincu la Chine de moins dépendre de l’étranger.

Au total, la parenthèse ouverte par l’adhésion de la Chine à l’OMC en 2001 est en train de se refermer, au moins partiellement. Le 23 mai 2020, Xi Jinping a ainsi déclaré que la Chine était désormais confrontée à un « grand nombre de défis internationaux, notamment…les revers de la mondialisation économique, le protectionnisme de certains pays et l’augmentation des risques géopolitiques ».

 

2.1. La Chine, ou le soft power impossible ?

 

    • Une image durablement dégradée

Pas de véritable puissance sans soft power. Or, un rapport commandé en 2020 par le régime chinois montre que l’image de la Chine s’est considérablement dégradée et que le sentiment anti-chinois n’a jamais atteint un niveau aussi élevé. L’épidémie est venue ruiner les efforts de nombreuses années pour promouvoir le concept de Chinese Dream, censé remplacer l’American Dream, et construire un soft power à la chinoise depuis les années Hu Jintao. Loin de la posture habile de Deng Xiaoping déclarant « La Chine est un pays pauvre et modeste qui souhaite s’insérer dans le système mondial et non le bouleverser » ou de l’ancienne politique de « montée en puissance pacifique » (和平崛起, heping jueqi) et du « développement pacifique » (和平发展, heping fazhan), l’actuelle diplomatie des « loups guerriers » encouragée par les plus responsables de l’État et l’impatience affichée de mettre fin à un ordre mondial fondé sur la démocratie et l’économie de marché ont donné lieu à des stratégies de résistance croissante et parfois à des représailles.

Selon un sondage international mené dans 14 pays entre juin et août 2020 par le Pew Research Center (Washington) et publié le 6 octobre, il apparaît que l’image de la Chine est à un plus bas historique depuis 1978. En moins d’un an, l’image de la Chine et de ses dirigeants s’est littéralement effondrée. C’est ainsi le cas en Australie, où la perception négative de la Chine est passée de 32 % en 2017 à 81 % (dont un bond de 30 % depuis 2019). Le niveau d’opinions défavorables va de 62 % en Italie à 86 % au Japon, en passant par la France (70 %), la Corée du Sud (75 %) ou la Suède (85 %). Aux États-Unis, le manque de confiance dans le président Xi Jinping est passé en un an de 50 % à 77 %.

    • La question des droits de l’homme et de l’universalisme

La Chine conteste l’universalité des valeurs occidentales, notamment la liberté. Il est impossible à la Chine de reconnaître leur universalité sous peine de remettre en cause les fondements mêmes de la civilisation chinoise et ses limites en termes d’humanisme et de libertés civiles et politiques ; sans montrer les failles et les apories de 3 à 4 000 ans d’histoire. La question des droits de l’homme est, à l’évidence, un facteur de grande vulnérabilité pour la Chine en termes d’image, d’influence et de soft power, y compris dans les pays non-occidentaux. Elle se trouve focalisée et régulièrement réactivée sur les grands dossiers hautement sensibles tels que le Tibet, le Xinjiang (minorité Ouïgoure), Hong Kong et Taïwan.

Deux points de vue s’opposent radicalement. Pour la Chine, ces territoires sont une partie inaliénable du pays ; elle considère donc que toute critique étrangère représente une forme d’ingérence et toute révolte locale comme une forme de séparatisme, voire de terrorisme. En outre, la politique méthodique d’unification et de réunification du pays est au cœur des missions historiques et de la légitimité du PCC ; elle correspond sans nul doute également aux attentes de la grande majorité du peuple chinois (au moins Han). Or, le PCC ne s’interdit aucune méthode pour parvenir à cet objectif. Il se trouve donc inévitablement que certaines de ces méthodes peuvent apparaître, ont été ou, parfois, sont des violations des droits de l’homme tels que définis dans la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée en 1948 lors de l’Assemblée générale de l’ONU. En 1966 (avec entrée en vigueur en 1976), deux pactes (le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels) s’appuyant sur la Déclaration universelle de 1948 ont été adoptés respectivement par 168 et 164 pays, sur 193 États membres de l’ONU.

Les multiples exactions menées au Tibet ou au Xinjiang pendant la période maoïste, notamment lors de la Révolution culturelle (1966-1976), sont bien documentées et difficilement contestables. Après 1978, ce que la Chine considère comme une politique d’assimilation nécessaire de ces périphéries pour cimenter l’unité du pays mais aussi une politique sécuritaire radicale non moins nécessaire contre l’islamisme dans le cas du Xinjiang peut être également considéré, en tout ou partie, comme non conforme aux droits de l’homme, voire selon certains comme un « génocide culturel ». Les nombreux documents, parfois issus de fuites de la part de hauts-fonctionnaires chinois eux-mêmes comme dans le cas des Xinjiang Papers (novembre 2021), indiquent certaines pratiques clairement radicales, parfois disproportionnées, voire inhumaines. Parmi ces pratiques, la politique de sinisation des périphéries par l’envoi de colons Han a pour résultat de rendre les ethnies locales (Tibétains, Ouïgours, etc), autrefois majoritaires, démographiquement minoritaires.

Hong Kong a connu d’énormes manifestations en 2019 en faveur du maintien de la démocratie ; l’application par Pékin de lois sécuritaires draconiennes en mai 2020 a mis fin à nombre de libertés civiles et politiques, en particulier à la liberté de la presse (ex. fermeture des médias Apple Daily et de Stand News en 2021, considérés comme « séditieux »). Dans le cadre du nouveau processus électoral imposé par Pékin, le taux de participation aux élections du Conseil législatif des 20 élus au suffrage universel est tombé en décembre 2021 à 30 % des inscrits, témoignant de la désapprobation d’une population nourrie aux valeurs démocratiques. Entre la mi-2020 et la mi-2021, la population de Hong Kong a baissé de 90 000 hab. (soit 1,2 %), dont la majorité sous la forme d’exil.

Le cas de Taïwan (« République de Chine ») est hautement problématique. Considérée depuis 1949 comme une « province renégate » par Pékin, Taïwan est une société démocratique qui a élu en janvier 2016 (56,1 % des voix) puis réélu en janvier 2020 (57,1 % des voix), Mme Tsai Ing-wen, présidente indépendantiste. Actuellement, la population taïwanaise est majoritairement favorable au statu quo.

Xi Jinping s’est engagé à récupérer Taïwan. L’asymétrie des forces est considérable. La Chine use de tous les moyens (infiltration, propagande, harcèlement par des incursions répétées d’avions de chasse dans l’espace aérien, intimidation, construction d’une base aérienne sur la côte du Fujian, etc) pour essayer d’éviter une réunification par la force ; sans succès à ce jour. Bien plus, la reprise en main autoritaire de Hong Kong risque d’avoir un puissant effet repoussoir sur les électeurs et donc d’accroître encore le vote indépendantiste.

