Introduction de M. Christian Pierret au colloque « Vive l’énergie ! Pour la croissance, les choix pour notre avenir »

Le 16 mars dernier la Société de Géographie de Paris organisait le colloque "Vive l'énergie ! Pour la croissance, les choix pour notre avenir". Nous vous proposons de revivre cet événement grâce au texte de l'allocution introductive de M. Christian Pierret, ancien ministre de l'industrie.

 

Le cadre de nos réflexions nous est fixé par l’actualité nationale et internationale : les très importants Accords de Paris, signés il y a un peu plus d’un an dans la foulée de la conférence des Parties sur le climat (COP 21) ont marqué – grâce aux efforts des négociateurs français – une nette avancée du consensus politique sur les perspectives climatiques telles que le GIEC les étudie depuis de nombreuses années : au rythme actuel du réchauffement de l’atmosphère, on devait constater une hausse de 3 à 6° Celsius, en 2100, de la température moyenne du globe. La participation efficace des Etats-Unis et de la Chine et la clarté de leur engagement, manifesté par leur signature de l’acte final, ont été décisifs – tout comme la fermeté européenne – pour que la conférence soit un succès. On a remarqué aussi, la présence et le volontarisme des entreprises multinationales pour participer à ce que les commentateurs, emportés par leur enthousiasme, ont vite qualifié de « sauvetage de la planète… pour assurer l’avenir de l’Humanité ». Pas moins !…

Déjà en août 2015, le Parlement français avait adopté à une large majorité la Loi sur « La transition énergétique et la croissance verte » qui est venue apposer un sceau législatif sur une démarche qui avait, pendant deux ans, mobilisé de nombreux acteurs de toutes les régions, représentant une grande variété de métiers et d’entreprises, de toutes les institutions, associations et experts, concernés par le sujet de l’énergie et – au-delà – par la compétitivité de l’économie française.

Les conséquences sociétales de la remise en cause de certaines politiques publiques, ont été abondamment soulignées. Cette fameuse « transition » se veut une rupture avec l’ordre économique ancien. Le titre de notre colloque, placé sous le thème de la recherche de la plus forte (et de la meilleure) croissance possible, reflète cette préoccupation en la croisant avec celle de la protection de notre environnement et celle de la lutte contre le réchauffement climatique.

La réunion d’une association scientifique, comme la Société de géographie, doit éviter plusieurs obstacles, pour rester fidèle à ce qui fonde sa démarche, ouverte et tournée vers la connaissance :

  • Ne pas s’immiscer dans le débat politique ou électoral alors que notre réunion se tient dans une période sensible.
  • Ne pas céder à l’idéologie, ce qui serait contraire à la recherche d’idées solidement étayées, et appuyées sur un corpus scientifique. S’éloigner  des certitudes définitives, en posant des questions sans réponses : « pour ou contre le nucléaire ? » « pour ou contre les E.N.R ? », « êtes-vous climato-sceptique ? ».

Le vocabulaire le plus anodin peut receler des pièges funestes à la réflexion dépassionnée : « les nucléocrates », « l’enfouissement » des déchets nucléaires, « les éoliennes – moulins à vent » ; de même l’utilisation passe-partout des mots-valises comme « durable », « soutenable » (sustainable), « transition » (traduction qu’on voudrait pudique, du mot allemand « Wende » qui signifie « tournant »), etc.

  • Ne pas se laisser influencer par les modes passagères qui ponctuent la vie internationale, au sujet de l’énergie, ce besoin-clef pour le développement : ni en Russie avec les positions conquérantes de Wladimir Poutine sur l’appropriation par son pays d’une grande partie d’immenses réserves de gaz et d’huile sous les glaces de l’Arctique ; ni aux USA avec les déclarations du style « coal is back » de Donald Trump, qui dans la même provocation à l’égard de la COP 21 renonce aux engagements de Barack Obama sur la préservation de l’Alaska et sur la modération de l’exploitation des hydrocarbures non-conventionnels ; ni enfin, sur les impasses, aux graves conséquences économiques, dans lesquelles l’Allemagne entraîne l’Union européenne en matière de politique énergétique avec le dogme du « tout – E.N.R ».

