Le Viet Nam et sa mer de l’Est, par S. E. Nguyen Thiep, Ambassadeur du Viet Nam en France
Compte-rendu de l’exposé de S. E. Nguyen Thiep, Ambassadeur du Viet Nam en France,
prononcé lors du déjeuner-débat organisé le 24 mai 2019
Situé au bord du Pacifique et au centre de l’Asie du Sud-Est, le Viet Nam est bordé au nord par la Chine, à l’ouest par le Laos et le Cambodge et s’ouvre au sud et surtout à l’est sur la mer, qui longe la côte du pays, tout au long des 3260 km.
Cette zone maritime, appelée par les Vietnamiens « la Mer de l’Est », et non pas « la Mer de Chine méridionale », un nom qui pourrait faire comprendre à tort qu’elle relève du territoire chinois, représente des intérêts essentiels non seulement pour les pays riverains mais encore pour d’autres pays tant sur le plan économique, stratégique que sur le plan environnemental. Plus précisément, sur le plan économique, en termes de ressources halieutiques, 8% de la production de la pêche commerciale mondiale y est produite. En termes de réserves énergétiques, selon l’US Energy Information Agency, les réserves de pétrole et de gaz dans la Mer de l’Est sont estimées respectivement à 11 milliards de barils et à 54 milliards de m3. Sur le plan stratégique, la Mer de l’Est, à la charnière entre l’Océan Indien et l’Océan Pacifique, représente non seulement une passerelle vitale pour la sécurité des pays de la région mais aussi un axe stratégique majeur pour le commerce mondial dont 30 % y transite. Cette mer relie également l’Asie à l’Europe en passant par le Moyen Orient, assurant ainsi l’acheminement des importations et exportations, notamment d’énergies pour de nombreux pays d’Asie mais aussi d’Europe. Sur le plan environnemental, la zone abrite une biodiversité très riche avec 76% des espèces de coraux de la planète, 6 ou 7 espèces de tortues marines, 400 espèces de poissons, jouant un rôle essentiel dans l’écosystème régional.

D’après Australian National University CartoGIS CAP 11-155
Ces atouts de la Mer de l’Est sont encore plus vitaux et cruciaux pour le Viet Nam où 80 % de la population vit sur le littoral et dont l’économie maritime représenterait jusqu’à 50% du PIB national.
Toutefois, cet espace maritime fait depuis longtemps l’objet de litiges entre la Chine et le Viet Nam concernant les Paracels, entre le Viet Nam, la Chine, la Malaisie, les Philippines, le Brunei et Taiwan concernant les Spratleys. Si les preuves historiques (documents, textes juridiques, cartes, … ) [1] ont démontré que le Viet Nam a établi et exercé sa souveraineté sur les îles de Paracels et de Spratleys, les deux principaux archipels de la zone, et ce de manière pacifique, continue (depuis que ces îles étaient encore terra nullius et même à l’époque coloniale où la France a pris le relais de l’Annam pour exercer les droits de souveraineté et de juridiques sur ces territoires) et sans faire l’objet d’aucune protestation de la part d’autres Etats ; le pays privilégie toujours le règlement des différends par les mesures pacifiques, en conformité avec le Droit international dont la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM). Il respecte les dispositions de la Déclaration sur la bonne conduite en Mer de l’Est et apporte ses contributions actives aux négociations en vue d’établir un code de bonne conduite (COC) dans cette zone.
La Chine, de son côté, dictée par ses revendications de « la ligne en neuf traits », cherche à les concrétiser sur le terrain, même si celles-ci sont jugées par la Cour Permanente d’Arbitrage (CPA) de La Haye « sans fondement [2] ». Elle a procédé à plus d’une opération perturbant la navigation de navires de pêche, d’explorations pétrolière et gazière des pays riverains, à savoir le Viet Nam, la Malaisie, les Philippines. Il est à rappeler qu’en 2014, la Chine a déployé sa plateforme pétrolière Haiyang Shiyou 981 pénétrant à l’intérieur des 80 milles marins du plateau continental du Viet Nam, à 119 milles marins de l’île de Ly Son et à 130 milles marins de la côte du Viet Nam. Et celle-ci y est restée pendant 73 jours. Tout récemment encore, le 4 juillet 2019, le navire de prospection géologique Haiyang Dizhi 8 (HD 8), escorté par de nombreux navires des garde-côtes et bateaux de pêches chinois a effectué une opération à l’intérieur de la zone économique exclusive (ZEE) du Viet Nam (à environ 36 milles marins de la ligne de base du Viet Nam). Entre le 4 juillet et 27 août 2019, le point le plus proche des côtes vietnamiennes constaté lors des passages du HD8 est à 185 km de la côte du Viet Nam. Plus gravement, le 13 août 2019, le HD 8 a été escorté par 6 navires de garde-côtes, 10 bateaux de milices maritimes, un remorqueur et deux ravitailleurs [3]. Ces opérations répétitives dans la ZEE du Viet Nam constituent une violation sérieuse d’un des principes de base des relations internationales prévus par la Charte des Nations Unies, qu’est le non recours à la menace ou à l’emploi de force [4]. D’autant plus qu’elles ont été menées suite à la construction illégale, à la poldéralisation des structures dans les îles des Paracels et des Spratleys et à l’organisation renforcée des exercices militaires chinois en Mer de l’Est au cours de ces deux dernières années.