Une réunification par la force, quelles qu’en soient les modalités, ne manquera pas d’avoir un coût politique et économique très élevé pour la Chine. La Chine peut-elle se le permettre à l’heure où elle entre dans une phase de fort ralentissement économique et démographique ? Ou, au contraire, une telle réunification peut-elle précisément constituer un palliatif ou un dérivatif temporaire à cette crise annoncée et consolider le pouvoir communiste ? La priorité récente accordée à l’autosuffisance du pays dans tous les domaines semble constituer une méthode de minimisation par avance des impacts potentiellement lourdement négatifs d’une telle réunification non consentie.

De même, certains stratèges chinois voient dans cette situation d’hostilité quasi-généralisée à l’égard de la Chine une opportunité historique pour des expansions territoriales : au Ladakh ; en mer de Chine méridionale ; et surtout à Taïwan. Le postulat est que l’image de la Chine ne peut pas être beaucoup plus mauvaise qu’actuellement, que les États-Unis sont affaiblis et que la stratégie d’auto-développement permettra de limiter les impacts négatifs d’une crise majeure sur l’économie chinoise.

Au total, les méthodes utilisées dans tous ces territoires remettent en cause l’image que la Chine voudrait donner d’elle-même : une grande puissance bienveillante, pacifique et raisonnable. Naturellement, la dénonciation récurrente desdites méthodes constitue également un moyen commode pour les grandes puissances rivales de contenir la Chine et de limiter son rayonnement.

    • Le recul des Instituts Confucius

Lancés en 2004 par le PCC, les Instituts Confucius avaient pour mission de diffuser la langue et la culture chinoises, mais aussi de contribuer au rayonnement du soft power de la Chine. Il visait à donner une bonne image du pays et du parti. La promotion de la Chine du passé et de sa civilisation devait faire oublier la Chine communiste actuelle. Les valeurs confucéennes étaient censées proposer une alternative aux droits de l’homme occidentaux. Il était question d’ouvrir 1 000 Instituts d’ici à 2020. De fait, leur nombre a connu une véritable explosion pour atteindre un pic d’environ 550. Néanmoins, depuis 2019-2020, cette expansion a été stoppée net et de nombreux Instituts Confucius ont été fermés par divers pays d’accueil, notamment dans les pays occidentaux. En 2021, 93 Instituts Confucius ont été fermés.

Aux États-Unis, le nombre des Instituts Confucius, considérés depuis août 2020 comme des « missions étrangères », devrait passer de 110 en 2019 à 32 fin 2021. Plusieurs pays européens (Suède, Danemark, Norvège) ont fermé tous leurs Instituts Confucius. Le premier Institut Confucius en Europe a été créé en Suède en 2005 au sein de l’Université de Stockholm ; il a été fermé en 2015. En décembre 2020, la Suède a fermé quatre autres Instituts Confucius. En avril 2020, elle a fermé son dernier Institut Confucius. En mars 2020, la Norvège avait fermé tous ses Instituts Confucius. En 2021, l’Institut Confucius de l’Université Libre de Bruxelles a dû fermer ses portes sur une accusation d’espionnage de son directeur chinois.

En 2021, la ministre allemande de l’Éducation a demandé à toutes les universités du pays de mettre fin à la coopération avec les Instituts Confucius. Dès 2020, ceux des universités de Hambourg et de Düsseldorf ont été fermés. En Suisse, celui de l’Université de Bâle a également été fermé en 2020. Le Japon a annoncé une enquête sur ses 14 Instituts Confucius. Le sénateur Haruko Arimura a déclaré en mai 2021 que les Instituts Confucius étaient une « menace pour la sécurité ».

 

2.2. La multiplication des freins à l’expansion commerciale de la Chine

 

L’entrée de la Chine à l’OMC en 2001 lui a permis d’accumuler d’énormes excédents commerciaux. Ces excédents, auxquels les délocalisations des multinationales occidentales ont-elles-mêmes en partie contribué, se sont traduits par des déséquilibres jugés dangereux par les pays occidentaux. La sur-compétitivité de l’économie chinoise, ainsi que certaines de ses pratiques jugées contraires à l’économie de marché, ont conduit les grandes puissances occidentales à engager un processus de découplage partiel de leur économie (disconnection economic theory) avec celle de la Chine.

    • États-Unis

Le mandat de D. Trump a marqué le véritable début d’une tentative de rééquilibrage de la balance commerciale entre les États-Unis et la Chine, surtout depuis 2018. Le président américain a estimé que l’entrée de la Chine dans l’OMC en 2001 avait été une erreur considérable car la Chine ne respectait pas les règles du commerce international et pillait les technologies occidentales à l’aide de transferts de technologies forcés.

La Chine est devenue le principal fournisseur de biens des États-Unis. En 1985, les importations provenant de Chine représentaient à peine 3 milliards $ ; après une trentaine d’années d’augmentation vertigineuse, elles ont atteint en 2018 un pic à 539 milliards $, avant une nette cassure, notamment sous l’effet de droits de douane prohibitifs. Ainsi, en 2020, elles ont atteint 434 milliards $, en baisse de 3,6 % par rapport à 2019. En 2020, le déficit de la balance commerciale (biens seuls) avec la Chine s’est élevé à 310 milliards $, en baisse d’environ 10 % par rapport à 2019. L’excédent des services en faveur des États-Unis a atteint seulement environ 25 milliards $.

Il existe un large consensus au sein de l’Administration américaine pour estimer que ce processus de réduction de la dépendance et de découplage à l’égard de la Chine devra être poursuivi avec fermeté. La politique d’intégration économique croissante avec la Chine est désormais considérée aux États-Unis comme une erreur stratégique majeure. Dans un rapport fondamental de 16 p. intitulé United States Strategic Approach to the People’s Republic of China, et publié en mai 2020 sur le site de la Maison Blanche (www.whitehouse.gov), Washington estime que Pékin « cherche à transformer l’ordre international pour l’aligner sur les intérêts et l’idéologie du Parti Communiste Chinois », porte donc atteinte aux « intérêts vitaux des États-Unis et sape la souveraineté et la dignité de pays et de citoyens à travers le monde ».

Il s’agit en quelque sorte d’une réponse tardive à la stratégie chinoise exposée dès 1999 par deux colonels de l’armée de l’air chinoise dans leur ouvrage La Guerre hors-limites (Qiao et Wang, 1999), puissante réflexion et véritable manuel pour essayer, par tous les moyens militaires et surtout non-militaires, de contrer la puissance américaine et assurer la suprématie chinoise.