Alors, fuyant les effets de mode intellectuelle et les manies langagières, nous préfèrerons le débat raisonnable et l’expression des doutes à la capitulation de la pensée devant la manipulation des peurs et l’exaltation des idées reçues : nous avons lu par exemple – et cela nous conforte dans notre démarche – qu’au sujet de la politique énergétique allemande (l’Energiewende) le journal Die Zeit, appuyé sur des travaux de WWF Greenpeace avait eu le courage, à propos du réchauffement climatique, d’affirmer que ce pays, qui se présente comme un modèle de vertu écologique, émettait plus de CO2 par tête d’habitant que l’Egypte ou l’Indonésie, dont l’électricité provient en très grande partie, des combustibles fossiles [1].

En définitive nous ferons nôtre la pensée d’Albert Eistein : « Il est plus facile de désintégrer un atome qu’un préjugé ». Nous mènerons donc notre débat sous les auspices de la recherche scientifique et ceux du doute méthodique.

 

Notre débat ne se limite ni à la France, ni à l’Europe. Il se situe à l’échelle du monde

 

Trop politisée notre réflexion énergétique se cantonne souvent à la seule électricité et à une approche franco-française, au mieux européenne. Or la réalité du monde énergétique en 2017 est celle d’une domination écrasante des énergies fossiles, derrière les images complaisantes des éoliennes et autres panneaux photovoltaïques.

  • Le charbon reste, de loin, la première source d’électricité mondiale. Les 7 milliards de tonnes extraites chaque année sur tous les continents (6 milliards de charbon et 1 milliard de lignite) produisent la moitié de l’électricité dans le monde. On trouve du charbon partout, souvent exploité à ciel ouvert et les réserves connues sont évaluées à la somme gigantesque de 900 milliards de tonnes. Ainsi la carte du recours au charbon (ici uniquement pour la production électrique) est éloquente :

* 93 %                 en Afrique du Sud, l’un des cinq B.R.I.C.S

* 80 %                 en Chine

* 45 %                 aux Etats-Unis

* 42 %                 en Allemagne, avant l’arrêt complet du nucléaire

  • Le pétrole, lui aussi présent sur tous les continents et récemment découvert sous le continent arctique, suit de près le charbon. Avec 3,8 milliards de tonnes  produites – dont 500 millions de tonnes en Russie et 450 en Arabie Saoudite – il semble suivre sans jamais la rattraper l’annonce du « Peak-oil », le pic de production, qui serait le début de son déclin relatif. Les technologies pétrolières, bien maitrisées en particulier en France (deuxième pays mondial) dans la récupération d’un taux toujours plus élevé d’huile et de gaz dans les roches-réservoirs, permettent avec l’apport essentiel des gaz et pétrole de schiste, d’envisager de beaux jours pour les hydrocarbures jusqu’à la fin de ce siècle au moins.

L’enjeu est aussi géostratégique qui, veut que des organisations internationales telles que l’OPAE et l’OPEP, les Etats qui « vivent » du pétrole (Moyen-Orient, Russie, Algérie, Nigéria et Angola, Venezuela, etc) et les Etats-Unis, organisent la production par des quotas pour gérer les prix de vente à leur avantage, contrôlent la circulation des hydrocarbures par l’entretien de bases militaires bien situées, ou engagent des opérations armées lorsque l’intervention militaire est le dernier recours possible. La géopolitique du pétrole est devenue une des variables fondamentales des relations internationales. Elle s’appuie, bien évidemment, sur les compagnies nationales pétrolières dont les réserves (Saudi Arabia Oil Company : 300 milliards de barils) ou les chiffres d’affaires (ExxonMobil : 350 milliards de dollars) montrent, avec éloquence, le poids politique.

  • Le gaz naturel liquéfié (GNL) connaît la plus grande croissance, parmi les ressources énergétiques de la planète, avec, depuis quarante ans, 21 % de l’énergie primaire consommée.

