Laurent Jégou. Du texte à la carte, éloge d’une géographie vagabonde

Laurent Jégou est Maître de Conférences en géographie à l’université Toulouse Jean-Jaurès, membre du laboratoire Interdisciplinaire, Solidarités, Sociétés, Territoires et co-directeur de rédaction de la revue électronique M@ppemonde.

© M. Baron, L. Jégou, Géoconfluences, 2016

 

Comment avez-vous découvert la géographie ?

 

Comme beaucoup, j’ai découvert la géographie à l’école et dans les atlas. Ensuite, mon père militaire a emmené vivre notre famille dans de nombreux endroits, dont outre-mer. Ces voyages m’ont permis de découvrir une grande diversité de paysages et de sociétés, ouvrant mon appétit pour en découvrir encore plus et mieux les comprendre.

 

ljegou_photo4-600x338Quels sont vos domaines et terrains de recherche ? Pourquoi vous être tourné vers eux ?

 

Je travaille principalement dans deux domaines de recherche. Tout d’abord la cartographie, plus précisément la meilleure prise en compte de l’esthétique dans la cartographique thématique. J’ai abordé ce thème par curiosité pendant mon activité professionnelle de cartographe, constaté qu’il s’agissait d’une question vive et poussé mon intérêt jusqu’à une thèse de doctorat en parallèle à mon activité, soutenu par les collègues.

L’autre domaine d’intérêt de mon travail de recherche, la géographie de l’activité scientifique dans le monde, est issu de l’occasion de contribuer à un important et intéressant programme de recherche, l’ANR GéoScience (2010-2013). Je m’occupe plus particulièrement de l’analyse spatiale et la représentation cartographique d’un ensemble volumineux de données (les 40 millions d’adresses des auteurs des articles scientifiques du Web of Science depuis 1999). Cette question est importante à double titre : la compréhension de la diffusion des lieux de production scientifique dans l’espace géographique, mais aussi l’évaluation des politiques publiques de développement scientifique, notre travail ayant montré que les capitales ne sont pas forcément les lieux les plus dynamiques dans ce domaine.

 

Pour vous, comment « fait-on » de la géographie ?

 

La géographie correspond pour moi à des activités très diversifiées, et c’est d’ailleurs ce qui me plait dans cette discipline : la variété des approches, des terrains, des méthodes et façons de faire, des productions. Pour moi, la géographie comprend à la fois des méthodes inductives et déductives, du terrain et de la théorie, de l’enseignement, de la publication et de la pratique appliquée, dans un esprit ouvert de découverte qui se traduit aussi par une curiosité envers les méthodes et les résultats de toutes les sciences « connexes » qui décrivent le monde : sciences humaines, sociales, expérimentales… J’ai pu constater qu’il existe de nombreuses relations fertiles possibles entre les disciplines, certaines sont parfois trop peu pratiquées.

 

Quels textes, auteurs, ont influencé vos travaux et comment ?

 

J’ai été fortement influencé par la Sémiologie Graphique de J. Bertin (1967), par la clarté et la rigueur de sa méthode pour développer l’efficacité des représentations graphiques. Je pense aussi à La carte, mode d’emploide R. Brunet (1987) qui, lors de mes débuts à l’université, m’a ouvert les yeux sur la diversité et la richesse des représentations cartographiques, ses méthodes et ses usages. Depuis, je suis un collectionneur d’atlas et j’aime passer du temps dans les mondes de papier (pour paraphraser les Océans de papier d’O. de Carrer). Le Traité du signe visuel du Groupe µ (1992) est selon moi un ouvrage majeur pour comprendre comment une carte peut fonctionner aussi sur le plan esthétique (et même rhétorique). Il complète très utilement les travaux sémiologiques de J. Bertin et permet de rejoindre les historiens de l’art, les philosophes, les critiques, les psychologues, les théoriciens de l’art… Enfin, je citerai l’œuvre méconnue d’un géographe anglais : J.S. Keates, Understanding Maps (1996), qui pose de riches questions sur le double visage de la cartographie, science et art.

 

La géographie n’est guère aimée du grand public. Que suggérez-vous pour changer cette situation ?

 

Je ne sais pas si la géographie n’est pas aimée du grand public, ce n’est pas mon expérience, notamment en constatant le succès des expositions cartographiques ou la présence de géographes dans les médias. Je pense qu’une certaine vision de la géographie, qui la ramènerait à une simple accumulation de relations spatiales entre lieux (les capitales, les départements…), sans questionnement, sans vie, est forcément ennuyeuse. Ce serait comme réduire l’histoire à une collection de dates : absurde. La géographie c’est d’abord comprendre les territoires, du mondial au local, leur fonctionnement, leur organisation, elle a donc une grande importance pour préserver ou améliorer les conditions de vie des populations actuelles et futures.

Pour éviter qu’on ramène la géographie à un savoir sec, il faut mieux montrer qu’elle est un outil moderne, directement lié à la vie de tous les jours, expliquer que la connaissance géographique est utile, concrète, même à une échelle très locale. La géographie ce n’est pas qu’une réflexion abstraite sur la mondialisation et la description de pays exotiques, déconnectée de la réalité proche, quotidienne.

 

Quels efforts accomplissez-vous personnellement dans cette direction ?

 

Tout d’abord, j’essaye d’enseigner une discipline moderne, consciente de la réalité, de l’actualité, des usages et pratiques, des méthodes et outils, de son temps. Ainsi, les étudiants redécouvrent souvent que la géographie permet de mieux connaitre le monde qui nous entoure, en prenant du recul, ne serait-ce que par la capacité de profiter de toute l’information que peut offrir une carte efficace. Aujourd’hui, il est aussi beaucoup plus facile de produire une carte, avec les données et les outils disponibles.

Les techniques d’information et de communication offrent des possibilités nouvelles de diffuser la géographie. La revue M@ppemonde s’efforce, par exemple, de présenter des articles en profitant de son support Internet, depuis 2004. Nous développons aussi depuis peu une rubrique « géovisualisation ». M@ppemonde essaie d’agir pour valoriser la géographie par la reconnaissance de la qualité du travail des jeunes chercheurs, au travers du prix de thèse, en collaboration avec la section 23 du CNU.

Ensuite, je pense qu’il faut mieux faire connaitre la géographie appliquée, utile par exemple à la gestion et l’aménagement des territoires, que ce soit au-travers de stages étudiants, de projets tuteurés, de recherche appliquée, d’assistance à la maîtrise d’ouvrage, de projets de développement local…

Enfin, avec plusieurs collègues, nous participons depuis quelques années à des opérations de vulgarisation scientifique comme la Fête de la Science, surtout en utilisant ce formidable outil de communication visuelle qu’est la carte, devenue animée et interactive, en 3D et en réalité virtuelle. Une première exposition, en 2014, « In-Terre-Active », justement, continue à être mobilisée et développée, au-travers de son site Internet et de nouvelles expositions, toujours à destination du grand public, dans les quartiers, les lycées, comme dans les musées du centre-ville.

 


La liste des travaux de Laurent Jégou est disponible sur le site du Lisst.

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