La stratégie de freinage des avancées technologiques de la Chine s’est ainsi traduite par la privation de certaines de ses entreprises high-tech (Huawei, ZTE, Hikivision, etc) de composants électroniques d’origine américaine ou de pays alliés. Le cas de Xiaomi, qualifiée d’« entreprise militaire communiste chinoises » est en attente de décision. Plusieurs entreprises chinoises ont dû également se retirer des marchés boursiers américains. En janvier 2021, 35 entreprises chinoises ont quitté la bourse de New York. En juillet 2021, la SEC a imposé des règles de transparence aux entreprises chinoises cotées ; faute de pouvoir s’y soumettre, elles ont dû se priver du marché de capitaux américain. Au total, entre janvier et septembre 2021, les entreprises chinoises ont enregistré une perte de valeur de plus de 1 000 milliards $ sur le marché américain. Certaines entreprises chinoises, parfois de grande taille, ont perdu leur licence commerciale d’opérer sur le territoire américain, comme China Telecom USA en octobre 2021.

Li Wei, professeur à l’Université du Peuple (Pékin), présente le point de vue chinois sur la théorie du découplage. Il met au jour trois théories : théorie du conflit structurel ; théorie du conflit institutionnel ; théorie de l’exportation des problèmes intérieurs. Deux grandes lignes coexistent en Chine : la préparation au découplage avec la promotion de technologies nationales pour atteindre l’autosuffisance technologique, et la stratégie de maintien de liens étroits avec l’économie américaine. La ligne de clivage est entre indépendance et interdépendance, économie étatique et économie de marché.

La presse officielle chinoise a multiplié les articles critiques à l’égard de la volonté des économies occidentales d’un découplage à l’égard de la Chine. Ainsi, un article solidement argumenté et à la rhétorique bien huilée du très officiel Quotidien du Peuple dénonce avec vigueur l’« erreur de la théorie du ‘découplage’ » (Zhong, 2020) : « Il est dommage que, juste en cette période critique où les êtres humains ont besoin de renforcer leur unité et la coopération, certains politiciens américains prêchent la « théorie du découplage » entre la Chine et les États-Unis avec un esprit de clocher inimaginable, tentant de couper artificiellement le flux de capitaux, de technologies, de produits, d’industries et de personnel ». Le reste du texte met en avant les avantages pour les États-Unis du commerce avec la Chine, les complémentarités des deux économies, la « coopération gagnant-gagnant » et les risques d’un découplage, en omettant de signaler le déficit considérable de la balance des biens au profit de la Chine. Le texte conclut que « le ‘découplage’ n’est pas un remède aux problèmes intérieurs de l’Amérique, mais même un poison pour l’économie mondiale ».

En réalité, l’article traduit l’inquiétude croissante des autorités chinoises face à la montée du protectionnisme chez ses principaux marchés d’exportations. La fin de la mondialisation économique sans véritable limite marquerait pour la Chine la fin d’énormes bénéfices commerciaux. Dans une tribune publiée le 28 décembre 2021, Wang Xiaolong, directeur général du Département des affaires économiques internationales du ministère des Affaires étrangères, pourtant réputé pour ses positions ultra-nationalistes, a surpris en appelant à tout faire pour éviter un découplage avec l’économie américaine ; il considère que la Chine en paierait le prix le plus élevé ; après avoir promu l’hégémonie de la Chine (cf. l’ouvrage Unhappy China, 2009), il appelle à un retour à la politique modérée de Deng Xiaoping.

L’inquiétude est d’autant plus grande que certains cercles à Washington préconisent d’aller encore plus loin en promouvant un découplage culturel et éducatif vis-à-vis de la Chine. De fait, le nombre des étudiants chinois (370 000 en 2019) entrant aux États-Unis, dont une partie est accusée d’espionnage, devrait chuter dans les années à venir. Les États-Unis ont constitué une puissante école de formation (payante) pour la Chine, devenue ensuite son ennemie commerciale et stratégique.

    • Union Européenne

Selon des modalités différentes, l’Union Européenne a toutefois également entamé un processus d’affirmation d’un plus grand souverainisme économique et technologique. De fait, les contentieux se sont multipliés entre l’Union Européenne et la Chine.

La tournée du 25 août au 1er septembre 2020 de Wang Yi, ministre chinois des Affaires étrangères, s’est avéré un véritable fiasco et s’est conclue par une réprobation généralisée à l’égard des pratiques et menaces de la Chine. De fait, depuis 2019, l’Union Européenne considère la Chine comme un « rival systémique ». En juin 2020, pour la première fois, la Commission européenne a dénoncé officiellement la politique de désinformation de la Chine visant à saper les démocraties occidentales et à semer les divisions entre elles.

Dans son rapport annuel publié en septembre 2020, la Chambre de commerce européenne en Chine se fait le relais du mécontentement croissant de ses 1 700 entreprises membres à l’égard des « nouveaux obstacles » à l’accès au marché, le protectionnisme chinois et le manque de réciprocité en termes de commerce et d’investissement. L’Union Européenne a également reconnu sa naïveté et pris conscience de sa dépendance excessive à l’égard de la Chine pour ses matières premières stratégiques, notamment celles qui sont au cœur de la transition écologique comme les terres rares ou le lithium. Ainsi, la Chine fournit 98 % des terres rares consommées au sein de l’Union Européenne.

L’Union Européenne a pris des sanctions contre la Chine au nom de la répression des Ouïgours ; en retour, en mars 2021, la Chine a sanctionné dix responsables politiques (dont cinq eurodéputés : par ex. le député français R. Glucksmann) et centres de réflexion et organes diplomatiques de l’Union Européenne. En mars 2021, le Parlement européen, à une majorité écrasante (599 voix pour, 30 voix contre, 58 abstentions), a répliqué en suspendant la ratification du pacte d’investissement (Accord global sur les investissements UE-Chine, ou CAI) conclu en décembre 2020 après sept ans de négociations.

Désormais, la plupart des pays de l’Union Européenne entretiennent une grande défiance à l’égard de la Chine. Parmi d’autres, la Suède, scandalisée par la condamnation jugée politique de l’éditeur suédois d’origine chinoise Gui Minhai (propriétaire d’une maison d’édition à Hong Kong dénonçant certaines affaires privées des dirigeants chinois) à dix ans de prison en Chine et par les attaques répétées de l’ambassadeur de Chine Gui Congyou contre les médias suédois, s’est engagée dans une politique anti-chinoise. Le 13 octobre 2020, la Suède a été le premier État européen à bannir Huawei et ZTE de ses réseaux 5G. Comme à son habitude, la Chine a menacé d’un « impact négatif » sur la coopération économique entre les deux pays et les entreprises suédoises en Chine. Mais l’Autorité suédoise des télécoms (PTS) a déclaré avoir suivi les recommandations des Forces armées et du Service de sécurité pour qui la Chine est « l’une des plus grandes menaces à l’encontre de la Suède ».