En troisième position, derrière le charbon et le pétrole, le gaz nécessite de très lourds investissements pour le liquéfier et le transporter (à – 160° Celsius) et il présente un avantage indéniable pour l’environnement en émettant 30 % de moins de CO2 et de CO que son cousin, le pétrole. Ses réserves prouvées au Moyen-Orient et en Russie, comme la naissance récente de l’exploitation des gaz de schiste, en font, pour un siècle au moins, une source énergétique d’avenir. Les gaz de schiste, ressource non-conventionnelle, présents sur tous les continents ont permis aux Etats-Unis d’être autosuffisants. Ils deviennent exportateurs, alors qu’ils étaient le premier importateur mondial de pétrole il y a vingt ans. Par ailleurs, les producteurs de gaz qui souhaiteraient le substituer au charbon et au pétrole, soulignent que le smog londonien a disparu, de l’atmosphère londonienne lorsque qu’on l’a substitué au charbon, dans les années soixante.

 

Devant la prédominance des hydrocarbures : la nécessaire décarbonation

 

La domination du charbon et des hydrocarbures, sur tous les continents, pose le problème de la décarbonation des économies. Celle-ci s’avère nécessaire pour suivre les recommandations du GIEC et les décisions adoptées à la COP 21.

Le constat de ces deux instances est reconnu par tous ; sous réserve que le recul dans le temps, nécessaire à l’observation scientifique du climat, soit suffisant [2] : les travaux du GIEC préviennent que si les tendances économiques actuelles – notamment le type de croissance – étaient prolongées sans inflexion notable jusqu’à la fin du XXI siècle, l’augmentation moyenne de la température du globe pourrait, à cet horizon, se situer à environ 5 à 6° Celsius.

Ce réchauffement s’accompagnerait d’une dégradation du climat, alternant des périodes de sècheresse et de grandes pluies. Une instabilité quantitative des précipitations et une montée du niveau des océans qui pourrait atteindre 0,5 m à 1 m en fin de siècle (contre 15 cm entre 1880 et 1940) [3] seraient des signes qu’un seuil irréversible aurait été franchi.

La montée des eaux affecterait les côtes les plus fragiles, menacerait les deltas et certains Etats du pacifique ou d’autres comme le Bangladesh, les banquises de l’Arctique continueraient leur recul jusqu’à ouvrir, bien avant la fin du siècle, une route maritime au Nord du Canada et de la Russie ; le plancton et le cycle biologique complexe qu’il entretient seraient menacés par le réchauffement des eaux et de l’atmosphère ; les courants marins seraient encore plus perturbés qu’aujourd’hui (cf : les variations d’El Niňo).

Or, les impératifs de la lutte contre la pauvreté et les nécessités d’un développement économique, partagé par tous les peuples, demeurent.

 

La croissance est une nécessité incontournable

 

Un milliard d’habitants de la planète n’ont pas l’électricité et un milliard et demi ne disposent ni de l’eau courante, ni de l’assainissement. L’expansion démographique prévue de certains continents – l’Afrique par exemple va parvenir à un milliard d’habitants vers 2060 – va rendre encore plus précaire la vie de nombreux peuples (600 millions d’africains n’accèdent pas encore à l’électricité en 2017).

Pour satisfaire ces immenses besoins et poursuivre en même temps la croissance dans les pays industrialisés, un accès illimité bon marché et facile, le moins polluant possible en termes de gaz à effet de serre, est nécessaire. La croissance du bien-être humain requiert une énergie abondante, pour l’industrie, la mobilité, le confort lié au logement, l’accès à l’éducation et la culture.

Il existe une très forte corrélation entre quantité d’énergie disponible dans un pays et « Indice de développement humain » tel qu’il est utilisé par les organisations internationales telles que l’ONU ou l’OCDE.

Nous y reviendrons. Mais, sans attendre, notons que la tendance spontanée de la croissance, si les courbes actuelles sont simplement extrapolées nous rend moyennement optimistes, sur l’empreinte carbone de notre futur probable :

A l’horizon 2035, l’OCDE prévoit un paysage mondial électrique [4] où le charbon – lignite sera toujours prépondérant :

* charbon                     9500 TWH

* renouvelables           7000 TWH soit au total 17 000 TWH d’électricité fossile et 9000 TWH d’électricité                                               décarbonée

* gaz                               5000 TWH

* nucléaire                    2000 TWH

* pétrole                        2500 TWH

Cette prévision est à 20 ans : elle prolonge les tendances les plus récentes, en anticipant une progression des éoliennes et du photovoltaïque. Certains admettent – au mépris du calcul économique – que celui-ci est une solution toujours valable, même lorsque le nombre d’heures d’ensoleillement n’est que médiocre [5].

