Coronavirus : positivons !, par Jacques Gonzales
Compassion pour ceux qui pleurent un être cher, victime du Covid-19, pour les malades à la respiration douloureuse et difficile, et au pronostic incertain ; sympathie sincère aussi pour ceux qui vivent à leur côté, dans l’anxiété, l’incertitude du lendemain…
Respect pour les deux lanceurs d’alerte, ce médecin chinois, le Dr Peng Yinhua, mort à 29 ans, le 21 février dernier, pour se consacrer à ses patients alors qu’il devait se marier fin janvier, ou encore pour cet ophtalmologue, le Dr Li Wenliang, qui avait subi le même sort dans la nuit du 6 au 7 février, à l’âge de 34 ans.
Ils sont légion par le passé ces médecins plus ou moins célèbres, victimes de la maladie qu’ils voulaient soigner, ces convoyeurs, ces sauveteurs qui voulaient préserver des inconnus par simple devoir.
Rappelons aussi l’histoire d’Ignace Semmelweis. Cet accoucheur hongrois qui a été le premier à montrer que le lavage des mains évitait la mort par infection secondaire de ses parturientes. Ses collègues ne l’ont pas cru. C’était avant Pasteur et Koch.
Au cours de ma carrière, j’ai connu, à l’Assistance publique de Paris, des services de pointe fermés pour des raisons de maladies nosocomiales. Alors que des frais importants avaient été engagés pour y remédier, il s’était avéré quelques fois, après enquête, qu’il s’agissait d’infections liées à de mauvaises pratiques, à des négligences : les coupables étaient un ou quelques soignants qui pensaient que fumer la pipe stérilisait l’atmosphère ambiante ou qui ne se lavaient pas suffisamment les mains, parce qu’ils voulaient gagner du temps.
Il est très difficile de changer les comportements et même en période d’épidémie extensive, on sait qu’urgence n’est pas précipitation.
Personne n’est au-dessus des germes, pas plus les soignants que ceux qui veulent acquérir des voix en serrant des mains.
Se laver les mains ! Oui, souvent ! et comment ? Dans le Journal Aujourd’hui en France du 29 février, on pouvait lire la réponse, schéma à l’appui, un document remarquable ! Une information trop rare… car il semblerait qu’il faut réussir un concours très sélectif pour avoir la possibilité d’apprendre à bien se laver les mains. Oui, voilà ce que découvrent en tout début de deuxième année, les étudiants en médecine, avec un certain amusement. Satisfaction et étonnement finissent par l’emporter.

Comment se laver les mains ? Source : Aujourd’hui en France du 29 février
Les mauvais exemples en effet pleuvent.
Les footballeurs vedettes toussent et crachent et les chaînes de télévision ne manquent pas de les montrer alors en gros plan, des images pour prouver qu’ils sont allés au bout de leur effort alors qu’ils ont raté la cible. Ils crachent comme une excuse, du moins le font-ils croire, …un message qui séduirait leurs fans. Curieusement les rugbymen ne crachent pas, ni les rameurs, ni les haltérophiles malgré des efforts plus violents encore. Curieusement aussi, les rassemblements de plus de 5000 personnes ont été interdits, à l’exception des matches de football…
J’ai vu écrit sur un trottoir de Lausanne « Interdiction de cracher ! » Il existe ailleurs des panneaux interdisant même de tousser. La tuberculose, souvent pulmonaire, qui touche dix millions d’humains par an et en a tué 1,5 million en 2018 semble oubliée dans notre pays. Elle a pourtant forgé des habitudes, transmises de générations en générations (« Mets ta main devant la bouche quand tu tousses »). C’est ainsi que les mains deviennent vectrices de contaminants tout au long de la journée.
Aujourd’hui la mode est plutôt aux campagnes pour trier les déchets, des gestes vertueux qui rapportent aussi de l’argent… autrefois, les ordures étaient redoutées, enterrées, brûlées, mises à l’écart dans des sacs clos… aujourd’hui, dans des poubelles grandes ouvertes, certains trient à mains nus ou en portant des gants parfois déchirés… combien se lavent méticuleusement les mains, c’est-à-dire y compris sous les ongles, après ces interventions plus ou moins sauvages et/ou salutaires pour la planète ? Nous avons la chance de vivre dans un pays où la plupart d’entre nous disposons d’eau courante et pure. Pensons à tous ceux qui ne vivent pas dans ces conditions, des territoires où l’eau est si rare qu’elle sert surtout à la boisson ou encore à ces foules condamnées à migrer, privées de tout moyen d’hygiène.
Chez nous, on vend des masques, des gels hydroalcooliques… et on néglige l’usage répété de l’eau savonneuse ainsi que la préservation des poignées de portes.