Le navire chinois Haiyang Dizhi 8 poursuit ses opérations dans la zone économique exclusive du Viet Nam. Le graphique montre toutes les activités du 3 juillet au 6 août 2019. Source: Ryan Martinson, China Maritime Studies Institute, U.S. Naval War College.

Le graphique montre les activités du navire de relevé chinois Haiyang Dizhi 8 depuis son départ du Fiery Cross Reef le 13 août. Les pistes entourées datent du 24 au 26 août 2019. Source: Ryan Martinson, China Maritime Studies Institute, U.S. Naval War College.
Ces actes unilatéraux de la Chine, menaçant la sécurité maritime, notamment les libertés de navigation et de survol dans les zones maritimes définies conformément à la CNUDM, ne font qu’augmenter la préoccupation pour la paix, la stabilité et les perspectives de développement [5] d’une des régions les plus dynamiques du monde.
[1] Voir Monique Chemillier-Gendreau, La souveraineté sur les archipels Paracels et Spratleys, Harmattan, Paris, 1996 et Nguyen Thi Hanh, Conflits frontaliers sino-vietnamiens: De 1885 à nos jours, Demopolis, Paris, 2018.
[2] La sentence prononcée le 12 juillet 2016 par la Cour Permanente d’Arbitrage (CPA) de La Haye sur les différends en Mer de l’Est entre les Philippines et la Chine: (i) Il n’existe aucune preuve que la Chine a historiquement, exercé un contrôle exclusif sur les eaux et les ressources de la Mer de l’Est et qu’il n’y a aucun fondement juridique pour que la Chine revendique des droits historiques sur des ressources dans les zones maritimes à l’intérieur de la « ligne en neuf traits »; (ii) Aucune des îles des Spratleys n’est capable de générer de zone maritime étendue et les îles de Spratleys ne peuvent pas générer de zone maritime collectivement, en tant qu’élément; (iii) La Chine a violé les droits souverains des Philippines dans sa zone économique exclusive : en entravant les activités liées à la pêche et l’exploration pétrolière menées par les Philippines, en construisant des îles artificielles et n’empêchant pas les pêcheurs chinois de pêcher dans la zone. Voir le communiqué de presse de la CPA du résultat sur le site : https://pcacases.com/web/sendAttach/1802 ou la sentence complète sur le site : https://pcacases.com/web/sendAttach/2086.
[3] “China intrudes into Vietnam’s economic zone, places Coast Guards near ONGC block”, available at: https://www.wionews.com/world/china-intrudes-into-vietnams-economic-zone-places-coast-guards-near-ongc-block-244631.
[4] L’Article 2-4 de la Charte des Nations Unies qui dispose que : « les membres de l’organisation s’abstiennent dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ».
[5] Statement by the Spokesperson on recent developments in the South China Sea, European Union External Action, 28/08/2019, voir le site https://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage/66749/statement-spokesperson-recent-developments-south-china-sea_en.
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