Ainsi décrit,  notre futur possible dans les trente prochaines années s’explique par :

 

La grande diversité des mix énergétiques dans le monde

 

Nous pouvons distinguer trois de groupes de pays suivant la source dominante de l’électricité, dans chacun d’entre-eux :

Ceux où le charbon constitue la principale ressource : la Chine, la République d’Afrique du Sud, l’Allemagne, la Pologne, la Russie (avec le gaz), la plus grande partie des pays les moins avancés.

Ceux où le pétrole résiste bien : tous les pays producteurs au Moyen-Orient en Asie, en Afrique.

Les pays où les ENR sont très encouragés par des prix de rachat subventionnés par des aides d’Etat : figurent dans ce groupe des pays comme l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, l’Autriche et le Brésil (hydroélectricité), le Danemark.

Les Etats où le nucléaire et les ENR sont considérés comme complémentaires (en comprenant l’hydroélectricité dans le concept d’énergie renouvelable [6] : la France (75 % électricité nucléaire ; 95 % d’électricité décarbonée un des records mondiaux) ; la Slovaquie (60 % nucléaire), la Suède et la Suisse (40 % nucléaire) les Etats-Unis, la Grande Bretagne, la Corée du Sud, Taïwan et la Belgique. Dans ces pays le nucléaire oscille entre 25 % environ et 50 %).

Presque tous les pays utilisent les fossiles pour assurer la production en semi-base et en pointe, en « appelant » des centrales au charbon, au fioul et au gaz, en cas de besoin.

De nombreux Etats, mettent en avant l’aspect décentralisé de la production éolienne, sa modernité son caractère le plus décarboné ; la réalité de leur mix se situe très loin de l’image d’Epinal complaisante qu’ils véhiculent. En particulier l’Allemagne fait exactement le contraire de ce qu’elle préconise à Bruxelles : 42 % environ de son électricité est carbonée. Elle bat, avec la Pologne le record européen d’émission de particules fines et de soufre, issus de la combustion du charbon…

On estime à 23000 décès prématurés, par an, dans l’Union européenne le « coût » sanitaire et humain du charbon [7]  qui représente par ailleurs 18 % des émissions de G.E.S.

 

Connaître l’origine des G.E.S. pour les combattre

 

Dans les pays industriels, les différentes sources d’émission de gaz à effet de serre sont classées par ordre décroissant de responsabilité :

  • 1/3 des G.E.S proviennent des transports terrestres et aériens.
  • 1/3 sont relatifs au cadre urbain : logement et immobilier tertiaire.
  • 20 % sont dûs à l’activité de production industrielle (l’industrie qui pâtit d’une mauvaise image est plus « vertueuse », en fait, car régulée, depuis des dizaines d’années.
  • 10 % de la pollution carbonée provient (sauf en France et en Suède) de la combustion des déchets et de la production d’énergie elle-même.

Ainsi, contrairement à une erreur fréquemment commise par les médias ce ne sont pas les systèmes de production d’énergie – sauf dans les pays charbonniers – qui se trouvent à l’origine de la majorité des émissions de G.E.S. Mais ce sont les réseaux de transports et tout ce qui a trait à la mobilité et à l’immobilier, en particulier dans les villes où la circulation automobile, le chauffage et la climatisation saturent l’atmosphère. Le voyageur le constate l’hiver, de manière caricaturale, par exemple à Pékin ou, pire encore, à Harbin en Mandchourie, ville charbonnière s’il en est. A l’échelle mondiale 98 % des émissions de G.E.S proviennent de 2 % du territoire, ces grandes conurbations qui peuvent atteindre plusieurs dizaines de millions d’habitants. « Urbanisation plus moteurs à explosion » constituent les deux phénomènes de la civilisation contemporaine qu’il convient de mieux maîtriser. Et cela est urgent car ils provoquent une grave détérioration de la santé publique. La Chine en a pris conscience ; avant l’élection de Donald Trump les Etats-Unis avaient accepté d’infléchir leur politique vis-à-vis du charbon et du pétrole : l’évolution à la baisse du prix mondial du baril avait poussé Barack Obama et les entreprises américaines à ne pas intensifier l’exploitation des hydrocarbures non-conventionnels. Mais récemment le Président Trump a pris le contre-pied de cette politique, qui avait permis la signature des accords de Paris par les Etats-Unis. Aujourd’hui, l’Amérique de Donald Trump revient au charbon, aux pétrole et gaz de schiste…comme une sorte de défi opposé aux efforts internationaux.

