Antoine Le Blanc : « Faire de la géographie, c’est situer, dans un sens très dense, très profond »

Professeur des Universités en géographie à l’Université du Littoral – Côte d’Opale, Antoine Le Blanc a fait de la question des risques le thème central de ses travaux de recherche. Toutefois, loin de se cantonner au seul monde universitaire, ce géographe touche-à-tout, président du Comité National Français de Géographie depuis 2016, s’est aussi donné pour mission de promouvoir la géographie à destination de tous. Portrait d’un enseignant-chercheur au dynamisme contagieux.

 

 

Comment avez-vous découvert la géographie ?

 

J’ai tout simplement eu de bons professeurs au lycée, des personnes passionnantes, à qui je dois beaucoup. J’avais un attrait marqué pour les voyages, la découverte et la compréhension du monde, j’aimais les langues étrangères, je voulais connaître d’autres horizons : bref, c’est très banal. Cela aurait pu passer par l’approfondissement d’autres disciplines, mais c’est la géographie qui a le mieux répondu à mes attentes.

 

Quels sont vos domaines et terrains de recherche ? Pourquoi vous êtes-vous tourné vers eux ?

 

Je travaille sur les risques. Qu’on parle de risques dits naturels, ou de risques industriels, urbains, alimentaires, etc., il existe des méthodes, des approches, qui sont à la croisée de la donnée historique, de l’analyse proprement géographique, et des aspects très opérationnels. J’ai commencé à étudier les risques liés à la gestion de l’eau, puis la gestion du risque sismique dans les villes italiennes. J’ai ensuite poursuivi sur les risques technologiques et la mise en place de périmètres de délimitations. Récemment je me suis penché sur les liens entre risques et périmètres de sûreté, en étudiant ce que j’appelle la construction de territoires rassurants, avec l’exemple du sport gay et lesbien.

Je me suis tourné vers l’étude des risques parce qu’il me semble qu’elle ouvre énormément de perspectives, qu’elle nécessite de constants réajustements, qu’elle est au croisement de disciplines et donc permet de dialoguer avec beaucoup d’acteurs, tout en étant réellement une approche très géographique. Il y a sans doute aussi une composante psychanalytique dans ce choix, mais je ne développerai pas ! Enfin, je pense m’être trouvé, plus basiquement, pris dans un mouvement : la décennie 1990 avait été déclarée décennie internationale des risques, énormément de recherches ont été lancées dans ce domaine à ce moment-là, il y avait un bouillonnement extrêmement porteur.

 

Pour vous, comment « fait-on » de la géographie ?

 

Il y a bien sûr autant de façons de faire de la géographie que d’individus sur la planète ! Tout le monde fait de la géographie, souvent sans le savoir, comme M. Jourdain. Tout le monde analyse et construit des territoires à différentes échelles, s’appuyant sur des interactions de divers types… Ceci étant, pour être géographe au sens où l’on met en œuvre une méthode scientifique, il faut, comme pour toute science, disposer d’une connaissance solide et vaste, on ne le dit peut-être plus assez. Il y a bien sûr des méthodes à acquérir, mais avoir ces connaissances est indispensable. Il est également crucial, en géographie, de se frotter au terrain, ainsi qu’à la cartographie et au dessin, qui sont déjà des analyses en soi. Mais je souligne vraiment la nécessité d’avoir des connaissances, car il n’est pas possible de comparer, de comprendre des interactions, d’évaluer des flux ou des processus, si on n’a pas un ensemble d’exemples, de mesures, de contextes, pour situer ce qu’on est en train d’analyser. Faire de la géographie, c’est situer, dans un sens très dense, très profond.

 

Quels textes, auteurs, ont influencé vos travaux et comment ?

 

Je dirais que je suis assez éclectique, et en même temps assez classique. J’ai beaucoup appris à partir des grands géographes français ; si je devais en citer quelques-uns, je dirais Armand Frémont, Paul Claval…

Ce sont pourtant des auteurs non géographes qui m’ont peut-être le plus influencé : sociologues, philosophes, historiens, notamment. Parmi les auteurs étrangers, ce sont les Italiens que j’ai le plus lus, avec les auteurs nord-américains.