Face à l’offensive de la Chine dans les Balkans, l’Union Européenne commence à réagir. Ainsi, le Monténégro, étranglé financièrement par un prêt chinois destiné à construire une autoroute très coûteuse devant mener à un port en eaux profondes, a fait appel à l’Union Européenne en avril 2021.

La politique très pro-chinoise du président hongrois V. Orban se heurte à de vives oppositions. En 2019, le projet d’ouverture d’un méga-campus (50 ha) de l’Université Fudan (Shanghai) à Budapest en 2024, véritable première en Europe, a déclenché une vague de manifestations dans tout le pays ; en juin 2021, Orban a dû promettre de soumettre ce projet à un référendum local.

Le 18 novembre 2021, la Lituanie, petit pays de moins de 3 millions hab. mais membre de l’Union Européenne, a ouvert un bureau de représentation à Taiwan. Craignant l’effet domino, la Chine a procédé à une série de représailles diplomatiques et commerciales, très peu appréciées à Bruxelles. La Lituanie a elle-même fait passer plusieurs lois ou mesures anti-chinoises. Début janvier 2022, le président lituanien a semblé reculer en admettant que son pays avait fait une « erreur » ; mais l’affaire laissera des traces.

De manière plus générale, en décembre 2021, Wang Yi a qualifié la relation de l’Union Européenne à la Chine de « cognitive split », mélange de partenariat et de rivalité. En réalité, l’Union Européenne s’oriente vers plus de protectionnisme, par ex. avec le projet de taxe carbone aux frontières prévue pour 2022.

Le changement de pouvoir en Allemagne pourrait mettre fin à la politique accommodante, voire pro-chinoise d’A. Merkel, en partie fondée sur le puissant lobbying des entreprises allemandes très actives sur le marché chinois. L’entrée en fonction du nouveau chancelier social-démocrate O. Scholz en décembre 2021 pourrait inaugurer une politique non seulement allemande mais aussi européenne nettement plus dure avec la Chine ; la présence des Grünen dans sa coalition pourrait mettre davantage l’accent sur le respect des droits de l’homme.

Au total, l’Occident semble déterminé à s’engager dans une voie davantage souverainiste et protectionniste. Or, précisément, le projet de la Chine de remplacer les démocraties occidentales dans un nouvel ordre mondial sino-centré se heurte à la dépendance majeure de la Chine à l’égard de leurs marchés. Plus de 40 % des exportations chinoises continuent à être dirigées vers l’Union Européenne (535 milliards $, 2020) et les États-Unis (453 milliards $). Quant à eux, les alliés stratégiques de la Chine, la Russie et l’Iran, représentent des débouchés modestes ou mineurs (respectivement 50 milliards $ et 8 milliards $ en 2020). De ce point de vue, la stratégie de la Chine se trouve dans une contradiction majeure : la logique de la Chine consiste à demander aux pays occidentaux de laisser leurs marchés ouverts aux produits chinois pour mieux lui donner les moyens de vaincre ces mêmes pays occidentaux. Un tel contrat perdant-perdant pour l’Occident peut difficilement être durable.

    • Stratégie chinoise de recentrage sur le marché intérieur : la théorie de la « double circulation » et la politique d’autosuffisance technologique

Pour essayer de réduire cette dépendance commerciale à l’égard de l’Occident, la Chine s’est lancée dans une stratégie d’autosuffisance. Le gouvernement chinois a tiré les conséquences du changement de contexte international et a décidé d’inaugurer une nouvelle stratégie économique pour les cinq ans à venir : le 14 mai 2020, lors d’une réunion du Comité permanent, Xi Jinping a pour la première fois lancé la notion d’« économie de la double circulation » ou de la « circulation duale », ou encore du « double cycle » (双循环, shuāng xúnhuán). Ce slogan est devenu central dans le discours politique chinois. Il s’agit d’une politique à la fois contrainte mais aussi volontaire. Elle a pour objectif de réduire la dépendance de la Chine à l’égard des États-Unis, de faire diminuer les critiques et l’hostilité croissante à l’égard de la Chine, mais aussi de s’affranchir en partie d’un monde extérieur hostile moins capable d’absorber les excédents de capacité du système productif chinois.

Le gouvernement souhaite d’un côté développer son immense marché intérieur et la consommation (circulation interne), et de l’autre continuer à exporter sur les marchés extérieurs (circulation externe) des produits de technologie toujours plus élaborés. Il s’agit d’un profond changement de paradigme économique : la stratégie consiste à passer d’une politique privilégiant la demande étrangère à une politique davantage centrée sur la demande intérieure ; cela passe aussi par un retour à une politique plus favorable à l’industrie manufacturière et moins aux services, à l’inverse de ce qui a été préconisé pendant plus de vingt ans.

Cette stratégie n’est pas totalement nouvelle : elle avait déjà été tentée après la grave crise de 2008, sans grand succès. En effet, si la théorie semble parfaite sur le papier, son contenu reste encore très flou. De plus, les deux circulations sont censées se renforcer mutuellement mais pourraient comporter une contradiction majeure : pour solvabiliser sa demande intérieure, la Chine devrait augmenter les salaires et la couverture sociale de la population, ce qui supposerait une véritable politique de redistribution des richesses et une dégradation de sa compétitivité. Cela supposerait aussi d’augmenter les prix des produits agricoles consentis aux paysans, ce qui provoquerait l’inflation des denrées alimentaires sur les marchés urbains et le mécontentement de la classe moyenne émergente. De plus, il n’est pas précisé laquelle des deux circulations sera dominante. Si le « cycle intérieur devrait être l’organe principal », certains investisseurs craignent l’isolationnisme de la Chine.

Pour pallier le risque de restrictions d’accès aux technologies occidentales et la perturbation consécutive des chaînes de valeur pour ses entreprises, le président Xi Jinping a engagé la Chine à combler son retard technologique. Le document d’orientation du 14ème Plan quinquennal diffusé le 29 octobre 2020 préconise l’« autonomie technologique » du pays. Il prolonge le « Made in China 2025 », et sera conforté par le « China Standard 2035 », qui va chercher à imposer des standards chinois dans les nouvelles technologies.