Le bilan mondial des émissions de G.E.S est pourtant éloquent :

En 2014 les G.E.S émis dans l’atmosphère ont représenté 36 milliards de tonnes ( !) conduisant des experts du GIEC à estimer que l’humanité se dirigeait, pour 2100, vers le scénario qu’ils craignent le plus : une augmentation globale de la température de 5 à 6° Celsius. En 2013 la croissance des émissions de CO2 a atteint le chiffre record de + 2,3 % par rapport à l’année précédente. La Chine, qui  reconnaît les faits et qui se dit concernée par leurs conséquences, représente près de 28 % du total ; les Etats-Unis viennent immédiatement derrière elle.

Pour résumer, d’un trait, la situation des émissions de carbone dans l’atmosphère :

  • un chinois « vaut » deux européens
  • un américain des Etats-Unis « vaut » trois européens.

Pour faire face, et assurer clairement nos responsabilités vis-à-vis de nos descendants, quel est donc le meilleur choix de mix énergétique en supposant qu’il puisse être infléchi rapidement dans le sens de la décarbonation ?

 

Comment décarboner l’énergie dans ces trente prochaines années

 

Puisque le constat est mondial, les solutions sont collectives et ressortissent aux engagements internationaux. La « maille » nationale est trop étroite. Pour la France, qui est exemplaire dans beaucoup de domaines touchant à l’énergie, la perspective ne peut se borner à rester nationale, mais doit se projeter au niveau européen.

Un mix électrique, proprement dit, doit reposer sur plusieurs objectifs qui se complètent, mais peuvent aussi s’opposer, lorsque les politiques publiques qui les encouragent cèdent à l’idéologie :

  • il doit rester adapté et aux ressources locales (ex : hydraulique) et aux avancées de la recherche, ainsi qu’au progrès industriel dont le pays est porteur (ex : photovoltaïque en Chine ; nucléaire en France).

il s’adapte aux progrès technologiques (ex : nouvelles éoliennes de 10 MW de puissance installée ; hydrauliennes ; nouvelles améliorations de l’E.P.R, dont le premier achevé (Taichung 1), sera connecté au réseau chinois en 2018 ; projet ATMEA (nouveau réacteur franco-japonais) et ITER [8] ;

Poursuites des recherches sur le stockage de l’électricité pour dépasser l’inconvénient majeur de l’intermittence de la production des éoliennes et du photovoltaïque ;

Aboutissement des recherches sur la transmutation des déchets nucléaires pour retraiter les déchets à vie longue et à haute activité (après avoir réussi leur séparation des autres déchets, moins nocifs, en 2001).

Remarquons, que, l’aboutissement des recherches menées au laboratoire sous-terrain (-500m de profondeur) de Bure, dans la Meuse, est indispensable pour le stockage réversible (et non « l’enfouissement »…) de la petite quantité de déchets à haute activité non encore transmutés.

Enfin, toujours dans le domaine de l’innovation, la Chine mène des recherches sur des centrales au charbon, « propres », dites « ultra-supercritiques » ; mais ce procédé est très onéreux.

