Marie Masson : « La géographie doit permettre de déconstruire les préjugés »

Source : Le blog de l'école Emile Nezes

La rubrique « Paroles d’enseignants » quitte temporairement la métropole pour le lycée Lama Prévôt à Remire Montjoly où enseigne Marie Masson. Pour cette historienne de formation, la géographie a toujours occupée une place à part : présente lors de ses études universitaires, elle est devenue omniprésente dans le travail quotidien d’une professeure pour qui l’enseignement doit servir à « donner des clefs d’analyse pour, plus tard, que les élèves puissent agir librement en tant que citoyen ».

 

Comment avez-vous découvert la géographie ?

 

Sans doute il y a très longtemps en arpentant la forêt de Rambouillet avec mon père, carte IGN à la main. Sans doute aussi avec mes instituteurs de primaire et mes professeurs de collège et lycée. En fait, je crois que la géographie a été une évidence parce que j’ai toujours été curieuse du monde. Cependant mon goût, comme beaucoup d’enfants, me portait sur l’histoire et l’archéologie. J’aurais voulu être Indiana Jones.

J’ai donc fait des études d’histoire mais je me rends compte que mes sujets de prédilection étaient très géographiques : ma maîtrise traitait par exemple de la politique routière de l’empereur Aurélien. C’est en préparant le CAPES que j’ai commencé réellement à me confronter à la géographie universitaire. L’Institut de Géo a pour moi une place particulière, notamment les cours de Roland Pourtier qui, dans le vieil amphi en bois, tenait la classe en haleine pendant 2h sans autre support que sa voix et une craie. C’est ensuite en enseignant que j’ai appris à aimer encore plus la géographie.

 

Indépendamment même des programmes et de leurs évolutions, à quels objectifs accordez-vous une importance particulière ?

 

Je crois que mon objectif principal est de développer la curiosité et les questionnements pour le monde qui nous entoure. Souvent les élèves ont des idées prėconstruites : la géographie, il faut apprendre des cartes, en Afrique il y a des pauvres, les américains sont gros, etc… Je crois que déconstruire les préjugés et leur montrer l’importance d’ouvrir les yeux est déjà un gros travail. Les programmes sont un prétexte à cela.

Comprendre comment fonctionne un territoire et les interactions entre les territoires est un enjeu majeur de société. J’habite en Guyane où cette problématique est particulière pour certains de mes élèves : ils viennent de loin (migrations), ne rentrent chez eux que quatre fois par an (ceux qui viennent du fleuve), entendent des discours très politiques sur l’appropriation du territoire (le problème du foncier, l’orpaillage, les bidonvilles), vivent près de la nature la plus exubérante et paradoxalement là où le développement durable n’est presque pas mis en place… Il faut donc leur donner des clefs d’analyse pour qu’ils puissent, plus tard, agir librement en tant que citoyen.

 

Selon quelle(s) démarche(s) se construit votre enseignement de la géographie ? Comment les mettez-vous en place dans votre/vos classe(s) ?

 

Partir du concret ! Tout se construit à partir d’une étude de cas, un reportage, une sortie de terrain ou même de l’expérience des élèves. Il m’arrive souvent de commencer mon cours en leur demandant ce qu’ils ont vu le matin en se rendant au lycée.

Je pense aussi que c’est avec la main, donc en faisant, que l’on apprend : les cartes, les schémas, les cartes mentale, les récits, etc. sont un excellent moyen de découvrir la géographie. Ce travail de découverte par la fabrication se fait d’ailleurs à plusieurs : ils doivent négocier, convaincre les autres donc chercher des arguments. Même si les élèves pensent se contenter de faire du coloriage ou un beau schéma, ils mettent en réalité en œuvre une foule de compétences et de connaissances.

Partir de leurs expériences (à travers les cartes sensibles par exemple) ou de l’imaginaire permet de mettre en place des questionnements. Souvent en faisant des cartes ils ne se rendent pas compte qu’ils vont très loin dans la réflexion et le questionnement. On les dupe un peu mais c’est pour la bonne cause !

 

Selon vous, l’enseignement de la géographie se heurte-t-il à des difficultés particulières ?

 

Non, la géographie est une discipline plutôt agréable à enseigner. Il y a forcément toujours des contraintes de temps, techniques ou budgétaires (sortie de terrain, salle info, réseau internet qui plante …).

Toutefois, l’enseignement de la géographie est malheureusement souvent oublié des parents, des élèves, de notre hiérarchie. On est avant tout professeur d’histoire. Et pourtant il y a un goût pour la géo. C’est très paradoxal dans l’opinion publique. Mais cet entre-deux nous laisse finalement pas mal de liberté.

 

Avez-vous un souvenir de « moment de grâce » survenu dans un de vos cours de géographie ?

 

Les anecdotes de sorties scolaires ne manquent pas : la visite de Paris menée avec Olivier Godard (avec qui j’ai fondé l’association concours carto) avec tous les 4eme de notre collège ; un élève qui ne voulait pas venir et me remercie de lui avoir montré Paris ; une journée à Londres avec les élèves blottis autour de moi et de la carte pour se repérer, ainsi que ce beau projet de cartographie sensible du collège fait avec mes collegues de mathématiques et français (V.Lebot et M.Mottin au collège de Champtoceaux). Je pourrais aussi parler de cette élève de 3eme dyslexique qui m’a demandé si elle pouvait répondre au sujet posé en faisant une carte plutôt qu’un paragraphe argumenté : elle avait trouvé dans le langage cartographique un moyen d’exprimer enfin sa pensée sans passer par l’écrit qui l’handicapait.

Je citerai pour finir le Top Carto que nous avions imaginé avec Rémi Guédon : une centaine d’élèves avaient pour consigne de cartographier la conquête de l’ouest sur le modèle de l’émission Top Chef.

1 Comment on Marie Masson : « La géographie doit permettre de déconstruire les préjugés »

  1. Villard Jean-Pierre // 31 octobre 2018 á 11 h 17 min // Répondre

    Ce témoignage est magnifique. Merci. Jean-Pierre Villard

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