Au nom de la réciprocité et pour ne pas perdre la face, cette stratégie d’autosuffisance (自力更生, zìlì gēngshēng) technologique s’accompagne d’une loi adoptée à la mi-octobre 2020 prévoyant un contrôle accru des exportations de biens, services et technologies dits sensibles. D’ores et déjà, certaines hautes technologies sont de conception et fabrication 100 % chinoises : le 8 septembre 2020, à Fuqing (Fujian), le premier réacteur nucléaire (1 GW) recourant à des technologies exclusivement chinoises et construit par des entreprises chinoises a commencé à charger son combustible. Cette politique de substitution aux importations ne manquera pas de créer des tensions avec les partenaires technologiques traditionnels de la Chine tels que l’Allemagne, la Corée du Sud ou le Japon.

 

3. La remise en cause de l’expansion chinoise dans les pays non-occidentaux

 

Dans un nombre croissant de pays non-occidentaux, les méga-projets stratégiques chinois sont confrontés à des obstacles et des risques croissants. Deux grandes lignes de force émergent. D’abord, la contre-offensive occidentale ne concerne pas seulement les relations directes avec la Chine. Elle se prolonge dans des pays tiers non-occidentaux. Mais, en outre, dans ces pays eux-mêmes, l’expansion chinoise se heurte à diverses adversités, voire risques locaux : attaques contre des ressortissants chinois ou des intérêts chinois ; sentiment anti-chinois d’une partie de la population ; remise en cause de certains contrats ; dénonciation de certaines pratiques, etc.

 

3.1 L’émergence d’un « Axe Indo-Pacifique » anti-chinois, du B3W et du Global Gatway et de projets alternatifs aux Nouvelles routes de la soie

 

À l’évidence, l’Occident a mis beaucoup de temps pour prendre la mesure du projet stratégique de la Chine et essayer d’y apporter une réponse. Depuis deux ans néanmoins, les États-Unis, l’Union Européenne et leurs alliés en Asie (Inde, Japon, Corée du Sud…) lancent des projets alternatifs aux Nouvelles Routes de la Soie ; désormais, la Chine n’a plus le monopole des méga-projets stratégiques et commerciaux. En outre, les Nouvelles routes de la soie elles-mêmes font l’objet d’une certaine remise en cause.

    • La défense occidentale d’une région Indo-Pacifique « libre et ouverte »

Dès 2007, face à l’expansion chinoise, il était question d’un « arc de liberté et de prospérité » regroupant les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde. Cette année-là, des manœuvres militaires maritimes communes ont eu lieu dans l’océan Indien, en associant également la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande.

L’objectif était de contenir la Chine mais aussi de sauver la liberté de circulation et les valeurs démocratiques. La notion d’« Axe Indo-Pacifique » remonterait au mois d’août 2007 lors d’un discours du Premier ministre japonais Shinzo Abe devant le Parlement indien intitulé « La confluence des deux mers » ; selon lui, l’océan Pacifique et l’océan Indien doivent faire l’objet d’un « couplage dynamique en tant qu’océans de liberté et de prospérité ». Il appelait à un espace maritime « ouvert, libre et en paix ». À son retour au pouvoir en 2012, Abe a lancé l’idée d’un « diamant de sécurité démocratique » associant Japon, Inde, Australie et États-Unis dans une stratégie essentiellement défensive. En octobre 2020, pour sa première tournée à l’étranger, le nouveau Premier ministre japonais, Yoshishide Suga en visite au Vietnam et en Indonésie, a réitéré le principe d’une « région indo-pacifique libre et ouverte » et au respect du droit international, faisant notamment allusion à l’expansion chinoise en mer de Chine méridionale. De fait, on assiste au réarmement progressif du Japon (Smith, 2019).

Les exercices militaires conjoints se multiplient entre les marines américaine, australienne, japonaise et indienne dans le cadre du Quad (Quadrilateral Security Dialogue), comme par ex. en août 2021 pendant quatre jours au large de Guam (Zhou, 2021).

Déjà, le président B. Obama avait engagé une stratégie d’encerclement de la Chine avec l’Accord de libre-échange trans-pacifique englobant les principaux pays de la région, sauf la Chine. L’objectif était de maintenir un « free and open Indo-Pacific » (Indo-Pacifique libre et ouvert). En novembre 2019, l’Inde a refusé d’adhérer au Partenariat économique régional global (RCEP en anglais), énorme zone de libre-échange Asie-Pacifique soutenue par la Chine pour relancer les échanges commerciaux en Asie ; la signature, initialement prévue en 2015, a été repoussée, puis signée fin 2020, mais sa portée limitée en l’absence de l’Inde.

    • L’Inde

De fait, avec l’Inde, les relations sont extrêmement tendues, notamment depuis les affrontements au corps-à-corps en juin 2020 dans la vallée du Galwan au Ladakh qui avaient provoqué au moins 20 morts côté indien et, officiellement, 4 morts côté chinois. Depuis juin, la Chine a conquis 600 km2 de territoire face aux Indiens. L’Inde accuse la Chine d’avoir construit un silo de missiles près d’un lac aux environs du mont Kailash, haut-lieu sacré pour plusieurs religions, ainsi que des villages militarisés. L’achat d’avions Rafale à la France vise à rattraper son retard militaire par rapport à la Chine. L’Inde a interdit plusieurs applications chinoises sur son territoire. En octobre 2020, en visite à New Delhi, M. Pompeo, secrétaire d’État américain, a dénoncé les « menaces pour la sécurité » posées par la Chine et déclaré que le Parti communiste chinois « n’est pas un ami de la démocratie, du règne de la loi, de la transparence ni de la liberté de circulation ». De son côté, M. Esper, ministre américain de la Défense, a stigmatisé l’« agression croissante » et les « activités déstabilisatrices » de la Chine. Le ministre indien des Affaires étrangères a appelé les pays à « respecter l’intégrité territoriale et la souveraineté de tous les États » et appelé à une « Asie multipolaire ».

    • L’Australie

Déjà depuis 2017 (vote d’une loi sur les ingérences étrangères visant le PCC), mais avec une dégradation considérable depuis le printemps 2020, les relations sino-australiennes connaissent elles aussi leurs plus graves tensions depuis l’établissement des liens diplomatiques en 1972. L’Australie a désormais développé une politique anti-chinoise complète : interdiction de Huawei sur son réseau 5G pour des raisons de sécurité nationale ; augmentation de 40 % du budget militaire australien sur dix ans ; dénonciation de l’ingérence chinoise dans les affaires intérieures australiennes ; réprobation sur la détention et les pressions exercées sur des journalistes australiens en Chine ; accueil de révoltés hongkongais en Australie. En septembre 2021, les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie ont constitué le pacte militaire AUKUS en transférant à l’Australie la technologie des sous-marins nucléaires pour contrer l’expansion chinoise dans l’océan Pacifique.