  • il est compétitif économiquement pour offrir une énergie de qualité (régularité, puissance) aux industries et activités de service connectés aux réseaux. Le prix de l’énergie est une des variables essentielles de la compétition mondiale : beaucoup d’activités industrielles (aluminium, chimie, aciéries, machinisme) ne peuvent affronter la concurrence internationale que si elles bénéficient d’une énergie à bon marché. Dans certains domaines – de plus en plus nombreux – le prix élevé de l’électricité en Allemagne, devient un handicap pour l’économie allemande.
  • le mix souhaitable place en concurrence les différentes formes de fournitures énergétiques en évitant de fausser la compétition par des aides d’Etat, qui masquent le coût réel de production (l’éolien et le photovoltaïque allemands bénéficient de 25 milliards par an d’aides d’Etat et le coût de la construction projetée des réseaux de transport du courant électrique entre le Nord et le Sud du pays, n’est pas encore inclus dans le prix du MWH). Les aides publiques encouragent un surinvestissement par les entreprises qui cherchent à profiter des conditions très favorables de rachat offertes aux ENR par les autorités publiques. Par ricochet, cet excès d’investissement a conduit à fermer ou à placer sous cocon 70 TW installés dans l’Union européenne : des centrales à gaz parfois neuves, destinées à satisfaire la pointe de demande le soir en hiver, sont à l’arrêt…
  • il garantit la sécurité d’approvisionnement de l’énergie primaire pour éviter, par exemple, le « syndrome ukrainien » qui a placé, il y a quelques années, ce pays au bord de l’asphyxie, lorsque la Russie a tenté de lui imposer de « choisir » entre une forte augmentation du prix du gaz ou l’arrêt des livraisons…

Nous avons vu avec quelle force la géopolitique pouvait peser lorsqu’il s’agit du pétrole, du gaz ou peut-être, un jour, de l’uranium. Les puissances qui en ont la capacité s’assurent diplomatiquement, voire militairement, contre ce risque majeur. En Europe la dépendance énergétique vis-à-vis des pays fournisseurs reste le premier risque, souligné par le Livre Vert européen de 2001. En cas de nouvelles tensions en Europe centrale et orientale, le risque sera accru si l’Union européenne persiste à s’éloigner de la solution nucléaire.

Le mix énergétique français est dépendant du prix du pétrole pour la mobilité et le chauffage urbain. C’est une part importante du déficit extérieur de notre pays : sur 50 milliards de déficit total de la balance commerciale, l’énergie compte pour 30 milliards.

Cette dépendance est toutefois très marginale pour la production d’électricité grâce au nucléaire (58 tranches en activité) qui garantit, par ailleurs, à la France un niveau record (95 %) de décarbonation de sa production électrique.

Ainsi le mix électrique français peut-il être considéré comme exemplaire [9] : nucléaire (75 %), ENR (20 %) dont 15 % d’hydroélectricité, charbon (remplacé à court terme par le gaz) pour 5 %. Grâce à sa souplesse d’utilisation le gaz est un bon candidat pour satisfaire les pointes de consommation.

Implicitement, la Directive de l’Union européenne, en préparation, reconnaît la pertinence générale de ces orientations, en plaçant les réflexions préparatoires de la Commission, sous l’emblème d’un triangle équilatéral où chacun des sommets est occupé respectivement par le développement durable, la compétitivité économique et la sécurité d’approvisionnement. Le projet souligne bien l’importance des choix nationaux et s’interdit d’imposer un seul mix énergétique européen. Naturellement, il ne prohibe pas les rapprochements, comme celui qui semble avoir démarré entre la France et le Royaume-Uni sur l’E.P.R. Comme toujours elle souhaite promouvoir des objectifs globaux européens (mais non « Etat membre par Etat membre ») pour 2030 : une réduction des émissions de G.E.S de 40 % par rapport à 1990 ; l’augmentation de l’efficacité énergétique pour le résidentiel/tertiaire et l’industrie ; un accroissement significatif de la part des énergies nouvelles renouvelables jusqu’à 27 % en moyenne européenne (au lieu de 21 % dans la Directive de 2001) ; enfin une gouvernance à la fois démocratique et efficace de ce « tournant européen ». Un sondage récent vient à l’appui de ces efforts pour faire converger les politiques européennes ; il dégage des priorités claires qui sont celles des habitants de l’Union :

  • un accroissement de la part des ENR ;
  • une meilleure protection de l’environnement ;
  • des prix maîtrisés pour les entreprises comme pour les consommateurs individuels (le consommateur allemand paie son électricité 70 % plus cher que le français) ;
  • la volonté d’une lutte efficace contre le réchauffement climatique ;
  • la recherche de solutions techniques pour le stockage des E.N.R intermittentes (les éoliennes n’ont que 27 % de disponibilité) ;
  • la promotion de réseaux intelligents qui combinent distribution d’énergie et transport d’information (les « smart-grids »).

