Bulletin de liaison n°21 (Mars 2013)
Editorial
Les troupes françaises venues en renfort de l’armée malienne sont entrées dans Tombouctou le 28 janvier 2013, sous les acclamations de la population enfin libérée du joug des islamistes de la mouvance salafiste qui occupaient la ville et le nord du pays depuis le 1er avril 2012. On ne peut que se réjouir de cette délivrance, même si les problèmes géopolitiques du Sahara et des pays qui le bordent sont loin d’être définitivement réglés et qu’il est bien triste que ce désert ne puisse plus aujourd’hui être parcouru en toute sécurité par les chercheurs, les randonneurs, les employés des entreprises d’exploitation pétrolière ou gazière et, bien entendu, les participants de la course Paris-Dakar. Hélas, comme les Talibans afghans l’avaient fait pour les Bouddhas de Bâmiyân, quelques uns des tombeaux de saints qui sont vénérés à Tombouctou ont été détruits comme des témoignages de superstitions incompatibles avec l’islam, ainsi qu’une partie des livres anciens conservés dans de nombreuses bibliothèques. L’essentiel de ces richesses reconnues comme patrimoine de l’humanité par l’UNESCO a néanmoins été conservé, mais il faudra reprendre les campagnes d’entretien, car l’architecture de terre est fragile et les manuscrits demandent beaucoup de soin sous le climat saharo-sahélien de la région.
N’oublions pas qu’un très grand nombre des membres ou de médaillés de notre Société de Géographie ont traversé le Sahara en tous sens et l’ont décrit avec minutie. Citons en particulier ceux qui ont reçu le Grand Prix des Explorations et des Voyages : Heinrich Barth en 1856, Henri Duveyrier en 1864, Charles de Foucauld en 1885, Théodore Monod en 1952 qui reçut également le Grand Prix de la Société en 1990. Cette prestigieuse récompense qu’est le Grand Prix des Explorations et Voyages avait été créée en 1828, soit dans les premières années d’existence de la Société. Les premiers à l’avoir reçue conjointement en 1830 sont directement liés à Tombouctou : le Major Alexander Gordon Laing, à titre posthume, puisqu’il mourut assassiné en 1826 sur le chemin du retour, et René Caillié qui, lui, parvint jusqu’à la ville mythique, y séjourna du 20 avril au 4 mai 1828, puis revint en France où il publia en trois volumes le récit de son exploit .
René Caillié avait eu un lointain prédécesseur : Anselme Isalguier, un commerçant de Toulouse qui y avait séjourné entre 1405 et 1413, avant de rentrer dans la ville rose en compagnie d’une princesse songhaï qu’il avait épousée et dont il eût plusieurs enfants. Malheureusement, il n’a laissé aucun récit de son voyage permettant de savoir à quoi ressemblait Tombouctou au XVe siècle. En revanche, la description publiée en Italie en 1550 par Léon l’Africain a beaucoup contribué à forger le mythe, en particulier parce qu’on y lit que « les habitants sont fort riches […] ; le roi possède un grand trésor en monnaie et lingots d’or ». Il faut attendre le début du XIXe siècle pour que les Européens tentent de pénétrer dans l’intérieur de l’Afrique, à la recherche des sources du Nil, de Tombouctou et des richesses immenses que le continent est censé contenir, comme s’il ne pouvait être qu’un Eldorado, comme l’avait été l’Amérique trois siècles plus tôt. Les Anglais semblent les plus efficaces et les plus acharnés, mais c’est René Caillié, un jeune Charentais d’origine modeste, qui parvient sans contestation possible le premier à entrer dans Tombouctou, encouragé par la Société de Géographie qui a promis en 1824 une récompense au découvreur de la ville. Pourtant, malgré la joie du succès, la déception de Caillié est grande, car Tombouctou n’a rien de mirobolant : « Revenu de mon enthousiasme, je trouvai que le spectacle que j’avais sous les yeux ne répondait pas à mon attente ; je m’étais fait de la grandeur et de la richesse de cette ville une tout autre idée : elle n’offre au premier aspect qu’un amas de maisons en terre mal construites ; dans toutes les directions, on ne voit que des plaines immenses de sable mouvant, d’un blanc tirant sur le jaune et de la plus grande aridité. Le ciel à l’horizon est d’un rouge pâle ; tout est triste dans la nature ; on n’entend pas le chant d’un seul oiseau. » La Société lui accorde une grande médaille d’or et la somme importante de 9 000 francs. Edme-François Jomard qui éprouve beaucoup d’admiration et d’affection pour lui l’aide à publier son récit. Hommage à leur complicité leur est rendu dans nos murs, puisque leurs portraits souriants y sont accrochés face à face, juste séparés par la chaise à porteurs du grand Lapérouse.
Souhaitons que très vite, le Sahara soit de nouveau sécurisé, comme il l’a été pendant une grande partie du XXe siècle, à l’exception de la période de la Seconde Guerre Mondiale. La France avait beaucoup contribué à pacifier les tribus de grands nomades (Ouled Delim, Regueibat, Touaregs, Toubous, etc.) , situation que les gouvernements des pays devenus indépendants dans les années 50 et 60 ont de plus en plus de mal à maintenir. Bien des recherches scientifiques sont encore à mener au Sahara et les déserts doivent pouvoir être parcourus avec respect par les habitants des contrées les plus peuplées de la planète qui y trouvent à contempler, à méditer et à s’y ressourcer.
Jean-Robert PITTE
Membre de l’Institut
Président de la Société de Géographie
SOMMAIRE DU BULLETIN
EDITORIAL
par Jean-Robert Pitte, p.3
INFORMATIONS INTERNES
CENTENAIRE DU 1ER CONGRÈS ARABE DE JUIN 1913, p.6
NOS SOCIÉTAIRES PUBLIENT, p.8
NÉCROLOGIES
Raymond LAZZAROTTI (1929-2012)
par Jean Bastié, p.8
Renée CHOUPIN (1929-2012), p.9
ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE RÉUNIE EXTRAORDINAIREMENT
par Jean-Robert Pitte, p.10
INFORMATIONS GENERALES
REMISE DES PRIX DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE POUR 2012, p.12
UN GÉOGRAPHE RUSSE S’EXILE À PARIS, MIHAIL IVANOVIC VENJUKOV
par François Carré, p.42
PROGRAMME DE NOS CONFÉRENCES, COLLOQUES, DÉJEUNERS-DÉBATS, DE MARS À JUIN 2013, p.50
par Nicole Bouché, p.38
NOTES DE LECTURE :
WERTH N., « La route de la Kolyma. Voyage sur les traces du Goulag »
par Yves Boulvert, p.51
CAGNAT R., « Du Djihad aux larmes d’Allah : Afghanistan, les sept piliers de la bêtise »
par Michel Dagnaud, p.53
PAILLARD P., « Les dents de l’Amazone »
par Claude Collin-Delavaud, p.55
VOYAGES PATRONNES PAR LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE, p.56
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