En représailles à la demande australienne d’une enquête sur l’origine de l’épidémie de Covid-19 en Chine, la Chine a pris plusieurs mesures de rétorsion : boycott partiel ou total de produits australiens (charbon ; surtaxes douanières sur l’orge et le vin ; réduction des achats de viande…) ; appel aux étudiants chinois d’éviter l’Australie pour leurs études ; cyber-attaque contre le Parlement et les partis politiques australiens en 2019, etc.

    • L’Union Européenne

L’Union Européenne semble également souhaiter s’engager dans cet axe. Début août 2021, l’Allemagne, pourtant pacifiste, a ainsi annoncé avoir engagé la frégate Bayern en mer de Chine du Sud. En décembre 2021, la présidente de la Commission européenne, U. von der Leyen elle-même a soumis au Parlement européen un important document d’orientation sur la stratégie de l’Union Européenne pour l’Indo-Pacifique signifiant la volonté européenne de s’engager à protéger ses intérêts et ses valeurs dans cette partie du monde.

    • L’essor récent de projets alternatifs aux Nouvelles routes de la soie : B3W ; Global Gateway

En juin 2021, lors du sommet du G7 à Londres, les États-Unis et leurs alliés ont décidé de mettre en œuvre un énorme programme d’infrastructures (baptisé B3W : Built Back Better World) à destination des pays à revenus faibles ou intermédiaires pour contrer les Nouvelles Routes de la soie lancées en 2013. L’investissement serait d’environ 100 milliards $ par an.

Le 1er décembre 2021, l’Union Européenne a elle-même lancé son « Global Gateway », doté de 300 milliards € d’ici à 2027 ; le projet vise clairement à contrer l’influence chinoise, notamment en Afrique où, contrairement aux idées reçues, les échanges commerciaux euro-africains (235 milliards € en 2018) sont près du double des échanges sino-africains (125 milliards). Il est trop tôt pour mesurer les effets de ces méga-projets alternatifs. La politique de laisser-faire à l’égard de l’expansion chinoise semble révolue.

 

3.2 Les résistances croissantes au contrôle par la Chine des océans Pacifique et Indien

 

    • L’expansion de la Chine dans la mer de Chine méridionale, vecteur de défiance des pays d’Asie du Sud-Est

La montée en puissance et certaines pratiques de la Chine suscitent une inquiétude croissante à l’échelle internationale, notamment en Asie. En effet, la Chine a profité de l’épidémie pour pousser encore ses pions en mer de Chine méridionale : éperonnage d’un navire vietnamien dans les îles Paracels le 3 mars 2020 ; installation de deux « centres de recherche » sur les récifs de Fiery Cross et Subi (îles Spratleys) dans une zone revendiquée par les Philippines et le Vietnam ; ces atolls ont été poldérisés par la Chine et peuvent désormais accueillir des bombardiers sur une piste de 3 000 m. En avril 2020, un navire chinois a été signalé dans les eaux territoriales de la Malaisie.

En septembre 2020, l’incursion d’un navire des garde-côtes chinois dans la ZEE indonésienne, mais que la Chine considère à l’intérieur de la zone de la « ligne des neuf traits », a provoqué la colère de Jakarta. En décembre 2021, la Chine a envoyé une note diplomatique au ministère indonésien des Affaires étrangères le sommant d’arrêter le forage d’une plateforme d’exploration pétrolière et gazière offshore dans les petites îles indonésiennes de Natuna ; la Chine considère que cette zone fait partie de la mer de Chine méridionale, alors que la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer l’a attribuée à l’Indonésie ; en 2017, l’Indonésie l’a ainsi rebaptisée « mer de Natuna du Nord ». En Indonésie, l’expansion chinoise comporte des risques élevés pour la minorité chinoise (environ 3,5 % de la population) qui, à plusieurs reprises, a subi des violences de la part de la population indonésienne (1998, 2016…).

Dans nombre de pays d’Asie, la peur de l’expansion chinoise a déclenché une véritable course aux armements.

    • La résistance croissante des États insulaires des océans Pacifique et Indien à l’expansion chinoise

Les territoires insulaires hautement stratégiques de l’océan Indien ou de l’océan Pacifique, autrefois laissés à l’expansion de la Chine, commencent eux aussi à réviser leur position ou sont traversés par de fortes divisions à l’égard de la Chine. En octobre 2020, M. Pompeo a annoncé l’ouverture d’une ambassade américaine aux Maldives pour contrer l’influence chinoise.

En visite au Sri Lanka, surendetté auprès de Pékin et obligé de céder des infrastructures portuaires, il s’est efforcé d’éloigner l’influence de la Chine. Des voix locales s’élèvent pour dénoncer les risques de devenir une « colonie chinoise » (Srinivasan, 2021). Certains ont parlé de « Chi-Lanka ». Des panneaux de signalisation publics rédigés en mandarin ont déclenché de vives réactions.

En 2018, l’Inde a annoncé un projet (controversé) de création d’une grande base militaire à la fois navale et aérienne sur l’île de l’Assomption dans l’archipel des Seychelles. En octobre 2020, l’élection de W. Ramkalawan à la présidence de la République marque le début d’une défiance encore plus marquée de l’archipel à l’égard de la Chine ; dès 2009, il avait considéré le financement du bâtiment de l’Assemblée nationale par la Chine, « gouvernement étranger qui ne croit pas en une démocratie multipartite et où les dirigeants ne sont pas librement élus », comme « une gifle pour le peuple seychellois ».

Dans le Pacifique, aux îles Samoa, les élections de mai 2021 ont porté au pouvoir une première ministre beaucoup moins pro-chinoise que son prédécesseur, S. M. Tuilaepa. Ainsi, en juillet, Mme Mata’afa a abandonné le grand projet portuaire de la baie de Vaiusu financé par des intérêts chinois et soutenu par l’ancien Premier ministre. Elle a considéré qu’il aurait encore augmenté de 70 % l’endettement déjà excessif à l’égard de la Chine.

En 2019, pour des raisons commerciales, M. Sogavere, le Premier ministre des îles Salomon, petit archipel de 700 000 hab. au sud-est de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, a quant à lui décidé de rompre ses relations diplomatiques avec Taïwan et de se rapprocher de Pékin. Mais, l’île de Malaita, où réside une forte communauté taïwanaise, a refusé ce choix et menacé de réclamer son indépendance ; le premier ministre de Malaita a accusé Sogavere d’avoir reçu de l’argent de Pékin. En novembre 2021, de violentes émeutes ont saccagé des dizaines de commerces chinois et fait trois morts.