La plupart des Etats sont engagés aujourd’hui dans des politiques d’efficacité énergétique ou d’économie d’énergie. Certains se plaisent à qualifier d’ardente obligation le fait de parvenir à une « économie sobre » : la loi française récente édicte des normes sévères de construction ; elle souligne l’urgence de l’isolation des toitures et des façades des bâtiments ; de même, elle pousse l’innovation dans l’éolien, la géothermie, les pompes à chaleur, la biomasse, la production d’énergie décentralisée ; en bref l’écoconstruction, qui culmine avec l’aspect communautaire du genre de vie qu’elle implique (suivant l’exemple suédois des quartiers écologiques). Tout ceci étant relié à l’utilisation dans la vie quotidienne des réseaux informatiques, ceux des compteurs intelligents (Linky et Gaspar en France) et à la promotion de mobilités nouvelles s’appuyant sur des infrastructures innovantes. Le plan européen de M. Juncker le prévoit avec des investissements massifs en faveur des métros, des bus électriques ou hybrides, des véhicules électriques. On est frappé par le foisonnement apparent de ces initiatives lancées sans plan d’ensemble et, surtout, sans adosser la démarche à une vision à long terme de l’économie énergétique européenne.

On assiste ainsi à une mobilisation, générale mais très désordonnée, contre le carbone et l’effet de serre en Europe. Elle trouve son complément avec les règlementations sévères qui frappent certaines industries polluantes ou fortement consommatrices d’énergie : la chimie, les cimenteries, la métallurgie, les aciéries. La construction de nouveaux réseaux de transport d’électricité s’avère nécessaire par exemple entre le Nord et le Sud de l’Allemagne ; le Ministre de l’environnement de ce pays allait jusqu’à évaluer, en 2014, à plus de 500 milliards d’euros l’engagement public (Etat fédéral et Länder) pour les réaliser. De même la mobilité électrique industrielle ou collective (tous les bus électriques en 2022 à Paris décidé par la Maire de Paris) impose de construire les bornes de recharge nécessaires. Et le génie civil coûtera cher !

Les progrès techniques récents sur la recharge rapide des véhicules personnels (un quart d’heure) et sur l’allongement de l’autonomie des batteries au lithium, jusqu’à 400 ou 500 km, n’éviteront pas que soit explicité le niveau d’effort budgétaire que les pouvoirs publics sont disposés à consentir, c’est-à-dire le montant d’impôts et taxes nouveaux que les contribuables acceptent d’acquitter  pour mener à bien cette révolution énergétique qui va bien au-delà d’une douce « transition » comme elle est aujourd’hui présentée. Les consommateurs scandinaves ou allemands se sont déclarés satisfaits des orientations prises par les pouvoirs publics de leur pays ; ils consentent ainsi à payer leur électricité domestique et leurs déplacements plus du double de ce qu’ils payaient il y a dix ans.

 

Vers un marché européen du carbone

 

Au-delà de ces nombreuses pistes de transformation profondes du mode de produire et de consommer qu’induit pour plusieurs décennies la lutte contre le réchauffement climatique, il est possible de créer un système pérenne de lutte contre les G.E.S. Mais on ne peut pas se satisfaire, sur une longue période, du système actuel qui néglige les règles de la concurrence européenne et du jeu régulé des marchés, considérés comme fondateurs d’une économie sociale de marché, saine et en croissance. Par une contradiction, imposée par les circonstances, et par les alarmes lancées par les scientifiques sur le dérèglement climatique, l’Union accepte à titre tout à fait dérogatoire, les aides d’Etat et un ensemble complexe de tarifs règlementés et de subventions. Ce que l’on pourrait qualifier de désordre institutionnel est contraire aux règles des marchés, ouverts, concurrentiels, non discriminatoires et transparents, qui constituent, depuis le Traité de Rome de 1957, la doxa de l’économie communautaire.

