Lionel Laslaz : « Ma géographie est nourrie des interactions entre l’enseignement et la recherche »
Comment avez-vous découvert la géographie ?
A l’école primaire, face à la carte jaunie Vidal de La Blache de France qui attisait ma curiosité et mon intérêt, bien davantage que les cours d’autres disciplines. Une forme d’échappatoire en somme. Au collège puis au lycée, j’ai eu la chance de pouvoir avoir des enseignants d’histoire-géographie qui m’ont permis de cultiver cet intérêt, à tel point qu’il a fallu trancher entre les deux disciplines à l’issue du bac. Et comme tout étudiant de géographie arrivant actuellement à l’université, on la découvre sous un nouveau jour sur les bancs des amphithéâtres. C’est sans doute la pratique du terrain qui m’a le plus amarré à la discipline.
Quels sont vos domaines et terrains de recherche ? Pourquoi vous être tourné(e) vers eux ?
Je travaille en géographie politique de l’environnement, sur les espaces protégés et les conflits environnementaux. Je me suis intéressé à ces questions par la pratique de la montagne via la randonnée et l’alpinisme. La connaissance du massif de la Vanoise m’a conduit à me pencher sur les relations sociales qu’entretiennent les acteurs autour des politiques de protection, et c’est ce qui m’a conduit au thème de mon DEA, publié sous la forme de Vanoise, 40 ans de parc national (2004), puis à celui de la thèse consacrée aux trois parcs nationaux alpins français. Depuis 2011, je travaille aussi sur l’Europe du Nord, notamment sur l’Islande, mais également dans d’autres contextes où des opportunités de missions ont pu se présenter (Crète par exemple).
Pour vous, comment « fait-on » de la géographie ?
Comme on peut, et surtout comme on veut ! Je suis très attaché à la liberté du géographe, que ce soit comme chercheur ou comme enseignant. Il n’a jamais été question pour moi de céder aux principes stériles de la bibliométrie et des impact factor. J’essaie avant tout de prendre garde à la rigueur de la démarche, aux méthodes mais aussi à l’écriture, car je suis très sensible à la dimension rédactionnelle de notre discipline.
Je crois encore à une géographie ouverte et plurielle, qui s’affranchit des écoles diverses dans lesquelles on souhaite l’enfermer, en filiation et en vénération à tel ou tel auteur, vivant ou mort. Chaque géographe construit ainsi sa propre personnalité géographique. La mienne est nourrie des interactions entre l’enseignement à tous les niveaux et la recherche. Elle se confronte dans des discussions fréquentes avec des collègues avec qui j’échange régulièrement.
Quels textes, auteurs, ont influencé vos travaux et comment ?
Ils sont nombreux et ne relèvent pas que d’une école. C’est dans la diversité de la géographie que l’on fait son miel. Cela va de Jean Brunhes (1913, « Du caractère propre et du caractère complexe des faits de géographie humaine », Annales de Géographie) à Augustin Berque, de Stéphane Rosière à Paul Arnould, tout un florilège de textes ou de travaux qui m’ont donné des pistes et l’envie de poursuivre un travail de géographe, plus particulièrement dans mon domaine, qui se nourrit aussi des travaux des sociologues, ethnologues, politistes, etc. Je me souviens du numéro spécial sur les hauts lieux dans l’Espace Géographique (1995), avec les textes de Jean-Luc Piveteau et de Pierre Gentelle, une personnalité que nous avions eu la chance de recevoir à deux reprises à l’université de Savoie et qui m’avait marquée. J’ai toujours eu beaucoup d’intérêt pour les travaux d’Emmanuelle Bonerandi sur le rural, indépendamment des relations amicales qui étaient les nôtres. Les études de géographie électorale conduite par l’équipe de Michel Bussi m’ont aussi passionné.
La géographie n’est guère aimée du grand public. Que suggérez-vous pour changer cette situation ?
C’est un combat au quotidien, et quasi-sisyphien ! Il ne s’agit pas juste de s’en émouvoir, il faut aussi œuvrer à différents niveaux. La formation des enseignants en géographie est la pierre angulaire du système ; s’ils ne l’ont pas apprécié, ils l’enseigneront mal, voire pas. L’implication des géographes dans les préparations aux concours de l’enseignement est donc indispensable, même si le débouché n’est plus majoritaire désormais pour nos étudiants. Je suis impliqué dans les concours depuis que je suis vacataire à l’université en 2000 et je gère depuis 2005 une des dernières préparations à l’agrégation externe de géographie de province.