Les réseaux de télécommunications et les câbles sous-marins sont devenus un enjeu géopolitique majeur. La Chine s’efforce de mettre en place des « routes de la soie digitales ». Récemment pourtant, des groupes chinois de télécoms et de pose de câbles sous-marins ont été bloqués dans leur expansion par des entreprises occidentales, notamment australiennes. En octobre 2021, l’opérateur australien Telstra a racheté Digicel, l’un des principaux opérateurs de réseau de téléphonie mobile en Papouasie-Nouvelle-Guinée, au Vanuatu, aux Samoa et à Nauru pour éviter une prise de contrôle par China Mobile.

En décembre 2021, un projet promis à HMN Technologies (ex-Huawei Marine Networks) pour relier Kiribati, Nauru et les États fédérés de Micronésie dans le Pacifique a également échoué, ce qui a provoqué la colère des médias officiels chinois. Les États-Unis, l’Australie et le Japon se sont alliés pour construire un câble sous-marin destiné à améliorer l’accès à Internet pour les 100 000 hab. de ces petits États insulaires au rôle géopolitique, voire militaire essentiel (ex. base militaire américaine de Guam).

 

3.3 La Chine confrontée à la montée des rejets, défiances et risques endogènes dans les pays non-occidentaux

 

La Chine a enregistré récemment quelques succès diplomatiques et commerciaux incontestables. En décembre 2021, le Nicaragua du président D. Ortega, considéré comme un dictateur et interdit d’entrée sur le sol américain, a décidé de rompre ses relations diplomatiques avec Taïwan et de ne reconnaître qu’une seule Chine dirigée par Pékin.

Le 1er janvier 2022 marque l’entrée en vigueur de la plus vaste zone de libre-échange du monde fondée sur un abaissement progressif des droits de douane étalé sur vingt ans. Ce nouveau bloc appelé RCEP (Regional Comprehensive Economic Partnership) comprend notamment la Chine, le Japon, la Corée du Sud et l’Australie.

Le 5 janvier 2022, la Chine et le Maroc ont signé une convention de partenariat de mise en œuvre des Nouvelles routes de la soie.

Mais, la Chine est également de plus en plus confrontée à un sentiment anti-chinois dans une partie des populations locales. Son influence grandissante suscite des résistances. De même, les alternances politiques des dirigeants provoquent la remise en question de certains accords passés et font ressortir certains scandales de corruption. Nombre de pays en développement, y compris africains, montrent plusieurs traits démocratiques, avec des élections libres, le multipartisme, une presse libre, des mouvements citoyens actifs, etc.

    • La remise en cause partielle des Nouvelles routes de la soie 

La pandémie de Covid-19 affecte directement la stratégie des Nouvelles routes de la soie lancée en 2013. De nombreux pays font état de leur difficulté à concilier les plans de soutien et de relance de leur économie avec le remboursement de leur dette à la Chine. Un pays comme le Pakistan, pourtant l’un des plus fidèles alliés de la Chine, a envoyé une lettre officielle au gouvernement chinois pour réviser les conditions de remboursement d’un prêt. Nombre de pays cherchent eux aussi à renégocier les termes de leurs prêts.

La fermeture des frontières du fait de la pandémie est venue bloquer les flux de main d’œuvre et de matériaux. L’essor d’un sentiment anti-chinois remet en question l’adhésion de certaines populations et de certains gouvernements locaux à ces projets. La fragilisation économique des États consécutive à l’épidémie les dissuade de se lancer dans de grands travaux ; surtout pour les pays déjà endettés auprès de la Chine. La contre-offensive des États-Unis dans certains pays qui avaient voulu coopérer avec la Chine représente aussi un frein au lancement des projets.

    • Asie du Sud-Est et Asie centrale

En Asie du Sud-Est, certes, la « diplomatie du rail » de Pékin avance avec détermination et ouvre la voie à des flux commerciaux dans certains pays. Le 3 décembre 2021 a été inaugurée une ligne ferroviaire à grande vitesse entre la capitale du Laos et la Chine ; première pièce d’un vaste réseau panasiatique centré sur la Chine, ce coûteux TGV va toutefois rendre financièrement et commercialement dépendant le petit Laos communiste.

Mais la Chine est confrontée à un contexte complexe et instable, et souvent défiant. La diplomatie américaine y contribue pour partie : ainsi, dans sa tournée en Asie en octobre 2020, M. Pompeo, dénonçant les « mauvais accords, les violations de souveraineté et des actes illicites sur terre comme en mer », considère que « le Parti communiste chinois est un prédateur ».

Mais, en Thaïlande, de nombreux projets d’infrastructures sont gelés ou font l’objet de négociations difficiles. Le projet d’achat de sous-marins chinois en 2020 a dû être reporté à la suite du tollé suscité dans l’opinion publique. Le pays a aussi refusé le projet chinois de creusement d’un méga-canal de 120 km à travers l’isthme de Kra. Le projet de train à grande vitesse entre la Chine et la Thaïlande a été fortement retardé et a donné lieu à des polémiques publiques ; finalement signé en octobre 2020, il apparaît que les investisseurs chinois ont dû coexister avec des banques japonaises.

De plus, le contexte politique en Asie Sud-Est évolue rapidement, avec une aspiration à la démocratie dans certains pays qui pourrait faire tache d’huile. Depuis l’été 2020 en Thaïlande, des mouvements de révolte populaire s’inspirant des évènements de Hong Kong organisent des manifestations pour réclamer la démission du chef de gouvernement au pouvoir depuis le coup d’État de 2014, plus de démocratie, la révision de la Constitution et la réforme de la sacro-sainte monarchie. Après une trêve d’un an pour des raisons sanitaires, les manifestations pro-démocratie ont repris avec plus d’ampleur en septembre 2021. En outre, dans le domaine militaire, début 2022, la Thaïlande a déclaré envisager d’acheter des avions de chasse américains.

Les péripéties et tensions relatives au projet chinois de ligne ferroviaire en Malaisie montrent également certaines difficultés des Nouvelles routes de la soie.

En Birmanie, des dizaines d’usines à capitaux chinois ont été incendiées en mars 2021 à Rangoun par des manifestants accusant Pékin de soutenir la junte au pouvoir. Au Pakistan, pourtant très fidèle alliée de la Chine, plusieurs attentats contre des ressortissants chinois ont eu lieu en 2021 ; en décembre 2021, de puissantes manifestations ont même eu lieu dans le port de Gwadar, au cœur des projets chinois au Pakistan.

