Espèces d’espaces en maternelle : entretien avec Vincent Boudard

L’enseignement de la géographie ne commence pas au collège. L’exemple de Vincent Boudard, professeur des écoles à l’école d’application Triolet/Gréber à Beauvais, montre comment, dès la maternelle, un travail de familiarisation des élèves à leur espace alentour peut être mis en place. Une expérience peu fréquente qui, espérons-le, ne manquera pas de faire des émules.

 

 

Comment avez-vous découvert la géographie ?

 

Mes souvenirs en géographie sont un peu lointains. J’ai passé un DEUG histoire-géographie à l’université de Rouen. Je me rappelle me poser cette question, et encore plus avec le recul : j’apprends des villes, des densités de population, des cartes du monde entier et finalement je connais peu mon département. Je connais peu l’espace qui m’est le plus proche, celui dans lequel je vais évoluer, alors même que, selon le dictionnaire, « la géographie est une science qui a pour objet l’observation, la description et l’explication des phénomènes physiques, biologiques et humains à la surface du globe… ».

Quand je suis arrivé en maternelle, en 2000, j’ai repris cette définition à l’appliquant à la classe, l’espace le plus proche des élèves. Comme le rappelle les programmes : « L’expérience de l’espace porte sur l’acquisition de connaissances liée aux déplacements, aux distances et aux repères spatiaux élaborés par les enfants au cours de leurs activités ».

Les enseignants se posent bien souvent la question de l’aménagement de la classe pour qu’elle soit fonctionnelle, pratique. Mais ils se demandent plus rarement si cet aménagement favorisera les conditions nécessaires à l’acquisition de connaissances et compétences liées à l’espace.

 

Indépendamment même des programmes et de leurs évolutions, à quels objectifs accordez-vous une importance particulière ?

 

Dans les programmes 2008, la structuration de l’espace se trouvait dans le domaine « Découvrir le monde ». Dans les programmes 2015, elle se trouve dans le domaine « Explorer le monde ».

Ce changement de verbe est explicite. L’objectif est d’explorer. Explorer signifie « parcourir, visiter une contrée, un lieu mal connus ou inconnus en les étudiant avec soin ». Il ne s’agit donc plus seulement de découvrir mais d’observer, étudier, inventorier, approfondir, de visiter, reconnaître, fouiller, sonder ces espaces au premier rang desquels se trouve la classe. L’enseignant doit donc créer les conditions qui vont permettre cela.

 

Selon quelle(s) démarche(s) se construit votre enseignement de la géographie ? Comment les mettez-vous en place dans votre/vos classe(s) ?

 

J’ai travaillé pendant quelques années dans une classe de toute petite section et petite section (2-3 ans). Les questions de début d’année étaient celles citées ci-dessus. J’ai donc pensé un aménagement de classe vide, en début d’année, de tout espace de jeux symboliques. D’abord pour répondre aux besoins moteurs de ces si jeunes élèves et pour leur permettre d’interroger cet espace et de le penser, de l’aménager. Cette réflexion a été menée avec un professeur de français de l’ESPE pour observer les liens entre les productions langagières et les actions dans des espaces particuliers.

Au cours de l’année, nous avons installé un espace « cuisine » en choisissant le lieu, le mobilier et les objets pour y jouer (en référence avec la réelle cuisine de l’école). Certes accompagnés de l’enseignant, les choix ont été réalisés par les élèves. Ce questionnement de l’espace, cette ouverture du regard à permis aux élèves de développer une excellente connaissance de celui-ci.

Les observations des enseignants ont montré de réels progrès de la part des élèves dans des espaces connus et reconnus. Des situations d’apprentissages concrètes y ont été menées permettant aux élèves d’évoluer dans ces espaces et d’y développer des connaissances et des compétences liées à l’espace notamment en termes de lexical topologique et de repères.

Un peu plus tard, dans une classe de moyens-grands (5-6 ans), la même démarche a été reprise avec la mise en place d’un espace épicerie dans la classe. La connaissance de l’espace s’est élargie au quartier dans lequel les élèves se sont déplacés. Là encore, l’observation, le questionnement, l’ouverture du regard sur le monde qui nous entoure, le monde proche, ont eu une grande importance. Un travail autour des itinéraires a pu être mené parce que les enfants ont agi dans cet espace avec leur corps.

 

Selon vous, l’enseignement de la géographie se heurte-t-il à des difficultés particulières ?

 

Je suis amené à visiter beaucoup de professeurs des écoles stagiaires dans leurs premiers pas d’enseignants. Je constate que finalement je vois peu de situations d’apprentissages liées à l’espace. Ce qui pourrait montrer que l’intérêt porté à cette question n’est pas la plus prégnante. On observe parfois, il est vrai, des situations où les notions d’espace sont travaillées, mais elles le sont autour de représentations photographiées ou dessinées comme autour d’un jeu de société par exemple. Or, ce qui est essentiel pour les jeunes enfants, c’est de vivre les situations par le corps. Je fais mien les propos de C. Berdonneau pour qui « la structuration de l’espace ne peut se faire que lorsque l’enfant a acquis une image mentale correcte de son propre corps, ce qui passe par des activités pluridisciplinaires ». La salle de motricité, autant que la classe, est le lieu propice au développement de cette acquisition.

L’aménagement des espaces est une question qui revient sans cesse dans les équipes. Les espaces doivent être évolutifs et diversifiés tout au long de la maternelle. Trop de classes restent figées de septembre à juin et d’année en année. Des réflexions d’équipe doivent être engagées de façon à proposer une progressivité dans la mise en place des espaces dans les classes maternelles.

Enfin je rappelle aux jeunes enseignants qu’il est impératif de travailler d’abord sur les espaces proches des enfants dans lesquels ils vont évoluer, vivre, partager. Ce n’est qu’ensuite que leur ouverture au monde à travers l’évocation d’espaces plus lointains ne peut être abordé.

 

Avez-vous un souvenir de « moment de grâce » survenu dans un de vos cours de géographie ?

 

Lorsque j’ai passé mon examen pour devenir formateur, un jury de quelques personnes est venu dans la classe. Il a assisté à un jeu, autour de l’espace, directement lié au projet cité ci-dessus dans la classe de toute petite et petite section. Ces personnes ont souligné la qualité des échanges entre les enfants et leurs connaissances de cet espace. Les élèves sont toujours très investis quand ils deviennent de petits chercheurs, des questionneurs, des curieux… et ça, c’est un réel plaisir pour l’enseignant.

 

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