Il est curieux de constater que les programmes du secondaire excluent l’éducation à la santé, les bases de l’hygiène. Combien de parents sont capables d’expliquer à un enfant comment se laver les mains ? Combien de femmes éviteraient de connaître des infections urinaires si elles savaient s’essuyer les fesses après chaque selle ? Des détails qui semblent trop crus ? Il y aurait là les moyens de faire de grandes économies de santé si de telles leçons élémentaires étaient connues et diffusées. La carence éducative est criante en France, souvent au nom de la pudeur ou de la réserve.
De même à l’heure des montres connectées, un minimum de connaissance sur le fonctionnement du corps humain éviterait bien des paniques en cas de douleurs, de difficultés respiratoires, cardiaques ou encore de blessures. Malheureusement les programmes scolaires ne sont pas du tout adaptés à ce type d’apprentissage sur la santé qui distinguerait bobologie et urgences vraies. On vend des masques pour se déplacer dans la rue, à pied ou en deux roues. Pourtant leur utilité est bien réduite vis-à-vis des risques infectieux. Les yeux constituent aussi une porte d’entrée des germes car les larmes s’évacuent dans les fosses nasales. Ils sont négligés.
La rougeole est bien plus contagieuse que le coronavirus ; un article paru dans le Journal du Dimanche du 1er mars le montre à partir de données scientifiques reconnues. Son vaccin existe, mais il a été bien difficile d’en imposer sa prescription, tandis que celui contre le coronavirus est réclamé à grand bruit.

Comparaison des taux de mortalité et de contamination entre plusieurs agents infectieux. Source : Le Journal du Dimanche du 3 mars
Espérons que ces événements sanitaires ramènent la curiosité des esprits vers plus de science. La résistance à la connaissance scientifique est délétère. Halte, par exemple, à une croyance, la règle des cinq secondes, selon laquelle lorsqu’un objet tombe au sol, il faut le ramasser dans les 5 secondes pour qu’il n’ait pas le temps d’être souillé. Des expériences scientifiques ont été menées pour démontrer l’absurdité de cette théorie mais des sondages récents montrent que cela ne suffit pas.
La quarantaine, l’isolement, tout comme les fortes conséquences économiques qui s’annoncent favorisent la réflexion et les remises en cause. Alors positivons ! Le vaccin antigrippal est généralement trivalent, il ne protège que contre trois souches virales, en cette année, deux de type A, H1N1 et H3N2, et une de type B. Comme ces virus mutent, le vaccin est préparé en suivant les recommandations actualisées de l’OMS, en février pour l’hémisphère nord qui seul est concerné par la grippe, coïncidant avec le froid de l’hiver suivant. Cette répartition limitée aux pays situés au-dessus de l’équateur est bien visible sur la carte en temps réel de l’université américaine Johns-Hopkins.

Répartition des cas de coronavirus dans le monde. Source : Capture d’écran du site dédié de l’université du Johns Hopkins (5 mars 2020 : 15h30)
Il y a quelques années, à la suite de l’épidémie de SRAS, un autre coronavirus, un vaccin avait été rendu disponible en un an et demi… cette propagation virale avait entretemps disparu. Il très probable que la pandémie actuelle va également s’éteindre dans les mois qui viennent, grâce à la chaleur de l’été, salvatrice dans le cas particulier, dans un délai précis que nous ignorons.
Tout le monde se souvient ou a entendu parler de ces virus, de la grippe A (H1N1) qui avait fait tant de morts en 1918-19 (la grippe « espagnole »), de la grippe « asiatique » (H2N2), de la grippe aviaire (H5N1). La grippe de Hongkong (1968), la grippe russe (1977-78), la grippe mexicaine (2009-10)… c’est la guerre des noms pour désigner le territoire coupable, et en cette année, la ville de Wuhan.
Quelle est la virulence de ces germes en termes de comparaison ? La mesure du taux de mortalité dont ils sont responsables permet de l’apprécier. La fameuse grippe espagnole, en fait d’origine chinoise, avait fait plus de 50 millions de morts. A cette époque manquaient tous les moyens dont on dispose aujourd’hui, les moyens de protection, les vaccinations, les antibiotiques, les antiviraux, la réanimation bien sûr mais aussi les connaissances scientifiques sur la propagation et la dangerosité des virus.
Pourquoi la proportion de décès lié au coronavirus varie-t-elle selon les pays, de 1,5 à 3% sachant qu’elle est inférieure à 2% pour la France ? Il est trop simple d’imaginer que seules sont en cause les différences de niveau économique ou sanitaire. Les Hommes sont aussi différents, génétiquement mais pas seulement, et l’âge des malades aussi intervient dans le pronostic, les enfants semblant résister mieux au coronavirus que les octogénaires.
