Jean-Christophe Victor, la géographie pour tous
Electron libre de la géographie, Jean-Christophe Victor (1947-2016) n’avait pas fait des études de géographie mais une thèse d’ethnologie au début des années 1970 sur le Népal. Comment cet autodidacte de la discipline était-il devenu l’un des professeurs de géographie le plus apprécié des Français ? Par la télévision, où il avait flairé la capacité didactique du petit écran à transmettre, avant même l’ère du zapping, de petites leçons de cartographie appliquées à des questions d’actualité.
Comme De Gaulle avait inventé la politique à la télévision, Victor a inventé la géographie sur le petit écran. Avant qu’elle ne s’impose par les réseaux sociaux et Internet. Etonnamment, cette œuvre de vulgarisation démarre l’année qui suit celle au cours de laquelle Christian Pierret installe un festival international de géographie à Saint-Dié. En 1990-1991, le monde va vivre l’une de ses plus grandes aventures géopolitiques avec la fin de l’Union soviétique et ses conséquences innombrables dont la guerre en Yougoslavie.
Comment Victor a-t-il réussi son pari ? En tirant parti de la notoriété de son père, l’explorateur Paul-Emile, connu pour ses virées aux pôles, comme Tazieff et ses volcans. Et en s’inspirant de ce que sa mère, Eliane Victor, sait des médias puisqu’elle a dirigé le magazine Elle, alors propriété du groupe Filippachi.
Mais la formule du Dessous des cartes sur la chaîne franco-allemande Arte lui appartient à lui seul. Son art de la synthèse, il ne l’aurait pas tenu des dissertations d’agrégation, mais d’une formation à l’Inalco où il a potassé le chinois pour briguer un poste diplomatique à Pékin qui le conduit… à Kaboul où il croise peut-être le géographe Daniel Balland, alors thésard de Xavier de Planhol. Ni l’un ni l’autre ne resteront longtemps en Afghanistan, Victor étant recruté au Quai d’Orsay où il raconte qu’il « analyse » les renseignements sous forme de notes. En y ajoutant les cartes, il tient la recette de son émission.
Privé d’équipe de recherches en géographie – qu’à cela ne tienne ! –, Victor fonde le Lépac qu’il appelle son « laboratoire de recherche appliquée en géopolitique et prospective » pour embaucher de jeunes pousses de la géographie – dont une partie œuvre au Monde aujourd’hui – qui seront ses cartographes. Jalousé par les géographes qui l’appellent le Lorant Deutsch de la géographie, il parvient à ouvrir chaque semaine une fenêtre sur le monde à partir de cartes – pas franchement belles – mais enchâssées dans une synthèse brillante, car présentée sous forme de problème. Victor était content de voir que YouTube avait repris sa martingale des synthèses animées.
De l’émission, Victor publie avec sa complice Virginie Raisson des atlas dont celui de l’Asie qui vient d’être édité. Il y expose des thèses, souvent à contre-courant des sciences sociales d’alors. Ainsi, l’explosion démographique ne lui causait aucune frayeur puisque la pauvreté continue de reculer. Etaient-ce les Jésuites qu’il aimait consulter car ils ont d’excellentes connaissances de terrain qui le poussaient à ruer dans les brancards de la bien-pensance ?
A Prémanon dans le Haut-Jura où il se moquait de ce village qui « se prenait pour un iceberg », un Espace des mondes polaires va ouvrir cette saison hivernale. Réunis dans la même passion pour les terriens, le père et le fils auront œuvré pour une géographie à la fois humaine par sa dimension anthropologique et physique par la fascination qu’ont exercé les confins sur ces hommes de l’image et de l’aventure.
Gilles Fumey
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