Mais si je devais citer un ou deux ouvrages qui ont marqué très fortement à la fois ma formation et ma façon de faire de la géographie, ce sont, incontestablement, Le Dictionnaire de la Géographie de Pierre George et Fernand Verger, et Les Mots de la Géographie de Roger Brunet. Je feuillette encore ces deux ouvrages avec un plaisir immense, j’apprends de leurs oppositions, de leurs complémentarités, de la précision extrême et éblouissante de l’un, de la vitalité, de l’ouverture et de l’engagement de l’autre.

 

La géographie n’est guère aimée du grand public. Que suggérez-vous pour changer cette situation ?

 

La géographie n’est en fait guère connue du grand public. Si elle l’était plus, je n’ai aucun doute qu’elle serait mieux aimée ! La géographie imprègne de nombreuses autres disciplines, elle est un peu distillée dans les cours de langues au lycée, mais aussi en sciences de la vie et de la terre, et à mon sens également en français par exemple. Au fond, je crois que tout le monde aime comprendre ce qui se passe autour de soi. Si les géographes arrivaient à mieux faire comprendre, dès le lycée, les articulations entre géographie physique, géographie économique, géopolitique, géographie culturelle, etc., il n’y aurait plus assez de place dans les amphis pour accueillir tous les passionnés de géographie !

Je ne place pas la « faute » sur le manque d’enseignants du secondaire géographes, ou sur les programmes. Des efforts peuvent être faits dans cette direction, c’est certain, mais ils sont toujours sujets à controverse. En réalité, on voit bien que la géographie connaît les mêmes défis dans d’autres pays : il ne s’agit donc pas d’un enjeu franco-français.

De mon point de vue, la géographie pâtit de son périmètre extrêmement large, qui oblige à saucissonner, et empêche de comprendre tôt le potentiel de la matière. Par ailleurs elle n’est pas associée à des métiers, dans l’imaginaire collectif – alors que, pour un géographe, il est évident que la formation en géographie ouvre la voie à un nombre et une variété de professions à faire pâlir n’importe quelle autre discipline ! Sur ce plan, il y a un effort à faire qui n’est pas si compliqué : il faut investir dans la communication, or beaucoup d’entre nous sont réticents ou peu compétents en la matière.

 

Quels efforts accomplissez-vous personnellement dans cette direction ?

 

Lorsque j’ai été élu président du Comité National Français de Géographie, nous avons lancé plusieurs projets majeurs, tous visant à mettre en valeur et à renforcer la géographie notamment française et francophone. Nous avons créé la Nuit de la Géographie, qui est devenue européenne dès la deuxième édition : ce sont des événements participatifs, au cours desquels les géographes parlent de ce qu’ils font à un public plus large. Le succès de l’événement montre à quel point cela vient combler une attente.

Nous avons aussi lancé les Olympiades nationales de géographie, pour revaloriser la géographie au lycée, montrer que nous pouvons nous inscrire dans des compétitions internationales, au même titre que les sciences exactes. Nous organisons en France, en 2022, le centenaire de l’Union Géographique Internationale : c’est une occasion de mettre en avant les géographes français, de ressouder notre communauté autour d’un événement majeur. Ce sera aussi une vitrine pour la géographie dans sa diversité et dans son actualité.

Enfin, nous avons essayé de rajeunir et de diversifier les membres et les commissions du CNFG, car, comme beaucoup d’associations et de sociétés savantes, la tendance n’est pas à l’implication (bénévole) dans des structures perçues comme non immédiatement productives ou rentables. Maintenir à flot ou consolider de telles structures est déjà, en soi, une sorte de résistance, un acte politique qui souligne qu’aujourd’hui, dans nos sociétés, il n’est pas seulement important de faire de la géographie, et donc de soutenir l’enseignement et la recherche en géographie : c’est absolument nécessaire.

Laisser un commentaire

%d blogueurs aiment cette page :