Un deuxième volet consiste à démontrer l’utilité sociale de la géographie, pour sortir des idées reçues sur une géographie exclusivement de repérage et de nomenclature de sous-préfectures vers laquelle on nous renvoie encore, avec 40 ans de retard ! De ce point de vue, les choses bougent avec les débouchés de l’aménagement qui permettent de démontrer l’action concrète des géographes. J’ai le sentiment que nous pouvons convaincre les employeurs, les acteurs de l’aménagement et de l’environnement que les géographes ont toute leur place et c’est ce à quoi je m’emploie depuis cette année en tant que responsable du Master 2 Professionnel Géographie & Aménagement de la Montagne. Les ateliers d’aménagement que j’ai initiés avec les collectivités et les territoires de projet visent à démontrer l’efficience du géographe par son caractère opérationnel, transversal et pragmatique.
Un dernier volet est celui de la communication de nos travaux et des conférences grand public ; si nous montrons que le géographe est capable d’aller plus loin et de produire autre chose que l’image évoquée plus haut assignée à notre discipline, alors nous sommes en mesure de faire bouger les lignes.
Quels efforts accomplissez-vous personnellement dans cette direction ?
C’est mon travail au quotidien, en tout cas c’est la raison pour laquelle j’ai choisi l’université. Au sein de l’équipe du Département Géographie & Aménagement, je m’occupe depuis 2007 des liaisons entre lycées et université et je fais une dizaine de forums des lycées ou de journées d’informations au sein de l’académie. Il s’agit de renseigner précisément les étudiants sur ce qui est fait en géographie à l’université et sur les débouchés professionnels. Nous sommes dans des actions concrètes et pas dans les incantations, tout comme le programme que j’avais proposé lors de mon recrutement comme maître de conférences en 2006 : création du bulletin d’information du département de géographie (GéoSavoieSphère), des Rencontres professionnelles des géographes de Savoie (6 éditions bi-annuelles à ce jour et je prépare l’édition du 9 mars 2017) qui accueillent une trentaine d’anciens étudiants en géographie dans la vie active qui viennent renseigner nos actuels étudiants sur leur cursus et leur métier.
Enfin, j’ai créé la journée d’études Géo’rizon©, qui commence à avoir une petite notoriété. Les séances sont organisées deux fois par an sur une journée à la Présidence de l’Université Savoie Mont Blanc ; la journée est banalisée pour les étudiants de tous niveaux et ils sont présents aux côtés des enseignants du secondaire (parfois accompagnés de classes de 1ère ou de Tale) et du grand public. C’est un outil de diffusion et d’élargissement de la culture géographique auprès de différents publics qui permet de prouver la vigueur et le renouvellement de la géographie, en conviant des collègues de toute la France, de Belgique ou de Suisse, et de toute génération. Nous sortons de la 21e édition et nous avons franchi le cap des 3000 auditeurs dans l’amphi ; c’est évidemment une satisfaction pour une université de taille moyenne et au vu de l’énergie que cela implique en terme de financement et d’organisation.
Tout à fait. Voilà un géographe qui travaille à partir du terrain… parce que ce n’est pas le cas de tous ! Je suis un peu étonné de vos propositions pour faire mieux apprécier la géographie : apprendre par coeur des listes de villes, des nomenclatures, c’était vrai il y a 40 ans mais maintenant… mis à part les élèves de S en terminale, en géo on a justement pour consignes de ne plus faire apprendre grand chose. Ou alors, pire, apprendre aux élèves à jargonner des mots et notions « hors-sol » (pour reprendre l’expression un rapport de jury) « interfaces » « enjeux » (les ipr réalisent-ils à quel point c’est abstrait, « enjeux » ?), « réticulaire » « pole de compétitivité » et autre « géotype » « transfrontalier » , approches abstraites, études de cas sans contextualisation et autres « finisterre » … sont autant de notions qui, si elles sont scientifiquement intéressantes sont des mots-croche-pieds pour des élèves qui ne maitrisent pas les bases (càd les 3 quarts des élèves). Revenir au concret, au territoire et à un peu de géographie physique sortirait sûrement la géographie de l’ornière.
ah mais c’est le lac d’Allos ! ça y est j’ai reconnu