Evénements en Corse, l’exception identitaire n’explique pas tout

Source : Le Dauphiné

 

Dans l’imaginaire collectif, la Corse est souvent associée à la mafia et au grand banditisme, sans que ce non-respect des lois de la République ne semble rencontrer de véritable opposition. Cette image d’Epinal est-elle fondée ? Si oui, comment expliquer qu’un acte de délinquance [l’attaque organisée de pompiers à Ajaccio] , certes grave, rencontre une réponse d’une telle violence ?

 

En Corse, le grand banditisme concerne quelques familles dans un petit nombre de villages, et quelques relais dans des bars à Ajaccio ou à Bastia. Ces familles sont connues et nullement représentatives de la population de l’île dans son ensemble. Plus généralement, la distance par rapport à la loi s’explique moins par un quelconque lien avec le crime organisé que par le fait que le rural n’est jamais loin. La réglementation n’est pas perçue au village de la même façon qu’à la ville. Dans la vie quotidienne, beaucoup de choses se font sans formalités ce qui, en cas de problème, complique évidemment les choses.

Attaquer des pompiers, c’est autre chose. Pour la population corse, cette attaque est particulièrement lourde de sens. Souvent volontaires, les pompiers sont des citoyens, des jeunes, des copains du village qui chaque été sont confrontés à la lutte contre des incendies parfois terrifiants et sont donc garants de la sécurité de tous.

Derrière le symbole, l’événement a en outre déclenché une réponse qui a mis en jeu de très forts liens d’appartenance (au village, à la famille, au même métier) : il ne faut pas oublier que nous sommes dans le contexte de deux villes moyennes d’environ 50 000 habitants où les gens se connaissent tous, parfois directement, et pas seulement dans leur milieu familial ou professionnel. C’est paradoxal, mais la Corse, pourtant concernée par le grand banditisme, connaît peu la petite délinquance. Remettre en cause un mode de vie somme toute paisible est ici considéré comme très grave.

 

Les tensions qui se sont produites à Ajaccio ont été présentées comme l’expression radicale d’une identité insulaire et d’un nationalisme corse. Pensez-vous que cette clé d’analyse soit pertinente pour comprendre ces événements ?

 

Non. Même si ce qui s’est passé en Corse a été monté en épingle pour être présenté comme un événement original et exotique, il me semble au contraire qu’il y a assez peu de différence avec ce qui se passe sur le continent.

Ensuite, entendons-nous sur les termes. Le nationalisme corse n’est pas comparable à celui véhiculé par l’extrême droite frontiste. Le racisme et la xénophobie ne sont pas des thèmes qu’il cultive. Les Corses sont nombreux à avoir circulé sur le continent ou à travers le monde. Ils savent comment leurs parents ou grands-parents se sont comportés pendant la guerre vis-à-vis des autorités de Vichy. Contrairement à une image souvent ancrée dans les représentations, le racisme n’est pas très répandu en Corse. Et puis il y a une certaine distance par rapport aux grandes idées. On se connaît personnellement, les débats idéologiques n’intéressent pas beaucoup la population dans son ensemble.

 

La récente victoire du parti nationaliste de Jean-Guy Talamoni aurait-elle ravivé un sentiment identitaire, rendant d’autant moins supportables des exactions commises par des individus considérés comme « étrangers » ?

 

Devenus responsables de la collectivité territoriale, Gilles Simeoni et lui vont avoir à gérer des réalités qui peuvent les surprendre, et sans doute feront-ils attention à ne pas faire de surenchère. Il me semble au contraire qu’ils ont, face aux deux événements – attaque des pompiers, réponse violente à l’encontre de la mosquée -, incité au calme. En règle générale, les musulmans en Corse ne sont pas considérés comme des étrangers. En revanche, si certains d’entre eux adoptent des comportements vestimentaires provocants ou délictueux, ils sont au péril d’une exclusion très violente : ce ne sont pas des étrangers, ce sont des gens qui s’excluent délibérément de la communauté des habitants. C’est très dangereux et le nationalisme corse n’est pas le moteur, ou le seul moteur de la violence que cela peut déclencher.

 

Plus généralement, l’exemple corse et cette volonté de se faire justice soi-même ne témoignent-ils pas du renoncement, volontaire ou non, des gouvernements successifs pour faire appliquer les lois de la République dans certains quartiers considérés comme sensibles ?

 

Les quartiers en question (Les jardins de l’empereur) n’ont pas l’ampleur et les caractères des quartiers sensibles du continent. Il s’agit de petites copropriétés, où résident beaucoup de corses d’origine, propriétaires de leur logement, petits retraités, qui vivent dignement grâce à leur jardin, à leur petite maison au village et à la forte solidarité familiale. La pauvreté est réelle, chez eux aussi, pas seulement chez les familles d’origine immigrée. Je ne pense pas que les récents événements d’Ajaccio puissent se lire comme une expression d’une quelconque faillite des politiques publiques.

Par contre, concernant la Corse, s’il y a une défiance vis-à-vis de l’Etat, elle doit plus à l’affaire d’Aleria en 1975 et aux tensions qui ont suivi. Il a été en effet très difficile de calmer le jeu, aussi bien du côté des autorités que du côté des nationalistes. Que les gouvernements ensuite n’aient pas su faire, c’est possible, mais ils ne sont pas seuls responsables. Ce n’est pas une question de quartier sensible.

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