« Le Covid-19 est-il mondial ou local ? La réponse au secteur agroalimentaire », par Maria Gemma Grillotti Di Giacomo
La pandémie engendrée par le virus connu sous le nom de Covid-19 nous a placés devant l’obligation de reconsidérer deux « réalités / vérités » sur lesquelles la géographie est appelée à se prononcer: la relation de chaque communauté humaine – qui travaille et produit – avec l’environnement naturel dont elle tire les ressources indispensables à sa vie et les relations spatiales / virtuelles entre les différentes communautés humaines qui peuplent la planète terre. Dans les deux cas, comme nous le voyons bien, le secteur agroalimentaire est impliqué plus directement que les autres secteurs économiques.
On ne peut pas cacher, bien que l’origine du virus Covid-19 soit considérée comme « inconnue », que sa présence dans l’organisme humain et la pandémie répandue sur l’ensemble du globe terrestre doivent être interprétées comme le résultat de la rupture de différents équilibres et d’abord celui qui est l’objet d’étude fondamental de notre discipline: la relation entre l’homme et l’environnement, si emblématiquement exprimée dans les pratiques agricoles.
Nous sommes donc appelés, en tant que géographes, à interpréter les déséquilibres qui ont cassé cette relation en la rendant moins saine et fructueuse. Nous sommes aussi appelés à dessiner une nouvelle géographie de l’espace – ou plutôt des espaces – car la pandémie a élargi l’horizon des problèmes pour embrasser le monde entier. Elle a clairement révélé notre besoin de tisser des collaborations sans frontières, ni théoriques ni idéologiques et, d’autre part, elle nous a forcés à intervenir en adoptant l’optique transcalaire, perspective typique du regard des géographes.
Dans cette situation tout à fait extraordinaire, voire surréaliste, il est essentiel d’acquérir cette capacité de lecture de la réalité à plusieurs niveaux d’observation, ainsi que d’apprendre à les combiner ensemble. La perspective géographique est en effet la seule arme gagnante qui nous permettra – contextuellement et dans le même but – d’agir rapidement et efficacement. Il faut mettre en œuvre à la fois: soit des interventions immédiates, utiles pour circonscrire (ici et bientôt) des flambées de contagion localisées dans des zones spécifiques et ponctuelles (le regard de la grande échelle géographique); soit des interventions stratégiques à long terme, valables de toute façon et partout, pour lesquelles il faut observer la pandémie dans sa complexité, donc de loin et à distance, à travers les corrélations entre les différents territoires et les différents symptômes qu’elle produit (le regard du télescope de Filelfo, si cher à Pirandello, de la petite échelle géographique).
Les deux lentilles d’observation – ou plutôt les deux échelles géographiques – sont également précieuses; en plus: juste combinées et utilisées ensemble, elles seront vraiment indispensables pour éradiquer définitivement le Covid-19 et pour nous apprendre à gérer ses conséquences économiques et sociales.
Le grand cadeau que la géographie peut donner à notre société désorientée n’est pas donc celui de nous aider, tout simplement, à observer les contagions ou les différentes méthodes de propagation du virus: « ici et là » dans les différentes régions d’un pays et/ou dans le réseau de sa dramatique diffusion planétaire. Nous avons beaucoup trop de représentations cartographiques, même interactives et mises à jour en temps réel. La vrai valeur ajoutée que notre discipline peut offrir est celui de nous apprendre à utiliser l’instrument « optique transcalaire » pour lutter contre Covid-19. C’est à dire que la géographie permettra d’agir en associant deux types d’intervention: celui de l’immédiateté temporelle qui garantit l’efficacité et celui de la cohérence stratégique qui gagne le résultat final.
La vision transcalaire devient ainsi une métaphore et un avertissement pour créer une nouvelle écologie (humaine et intégrale) et de nouvelles relations politiques et sociales à tisser à la fois à l’échelle planétaire et au niveau local et personnel.
