Mathilde Vignau : « J’aimerais que mes recherches permettent de mieux comprendre les enjeux de la créativité territoriale dans les villes »
En 2013, Marseille et le département des Bouches-du-Rhône devenaient une année durant la capitale européenne de la culture. Les années ont passé, mais les initiatives créatives et culturelles continuent de scander la vie et le fonctionnement de la deuxième ville de France. C’est sur ce lien entre création et espaces urbains que revient pour nous Mathilde Vignau, docteure en géographie et chargée d’enseignement et de recherche à l’ESPI de Marseille. Une occasion rêvée pour dépasser les stéréotypes associés à la ville et comprendre comment les événements créatifs participent à la construction des ensembles urbains.
Comment avez-vous découvert la géographie ?
J’ai découvert la géographie de manière assez classique : sur les bancs de l’école et à travers le diptyque « histoire-géographie » que l’on découvre du collège au lycée. J’ai toujours apprécié les thématiques abordées dans ces cours et cela s’est confirmé plus encore dans le cadre de mes études supérieures. A la suite d’une année d’hypokhâgne, j’ai décidé de me spécialiser à l’université, dans des études d’anglais mais aussi et surtout de géographie. Grand bien m’en a pris car jusqu’à ce jour, c’est le choix que je regrette le moins tant j’ai pu apprendre et m’enrichir en découvrant toutes les facettes de cette discipline polymorphe à bien des égards.
Ayant beaucoup voyagé dans des cadres personnels et professionnels, je suis désormais convaincue que les voyages sont une autre manière de découvrir la géographie et d’approfondir certains thèmes qui lui sont chers comme la culture, les migrations, les échanges économiques et sociaux ou encore le développement durable.
Quels sont vos domaines et terrains de recherche ? Pourquoi vous être tournée vers eux ?
Dans le cadre de mes études et surtout de la thèse que j’ai soutenu en octobre 2019, je me suis principalement focalisée sur les champs de la géographie urbaine, économique et critique. Je porte en effet un grand intérêt aux transformations socio-spatiales induites par les initiatives créatives et culturelles avec un focus plus précis sur les territoires urbains (bien que je porte également un intérêt constant aux territoires périurbains et ruraux). En tentant de formuler une analyse de la créativité territoriale, je me suis intéressée à divers territoires nationaux et internationaux comme la ville créative de Montréal, labellisée par l’UNESCO en 2008.
Toutefois, mon principal terrain d’étude est celui de la région PACA avec une analyse approfondie de la métropole Aix-Marseille Provence et de la ville de Marseille. En effet, la cité phocéenne constitue, du point de vue de la géographie humaine (et a fortiori du point de vue de la géographie économique, urbaine et critique), un laboratoire d’analyses riche de très nombreux enseignements. Ce cas m’a d’ailleurs permis de mettre au jour des résultats intéressants et novateurs en ce qui concerne l’instrumentalisation patente des politiques culturelles et créatives en dépit du renforcement de certaines inégalités. Ces objets de recherche me passionnent car ils permettent aussi de mettre en exergue les difficultés de certains territoires en nuançant des discours médiatiques souvent très péjoratifs (à l’encontre de Marseille notamment) et en contestant certains discours politiques trop lisses qui confèrent à la créativité ou à la culture un rôle qui n’est pas toujours le leur tout en les instrumentalisant progressivement au profit du développement économique et local.
A travers mes travaux et terrains d’étude, j’espère donc modestement mettre en lumière les problématiques territoriales qui existent et tendent parfois à s’accroître tout en partageant des propositions plus inclusives et mieux adaptées aux contextes locaux.
Comment définiriez-vous votre pratique de la géographie ? Quelles stratégies méthodologiques convoquez-vous ?
Aujourd’hui, je pratique la géographie en tant que chercheuse et en tant qu’enseignante dans une école supérieure privée. Dans le cadre de mes raisonnements et de mes travaux, je mobilise régulièrement plusieurs outils méthodologiques. Selon moi, la géographie implique nécessairement, avant toute chose, un travail de terrain qui commence par la marche urbaine, la prise de photographies et l’analyse fine des morphologies urbaines qui traduisent très souvent les grandes évolutions des villes et sont un premier témoignage de leur histoire. Ce travail de terrain est indispensable et intègre d’ailleurs différents outils méthodologiques à la fois qualitatifs et quantitatifs. A ce titre, la géographie est d’après moi l’une des disciplines des SHS les mieux dotées en termes d’outils ou de stratégies méthodologiques. Pour ma part, j’ai très souvent recours aux entretiens semi-directifs, aux questionnaires ainsi qu’aux analyses statistiques qui permettent de réaliser des cartes par le biais des SIG. Mais j’aime également intégrer dans mes travaux les analyses dites PQR (Presse Quotidienne Régionale) qui permettent entre autres, d’analyser les discours médiatiques et l’évolution des grandes problématiques territoriales au gré des époques. La diversité des ressources méthodologiques disponibles et exploitables en géographie (plus encore si l’on intègre tout le champ « physique » de la discipline) constitue l’un de ses indéniables atouts.
Dans votre travail de recherche ou dans votre vie professionnelle, pensez-vous que votre jeunesse est un atout ou un inconvénient ?
Dans le cadre purement universitaire, le manque de postes de maîtres et de maîtresses de conférences fait de la jeunesse un frein réel (les dossiers les plus anciens sont souvent valorisés en priorité ce qui semble logique). Mais d’une manière générale, je considère que mon âge n’est ni un atout ni une faiblesse. Pendant mon début de carrière à l’université, j’ai eu la chance de rencontrer des géographes de tout âge, très ouverts d’esprit qui ne considéraient heureusement pas les jeunes chercheurs et chercheuses avec dédain ou condescendance. Cela m’a souvent permis de créer de belles synergies et de partager des expériences individuelles toujours très enrichissantes.
Hors du cadre académique, pensez-vous que vos recherches peuvent avoir une application pratique ? Si oui, laquelle ?
J’aimerais sincèrement que cela soit le cas ! Que les travaux (souvent brillants !) des jeunes chercheuses et chercheurs en géographie ne tombent pas dans l’oubli des étagères universitaires sitôt la soutenance passée… Je sais d’expérience que la majorité des travaux et des thèses de géographie ont une forte dimension opérationnelle qui ne demande qu’à être exploitée sur le plan politique par exemple. De mon point de vue, je crois que certains chapitres de ma thèse pourraient effectivement servir aux collectivités territoriales afin qu’elles puissent prendre la mesure du poids et des enjeux que soulève la créativité territoriale dans les villes. Reste à savoir si, en dehors du cadre universitaire, les discours critiques et non consensuels peuvent être entendus…et écoutés !
Selon vous, quels efforts pourraient être menés pour que la géographie devienne plus populaire ?
Pour ma part, je crois beaucoup au pouvoir de la vulgarisation. Etant géographe et le revendiquant souvent avec fierté, je n’ai pas vraiment l’impression que la géographie soit très impopulaire. Toutefois, le fait de présenter les multiples atouts et facettes de cette discipline par le biais d’émissions télé (je pense notamment ici au dessous des cartes et globalement aux nombreux reportages diffusés sur Arte), de revues (Urbanisme, Population & Avenir, Géo…), de podcasts (Nos géographies sur France Culture), ou d’articles de presse généralistes permettant de synthétiser les résultats de nos travaux en les rendant accessibles au plus grand nombre est une étape supplémentaire pour faire connaître les innombrables atouts de la géographie !
Laisser un commentaire