En Asie centrale, le Kazakhstan entretient des relations commerciales croissantes avec la Chine. Les émeutes de janvier 2022 l’ont rapproché de fait de l’alliance sino-russe. Mais, précisément pour faire contrepoids à l’influence chinoise, a également opéré en 2021 un rapprochement stratégique avec la Turquie en lui achetant divers armements (drones, blindés) et signé des accords de coopération militaire. Or, non seulement la Turquie est membre de l’OTAN, mais elle vise à créer une Organisation des États Turciques (OET) autour des ex-républiques soviétiques d’Asie et du Caucase.

    • Afrique et Amérique latine

En Afrique, les meurtres de ressortissants chinois ou les attaques contre les entreprises chinoises ne sont plus rares. En 2018, trois Chinois ont été tués en Centrafrique. En Zambie, en mai 2020, trois entrepreneurs ont été assassinés dans la banlieue de Lusaka. Les élections de 2021 ont porté au pouvoir H. Hichilema, un président beaucoup moins favorable aux intérêts chinois ; le pays, dont les mines de cuivre sont largement aux mains d’entreprises à capitaux chinois, s’est excessivement endetté auprès de la Chine et se trouve en défaut de paiement depuis août 2020. En République démocratique du Congo, l’arrivée au pouvoir de F. Tshisekedi en janvier 2019 s’est traduite en septembre 2021 par la révision du méga-contrat minier (« contrat du siècle ») signé en 2008 entre son prédécesseur J. Kabila et la Chine. L’enquête internationale Congo Hold-up, plus grande fuite de données sur le continent africain, aurait démontré une corruption à très grande échelle. En Éthiopie, les régions du Tigré et de l’Oromia sont en proie à de graves affrontements. Les lourds investissements chinois sont menacés par les risques de guerre civile et par une évolution possible vers une situation à la syrienne. Pour obtenir sa reconnaissance internationale, le Somaliland (État autoproclamé en 1991 issu de la Somalie) propose aux États-Unis de créer une base militaire dans le port de Berbera pour contrebalancer la présence chinoise à Djibouti et dans la Corne de l’Afrique (Nyabiage, 2022).

En novembre 2021, le 8ème Forum sino-africain qui s’est tenu près de Dakar a également montré le passage d’une certaine euphorie des vingt dernières années à une plus grande prudence, méfiance, voire relative désillusion de la part des pays africains. Les promesses de développement ont été un peu éclipsées par une accumulation de frustrations, de critiques ou de soupçons par rapport aux dettes, aux déséquilibres commerciaux, aux pratiques de certaines entreprises chinoises, au manque de transparence de certains contrats, au risque de dépendance excessive à l’égard de la Chine.

Entre 2000 et 2019, la Chine aurait consenti 153 milliards € de prêts à divers pays africains (dont 30 % pour le seul Angola). Mais, actuellement, elle commence à demander le remboursement des prêts. Sur les réseaux sociaux, des rumeurs, jusqu’à présent infondées, de confiscation des infrastructures se multiplient. Surtout, les engagements financiers de la Chine en Afrique ont été revus à la baisse. Les appels récurrents de certains pays africains à une restructuration de leur dette commencent à interroger en Chine même.

En outre, la Chine est intéressée par les matières premières et le commerce avec les pays africains ; elle souhaite également se constituer une clientèle de pays amis à l’ONU. Elle est beaucoup moins enthousiaste pour les demandes d’implication dans les problématiques africaines de sécurité locale. Ainsi, la ministre sénégalaise des Affaires étrangères, Mme A. T. Sall, a appelé la Chine à aider l’Afrique à lutter contre le terrorisme au Sahel ; sans grand succès.

Le 5 mai 2021, le président brésilien Bolsonaro a insinué que le virus du Covid-19 avait été créé en laboratoire par la Chine pour mener « une guerre chimique et bactériologique ». En mars 2020, l’un de ses fils, le député E. Bolsonaro avait déjà accusé la Chine d’être une dictature dissimulant les origines de l’épidémie en la comparant à l’URSS lors de la catastrophe de Tchernobyl en 1986. Il avait déclaré : « La Chine est coupable et la liberté serait la solution ».

En outre, les projets chinois d’autosuffisance en matière de production de soja lancés en 2021 ne manqueront pas d’entraîner de pertes commerciales considérables pour certains pays d’Amérique latine comme le Brésil, l’Argentine ou l’Uruguay et distendre leurs relations. Actuellement, la Chine importe environ 100 millions t de soja par an, soit 85 % de ses besoins domestiques ; d’ici 2025, sa production devrait augmenter de 40 %.

 

Conclusion

 

Van Oudenaren soulignait la difficulté de penser le futur, en particulier celui de la Chine (Van Oudenaren, 2015) ; selon lui, les prédictions sous la forme d’annonce d’une date ou d’une chronologie trop précise s’avèrent le plus souvent démenties, tandis que les perspectives trop générales sont peu utiles. La notion de cycle permet d’échapper, au moins en partie, à ces critiques et de proposer un cadre interprétatif solide et factuel.

Sur la base des faits majeurs observables, des tendances lourdes à l’œuvre et des modifications de structure inéluctables, il est possible de proposer une « théorie des deux cycles » (Giroir, 2022).

Depuis 1978, la Chine a connu un rattrapage brutal mais tardif d’environ 35 ans (« Trente-cinq glorieuses »). Depuis cette politique de réformes et d’ouverture, prévaut un cycle de renaissance caractérisé par un processus d’émergence, certes impressionnant par son échelle, mais observable dans de nombreux autres pays à d’autres périodes plus précoces (cf. le décollage économique des pays européens après 1945, des Dragons et Tigres asiatiques, etc). Ce cycle ascendant s’est aussi traduit par une expansion, une dilatation de l’influence extérieure de la Chine. Ce processus a été d’autant plus spectaculaire qu’il succédait à la pauvreté extrême dans laquelle la politique maoïste avait plongé la Chine entre 1949 et 1978 (80 % de « pauvres extrêmes » en 1978 selon les données officielles). Les succès enregistrés dans le domaine de la pauvreté extrême signifient en creux l’échec majeur de Mao Zedong à avoir assuré le développement de la Chine et l’amélioration du niveau de vie de sa population. D’une certaine façon, à partir de 1978, le PCC a corrigé ses tragiques erreurs (Grand bond en avant ; famine de masse du début des années 1960 ; Révolution culturelle, etc) des trente années précédentes.

Depuis une dizaine d’années, et surtout depuis 2020, un autre cycle beaucoup moins favorable est en cours de formation. Ce cycle de contraction à l’extérieur (I) et décroissant à l’intérieur (II) montre d’ores et déjà certains de ses effets ; ils devraient s’amplifier avec le temps car la Chine se trouve confrontée à des contraintes et des dysfonctionnements croissants et en grande partie structurels.

 

Références

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