Il est paradigmatique d’observer ce qui se passe dans les espaces géographiques du secteur agroalimentaire. Les deux dimensions spatiales de la grande et de la petite échelle géographique, du proche et du lointain, dans la relation alimentation-agriculture-environnement se conjuguent constamment et, au milieu de cette pandémie, elles ont montré des éléments de vitalité, aussi que de fragilité, auparavant négligés et/ou mis de côté.
Globalement est apparu le manque – trop souvent l’absence – du nécessaire dynamisme des produits agricoles sur le marché international. Le « libre marché » des espaces intercontinentaux, invoqué et défendu par l’économie libérale, s’est rapidement et très rapidement fermé, pas du tout prêt à affronter l’ennemi commun et complètement prisonnier des transports bloqués par la pandémie. Depuis les dernières semaines de mars 2020, beaucoup des producteurs et commerçants de riz et de blé, plutôt que d’exporter, ont préféré augmenter les stocks en espérant que leur prix de vente, face au Covid-19, augmenterait beaucoup.
Il y a également eu des problèmes au niveau local, pour maintenir en vie le marché agroalimentaires du « Km 0 »; cependant la dimension spatiale du voisin s’est rapidement ouverte à un nouvel espace géographique: celui des réseaux de connexion virtuelle, qui attend encore l’enquête géographique complète. Les fermes familiales ont essayé de promouvoir leurs produits typiques de qualité en ouvrant leurs sites Web et en livrant à domicile, même d’une région à une autre. En d’autres termes, le dynamisme des agriculteurs ne s’est pas arrêté face au Covid-19.
Une nouvelle dialectique locale/globale, aussi que des nouveaux espaces de relation, attendent donc d’être réinterprétés par la géographie depuis l’isolement forcé dû aux règles de distanciation sociale – adopté dans tous les Etats européens et non européens.
Observer ce qui se passe dans le secteur agroalimentaire renforce alors la croyance qu’il faut lire tous les changements apportés par Covid-19 avec la vision transcalaire de la géographie et en même temps nourrit l’idée que le secteur agroalimentaire peut, paradoxalement, nous faire regarder l’avenir avec optimisme.
Face au drame du Covid-19, l’agroalimentaire donne en effet à tout le monde deux possibilités, encore une fois à différentes échelles géographiques. La première est qu’il nous encourage à ouvrir nos frontières nationales pour reconnaître l’apport indispensable de la main-d’œuvre immigrée à la culture de nos champs et à la récolte de leurs fruits, c’est-à-dire à notre survie. La deuxième est qu’il nous apprend à dessiner un nouvel horizon pour nos besoins primaires, en adressant notre demande de denrées alimentaires de qualité à des fournisseurs de confiance.
Avec l’agriculture et par l’agriculture nous pourrons donc reconstruire l’économie et les relations sociales. S’il est vrai que, depuis le début de la pandémie, même le secteur primaire a vécu et souffert un arrêt significatif -on pense aux entreprises du tourisme agricole – il est tout aussi vrai que l’agroalimentaire a continué à jouer un rôle vital en assurant l’approvisionnement essentiel à la survie des familles isolées.
Son importance sera encore plus évidente dans le proche avenir car l’agroalimentaire peut offrir de l’emploi à beaucoup de ceux qui l’ont perdu en raison de la pandémie, et parce qu’il faudra éviter des augmentations exagérées des prix des denrées alimentaires ou, pire encore, les famines qui peuvent survenir à l’occasion des pandémies.
Notre politique agricole commune européenne saisira-t-elle cet important moment historique et saisira-t-elle les deux opportunités? Il faut espérer qu’elle agira dans les plus brefs délais pour redéfinir et rééquilibrer, avec de nouvelles formules, le soutien au secteur primaire devenu stratégique, à cause du Covid-19, dans tous les pays du vieux continent.
Maria Gemma Grillotti Di Giacomo
Membre d’honneur de la Société de Géographie
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