[Humeur] « Les Français aiment la forêt… mais en ignorent tout ! », par Pascal Mayer

 

Une erreur s’étant glissée dans la publication papier, nous publions ici en intégralité le billet d’humeur de M. Pascal Mayer « Les Français aiment la forêt… mais en ignorent tout ! ». Un texte à retrouver dans le n°1582 de notre revue La Géographie.

 

 

Cela ressort de tous les sondages : les Français aiment la forêt – encore plus depuis qu’ils en ont été tenus éloignés par certaines séquences de la crise COVID – mais leurs avis souvent sans nuance sur la gestion à y mener traduisent leur ignorance en même temps que leurs rêves de vertu. Les cris de « scientifiques indépendants » ou de « lanceurs d’alerte » portent toujours mieux, dans le brouhaha médiatique, que les réflexions posées des professionnels d’une filière forêt-bois tirée à hue et à dia, écartelée entre les ministères en charge de l’agriculture, de l’écologie, de l’économie et des finances.

Après le passage le 27 janvier 2009 de la tempête Klaus – la troisième tempête centennale à renverser des forêts françaises surcapitalisées en bois en moins de 10 ans – on a pu croire à une refondation de la politique forestière française lors du discours du Président Sarkozy à Urmatt le 19 mai 2009. Il y rappelait que la forêt française avait vu sa surface s’accroître de 50 % depuis 1950, qu’elle composait 30 % du territoire national, qu’elle était privée pour 70 % de sa surface (3,5 millions de propriétaires), qu’elle engendrait 450 000 emplois, mais qu’elle restait largement sous-exploitée. Le paradoxe qu’il soulignait était que l’on dépensait chaque année 6 milliards d’euros pour aller chercher du bois et de l’ameublement « chez les autres » (deuxième poste de déficit commercial français après celui de l’énergie) alors que tout était « à portée de main » et que seulement 60 % de l’accroissement annuel en bois étaient prélevés. Avec ambition, il proposait donc d’augmenter de 50 % à l’horizon 2020 le prélèvement de bois en forêt (20 millions de m3 supplémentaires par an) pour renforcer le tissu industriel de la filière et participer à la lutte contre le changement climatique, soit en stockant ce bois (ce qui revient à stocker du carbone) dans nos infrastructures, nos bâtiments ou nos meubles, soit en le substituant aux énergies fossiles dans le cadre de la transition énergétique (ce qui est neutre en bilan carbone). Nicolas Sarkozy disait : « La France a des territoires ruraux, une géographie, des ressources naturelles qui représentent un potentiel formidable. »

Quel est le bilan plus de 10 ans après ? Les scieries ont continué à disparaître, passant de 2000 en 2009 à moins de 1500 en 2019. Ces disparitions ont concerné principalement les petites scieries de feuillus, qui reflétaient pourtant la géographie forestière française où les chênaies, les hêtraies et les châtaigneraies représentent les deux tiers des peuplements. Les coupes de bois ont été encadrées par encore plus de procédures et de contrôles et les peines encourues par les propriétaires forestiers en cas de non-respect des engagements pris en la matière dans leurs Plans de Gestion ont été alourdies. Dans le même temps, un projet probablement surdimensionné a vu le jour à Gardanne (13) pour substituer du bois au charbon dans l’approvisionnement d’une des quatre dernières centrales de ce type en France. Ce projet qui porte sur presque un million de m3 par an, a focalisé les critiques et discrédité le rôle qu’aurait pu prendre le bois dans la transition énergétique. Enfin un flux d’exportation vers la Chine de grumes de chênes (mais également de résineux pour un total de plusieurs centaines de milliers de m3 par an) s’est mis en place comme conséquence de la baisse de la demande des scieries de feuillus moribondes. Il s’agit bien sûr d’un non-sens commercial puisque ce bois est destiné à revenir chez nous sous forme de produits manufacturés avec valeur ajoutée.