Une tentative a été lancée par la création d’un système communautaire de quotas d’émission (« ETS » ou Emission Trading Scheme) créateur d’un marché du carbone : les entreprises ou organismes qui y sont soumis (soit, en, 2005, 11 000 installations représentant environ la moitié des émissions de CO2 de l’Union) s’échangent des droits à polluer sur une bourse du carbone suivant un principe très simple : « la vertueuse cède ses droits à la pollueuse » ce qui crée un rapport d’offre et de demande, un véritable marché, encadré par des règles, qui garantissent la transparence et la loyauté de la transaction. Tout est conçu pour que cette règle libérale de marché concoure, en resserrant le dispositif chaque année, à inciter les pollueurs à réduire leurs émissions grâce à un prix de carbone qui doit monter ; selon l’Agence Reuters, alors qu’aujourd’hui le CO2 vaut sur le marché des ETS seulement 4€ environ la tonne (ce qui n’est pas incitatif), le prix pourrait s’élever à 20€ en 2020 et 30€ en 2030, chiffre jugé optimum à cette date par les économistes. Ce dernier niveau correspond à celui qu’ont décidé d’appliquer  dès à présent les autorités britanniques, tandis que la Suède, de son côté, a « fixé », (donc par une décision de l’Etat), le prix à 112€ la tonne. L’économie suédoise semble le supporter sans problème.

Les experts estiment que ce qui serait efficace pour servir les objectifs de réduction des émissions de G.E.S (-20% par rapport à 1990 à l’horizon 2020) se situerait à 30€. Le niveau pourrait être atteint, « à l’anglaise » ou « à la suédoise » si  Bruxelles fixait un plafond unique européen. L’UE baisserait chaque année le quota global autorisé en l’assortissant d’enchères ; le jeu du marché, organisé, permettait de parvenir à un prix dissuasif du CO2.

***

Beaucoup de chemin reste à parcourir pour que le marché dépasse la diversité des choix énergétiques nationaux et pallie l’absence de volonté politique à Strasbourg comme à Bruxelles, de faire converger les mix énergétiques.

La France dont le secteur énergétique constitue une filière d’excellence, dans la production diversifiée d’énergie, dans la recherche sur les renouvelables, le stockage, les réseaux intelligents, peut exercer une influence majeure sur le paquet européen « Energie propre pour tous ».

Sans forcer le trait, on peut affirmer que la convergence énergétique revêtirait une importance équivalente à la création de l’Euro, lorsque celui-ci a dépassé le simple stade technique d’une monnaie unique, pour élever la construction européenne à la noblesse d’un projet politique de grande envergure.

 


[1] La production électrique allemande repose à 42 % sur le charbon et le lignite depuis l’abandon du nucléaire, décidé par Madame Merkel.

[2] Nous discuterons, de cette question avec Vincent Courtillot. On dispose d’observations sérieuses des températures depuis les années 1880 – l’étude attentive des glaciers, des pôles, de la croissance des arbres et des sous-sols apportent les données supplémentaires indispensables.

[3] Source : Alain Miossec bulletin de la Société de géographie – N° 28 – septembre 2015.

[4] Précisons encore que « électrique » n’englobe pas toute la production « énergétique ».

[5] En Allemagne, l’ensoleillement moyen est inférieur de 500 heures par an à ce qu’il est en moyenne en France. Pourtant ce pays a subventionné l’installation de 30.000 TW de photovoltaïque (2015).

[6] Malgré une utilisation massive de ciment pour construire les barrages et donc une empreinte carbone initiale forte, largement amortie sur la durée de vie des barrages.

[7] Source : WWF / Climate action network / Heal / Sandbag – 2014.

[8] Production d’électricité à partir de la fusion nucléaire réalisée dans un confinement électromagnétique. Ce projet, à trente ou quarante ans, relativement à son industrialisation, fait l’objet d’une coopération internationale remarquable à Cadarache (France). Il est précédé par des expériences concluantes, (Tokamak) dans plusieurs pays (Russie, France, Etats-Unis, Royaume-Uni, Japon), mais à petite échelle.

[9] Le GIEC, pour limiter la hausse de la température moyenne à 2° Celsius à la fin de ce siècle, confirme avec éclat ce qualificatif, puisque sur les 1200 scénarios qu’il envisage, seulement 8 d’entre-eux peuvent ne pas recourir au nucléaire. Cette consécration est pour le moins inattendue.

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