[Billet d’humeur] « Dans quel pays vivons-nous ? », par Alain Miossec
La France est singulière. Du moins le croit-elle, nous sommes tellement les héritiers de l’ancien régime et de la révolution. Nous avons un État fort et fragile à la fois. Fort, il l’était jusqu’à la fin du XVIII° siècle et, à la fin de la parenthèse révolutionnaire, il le redevint, sous la poigne de Bonaparte. Un État centralisé, limant patiemment toutes les aspérités régionales, toutes les « petites patries », pensant désormais et parlant dans une langue unique, le français, intégrant tous ces braves provinciaux via l’école et le service militaire au service de la Nation (le terme existant bien avant la Révolution). Une Nation qui éclairait le monde de ses vertus morales, d’un côté les droits de l’homme et du citoyen, de l’autre, une colonisation assumée dans le cadre d’une république laïque. L’image reste, gravée dans le marbre de nos Constitutions. Mais qu’est-ce qu’une Nation aujourd’hui, à l’heure des intégrations territoriales dont l’Union Européenne est l’incarnation ?
La crise sanitaire, la pandémie du Covid19, pour dramatique qu’elle soit, est comme toute crise un excellent révélateur. Elle scrute les imprévoyances et prépare quelques procès en sorcellerie pour la « sortie de crise » dont on ne sait d’ailleurs à peu près rien ; ni le quand, ni le comment. Elle révèle les disparités territoriales, les contrastes sociaux (au fond les disparités « socio-spatiales » de nos jargons géographiques). Ici les supposés nantis qui filent vers leurs résidences secondaires à la campagne et surtout au bord de la mer, où « l’air est plus pur » sans doute ? Par parenthèse, une bonne illustration des énergies contemporaines qui s’appellent tourisme et mobilité… ; et aussi, progrès social, puisque le nombre de ces migrants temporaires n’est que le reflet de l’incontestable élévation du niveau de vie. De quoi ouvrir les yeux des procureurs de la mondialisation mais comme dit l’évangile, ils ont des yeux mais ils ne voient pas. Là, les territoires perdus de la République mais surtout de la Nation, pudiquement ignorés des médias et même de l’Etat, et depuis longtemps. Apparemment, on y déambule sur les marchés, on reste « groupés ». De longue date, on sait que ces territoires sont largement dépourvus des services de proximité, et donc des services sanitaires de base. Comment y lutte -t-on contre la propagation du virus ? A coup d’amendes qui ne seront sans doute pas payées et au risque de quelques crachats qui disent à la fois la haine de l’État et le simple mépris des règles de l’intelligence. Comment fait-on face aux difficultés scolaires, bien connues mais jamais vraiment résolues du fait des réformes successives mais chaotiques car en partie fondées sur des approches idéologiques !
La crise est donc profondément géographique et interpelle tout le monde. Les géographes en premier lieu qui doivent s’interroger sur les cartes, sur cette mobilité d’un virus qui semble ne pas frapper de manière indifférente (des poches d’un côté, des espaces moins frappés d’un autre côté), qui avance par « vagues », qui est même un tsunami (O bonheur d’un vocabulaire maritime dans un pays qui l’est si peu). Des vagues finalement très « vagues » encore, parce qu’on ne sait pas grand-chose et que ces incertitudes pleines de contradictions sont fortement exacerbées par les réseaux sociaux qui « savent » tout et son contraire ; à la manière des télévisions toujours stimulées par les crises ; après le « terrorisme » trop disséqué par les experts, la pandémie présentée au jour le jour en distillant ce qu’il faut de peur et d’angoisse. La télévision, en boucle et lors des « éditions spéciales », diffuse des informations contradictoires, invite des spécialistes toujours renouvelés, qui eux disent leurs incertitudes quand le questionnement tend à les pousser à dire le pire. Aucune crise récente n’a jamais été suivie d’une quelconque réflexion des médias sur le rôle qu’ils jouent sur la scène devant des publics toujours plus médusés qu’informés ! Alors, pour saluer tous ceux qui se dévouent, localement, au service de ceux qui souffrent, qu’on nous permette de rappeler avec Aragon (et Léo Ferré) que :
« C’était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d’épaule
La pièce était-elle ou non drôle
Moi si j’y tenais mal mon rôle
C’était de n’y comprendre rien
… est-ce ainsi que les hommes vivent ? »
Alain Miossec
C’est tout à fait ce que nous pensons en tant que géographes. Et les poches effectivement nous interpellent (y aurait il un rapport avec le paludisme ou climatologiques? L’isolement ou l’enclavement géographique ? L’isolement politique? Mais l’absence de statistiques officielles et fiables pose souci…).
Merci j’ai « goûté « et maintenant je me dispose à intégrer … je vais transmettre votre article à d’autres !
mujoffre@gmail.com
Un grand salut à Alain MIOSSEC qui a présidé mon jury de thèse en 2000 à Brest. Erwan BRETON
Intéressant
Merci
Plaisir de vous lire Monsieur l’Ancien recteur de l’Académie de Guadeloupe ! Au département de Géographie de la Martinique, vos travaux nous ont bien éclairé sur bon nombre de problématiques attenant à nos territoires insulaires.
merci
Gabin l’avait très bien chanté » et maintenant je sais que je ne sais rien »
Quelle sagesse !
Article a envoyer a Messieurs les technocrates qui nous dirigent
Merci pour cet article très juste et qui rappelle, très justement, qu’être journaliste c’est informer mais c’est aussi avoir des responsabilités!