En 2019, le prélèvement de bois en forêt a donc finalement été inférieur à celui de 2009 (un peu moins de 40 millions de m3) ! Malgré cela, entre temps, dans le Morvan notamment, des militants, néo-ruraux pour la plupart, idolâtres de « leurs paysages », se sont enchaînés à des arbres à abattre, ont saboté des plantations résineuses et sont quasiment parvenus à faire interdire les coupes rases aussi bien en forêt privée qu’en forêt publique. Aujourd’hui, loin de la réalité complexe d’un écosystème façonné par l’homme depuis des millénaires et en constant accroissement depuis le milieu du siècle dernier, l’idée d’une forêt victime de la main basse de quelques-uns, menacée en termes de persistance et de biodiversité, percole dans l’opinion publique. Dans un sondage ViaVoice pour l’Office National des Forêts de février 2021, la déforestation ou l’abattage d’arbres sont considérés comme la première menace pesant sur les forêts françaises (46% des sondés) loin devant les perturbations liées aux activités humaines, l’urbanisation, les incendies ou les maladies. Dans le même temps, les plantations et les résineux sont voués aux gémonies.

Comment a-t-on pu en arriver là ? L’absence de politique forestière suivie, la centrale de Gardanne et les exportations vers la Chine n’expliquent pas tout. Les plaisantes extrapolations anthropomorphiques du « technicien de terrain » Peter Wohlleben (La vie secrète des arbres, 2017, best-seller mondial) y sont pour quelque chose, participant à une onde empathique pour la forêt de la part d’un public qui découvre, ébaudi, que les arbres sont des êtres sociaux qui explorent, interprètent leur environnement, mémorisent, communiquent, s’entraident… Les bouffées délirantes de certains scientifiques ont aussi leur part. Dans le Monde du 15 août 2020, Francis Hallé, botaniste réputé pour ses travaux sur l’architecture des arbres et connu pour son « radeau des cimes » a publié une tribune dont la radicalité ne repose sur rien, intitulé « Ne prenons plus les plantations d’arbres pour des forêts » où il affirme péremptoire que les « champs d’arbres » sont l’inverse des forêts : « il est temps que cesse cette confusion entre deux ensembles d’arbres que tout sépare et qui s’opposent l’un à l’autre… » Francis Hallé feint d’ignorer que même dans la forêt landaise, cohabitent plus de 300 espèces de coléoptères ! Certains journalistes prennent eux-mêmes parti.

Le dernier opus du genre (Sur le front des forêts françaises) est un reportage filmé présenté sur France 5 le 21 mars 2021. Dans une parodie de « Cash investigation » d’Élise Lucet, un journaliste, sans cesse contré par les forces de l’ordre que manipulent les puissances capitalistiques et réactionnaires, tente de débusquer une abatteuse mécanisée en train de détruire les forêts françaises. Les saynètes sont bidonnées, les informations fausses, la contradiction absente, le complotisme et la dérive sectaire sous-jacents ; peu importe, beaucoup de téléspectateurs ont eu l’impression d’une menace sur la biodiversité en France. Répondre à chaud à de telles outrances s’est toujours révélé contre-productif. Un dialogue apaisé doit être rétabli. Le festival « les nuits des forêts » qui se tiendra pour la deuxième fois un peu partout en France du 2 au 4 juillet prochain, en partenariat avec les interprofessions de la filière forêt-bois, mêlant échanges, culture et art sous une forme festive, a pour objectif de participer à la création de nouveaux imaginaires collectifs moins conflictuels.

2 Comments on [Humeur] « Les Français aiment la forêt… mais en ignorent tout ! », par Pascal Mayer

  1. Oui, nous le savons bien et les clubs « écologistes » ont plus de succès que les sociétés d’histoire naturelle. Invitez les à lire un géographe de talent, Elysée Reclus : « histoire d’un ruisseau » et  » Histoire de la montagne ».

    Cordialement,

    Jean RIVOLLIER

  2. Merci pour ce « billet d’humeur ». Pour aller plus loin dans la vulgarisation de la connaissance de la forêt, je prépare actuellement un cycle d’interventions sous forme de marches en forêt, sur  » la forêt et ses usages ». Habitant dans le Morvan!, je travaille sur le flottage du bois, l’alimentation de Paris en bois de chauffage, les tanneries, l’ enrésinement du massif, le concept de forêt jardinée, le pacage des animaux en forêt, glanage et cueillette, etc…
    Je suis preneur de documentation et bibliographie. Salutations cordiales. Bernard Lavault, guide- conférencier

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