La mondialisation est un fait indiscutable comme en témoigne la propagation des informations par les tweets qui dépasse très largement la vitesse du son. Pour autant l’extension d’une épidémie se fait pays par pays, ville par ville, sauf lorsque à la faveur d’un déplacement, même d’une seule personne, elle saute par-dessus des frontières. Elle est scrutée par les anxieux, par les décideurs, par les candidats à des voyages pour le travail ou pour les loisirs. Notre Terre avec son environnement peut leur paraître ressembler à un aquarium pour quelques poissons rouges ! Il faut plutôt remarquer l’existence d’une biodiversité humaine qu’analysent et que cherchent à comprendre les géographes. Les conditions de vie varient sur la planète ; le voyageur recherche plutôt ce dépaysement, ce parfum d’inconnu. Il sait que nous vivons au milieu des autres, que nous sommes des citoyens de ce monde ; il sait respecter nos différences plutôt que les renier, voire les combattre comme certains par des moyens parfois réellement inhumains.
La Société de Géographie par la diversité des thèmes de ses publications s’attache bien à souligner les différences d’habitats, de tenues vestimentaires, d’alimentation, de langues, de coutumes, de croyances, de médecines de ceux qui vivent par ailleurs en zones rurales, urbaines, à la montagne ou en bord de mer, sur toute la surface du globe. Les hommes n’appréhendent pas tous de la même façon une épidémie et leur risque d’exposition varie. Pour la grippe, l’hémisphère nord est touché de novembre à mars alors que pour le sud, c’est plutôt de juin à septembre, une différence liée au climat.
Les économistes, les politiques devraient se rendre compte à la faveur des circonstances actuelles que la santé peut représenter non pas un coût, mais un véritable investissement. La bonne santé de ceux qui travaillent, la qualité de vie maintenue le plus longtemps possible pour les moins jeunes ne constituent-t-elles pas un enjeu économique stimulant ? Les conditions d’exercice, les émoluments des personnels médical et paramédical, en particulier dans le service public, sont absolument inacceptables et, ce ne sont ni les mesures concernant la télémédecine, ni la suppression du numerus clausus, qui vont, à court et moyen termes, résoudre une situation toujours plus critique.
Il faut sans doute repenser les modèles économiques à la lumière de ces événements infectieux qui sont amenés à se reproduire. Les gouvernants, les décideurs devraient reconnaître leur humilité en matière de savoirs, en particulier scientifiques. Méconnaître la géographie alors qu’elle éclaire notamment les questions économiques liées à la santé constitue un manque dans leur formation. Faire croire aux jeunes générations que le retour à la nature est une voie d’avenir, leur faire douter de l’intérêt d’embrasser des carrières scientifiques pourraient devenir désastreux pour une humanité qu’il faut protéger contre elle-même.
Ou alors, allons plus loin dans le raisonnement technocratique, avec le même cynisme que cette Ministre de la santé d’un pays de l’Est, il y a quelques années : ne plus soigner les vieux, eux qui sont si fragiles en ces circonstances… une manière de résoudre le financement des retraites.
Jacques Gonzales
Secrétaire général de la Société de Géographie
Professeur en médecine (er)
Enseignant à l’IPAG Business School
Merci Monsieur de cette piqûre de rappel au bon sens.
Merci de cette belle synthèse, cher Monsieur Gonzales.
Bravo et merci pour cet article infiniment loin de la psychose dans laquelle nous vivons. Et merci de remettre la géographie au cœur de cet article d’actualité.
Merci pour cet article, marqué du sceau de la raison et de la mise en perspective tant spatiale que temporelle. Puisqu’il s’agit de la Société de géographie, je dirais un mot du pays dans lequel je vis, l’Islande. Non, la mer n’a pas été un barrage. Méchant virus qui s’en est moqué, car il nous est arrivé par les airs ! Plusieurs personnes venant d’Italie, et qui séjournaient dans le même hôtel, ont été touchées. Bilan : une dizaine de malades, une bonne centaine de personnes en quarantaine chez elles.
Le reste de la population suit à la lettre (comme à l’accoutumée pour les Islandais) les recommandations des services concernés. Mais pas de panique, on apprend à se laver correctement les mains, et on laisse les masques aux personnes malades et aux soignants. Les Islandais ne commenceront à paniquer que dix minutes avant la fin du monde ! Comme le dit le Professeur Gonzales, ils en ont vu d’autres.
merci pour cette information de belle qualité qui remet l’actualité dans le contexte historique et culturel; en perspective, donc.
Merci pour ce très bel article empreint à la fois de sagesse et d’humilité. Une belle leçon écrite par un grand professeur, de m » édecine ou de géographie?
Et quand on voit les mecs sortir des WC des grandes surfaces sans se laver les mains … on sait que tous les microbes et autres pathogènes ont l’avenir devant eux dans les rayons des dits magasins, poignées de porte, distributeurs de billets, etc. !
excelente etude,simple et realiste du prof.Gonzales, la Societe de Geographie n’est pas une sterile association destinee au plaisir de quelques menbres mais un outil de communication indispensable comme le prouve cet article.